L'évangile de ce 31e dimanche du Temps Ordinaire parle d'écoute et d'enseignement donnés par les scribes et Jésus dit de les écouter et de les observer mais pas d'agir d'après leurs actes car ils disent et ne font pas...
S'il est bien des propos de Jésus que l'Eglise a mis un soin jaloux à ne pas appliquer, ce sont les versets qui clôturent la page d'Evangile proclamée ce dimanche: "Ne donnez à personne sur terre le nom de Père… N'appelez personne sur terre 'Maître' ou 'Docteur'…" Les prêtres souvent sont appelés "Mon Père" ou "Monsieur l'abbé" (ce qui revient au même), et les supérieurs d'abbayes, par un curieux redoublement, "Père Abbé". Et que dire du "Saint Père", notre pape bien-aimé! Les titres académiques de "Maître" ou "Docteur" en théologie sont très prisés, et souvent s'ajoutent à celui, précité, de "Père". Bref, on a vraiment l'impression qu'on ne veut pas entendre la recommandation de Jésus, et qu'on veut encore moins l'appliquer.
Mais prenons du recul, et osons l'irrévérence: cette recommandation est-elle tout simplement applicable? Est-il souhaitable de "ne donner à personne sur terre le nom de 'père'?" Des cohortes de psychologues ne nous rappellent-elles pas la nécessité pour chaque être humain d'avoir, dans sa vie, donné à quelqu'un ce beau nom de "père" (ou de "mère") pour pouvoir grandir? Et n'avons-nous pas, pour beaucoup d'entre nous, eu la chance d'être guidés par des personnes qu'à juste titre nous reconnaissons comme des "maîtres" d'intelligence ou de sagesse? Oui, pardon de l'irrévérence, mais ne sommes-nous pas en droit de dire qu'ici, Jésus se trompe?
Sauf… sauf à considérer que la pointe de son propos est l'annonce de la fraternité qu'il souhaite pour les siens. Bien sûr qu'il y a entre nous des paternités et des maternités nécessaires, bien sûr que nous avons besoin de maîtres et d'enseignants, mais n'oublions pas que ces statuts, pour indispensables qu'ils soient, sont aussi réversibles. Même ceux qui semblent le mieux établis, comme la paternité ou la maternité génétiques: si on a la chance de veiller un parent âgé, on comprend vite que l'on devient aussi le père de son père, le père de sa mère! Dans l'Eglise, pareillement, nous avons besoin de pères, de mères, de pères abbés, de mères abbesses, et d'un Saint Père. Mais n'oublions pas que ces rôles sont également provisoires, et que, fondamentalement, devant Dieu, nous sommes avant tout des frères et des sœurs, enfants d'un unique Père, celui qui est aux cieux. Et que, devant Dieu, nous sommes, eh oui, d'abord les frères et les sœurs… du Saint Père.
Jésus nous appelle à cette fraternité foncière, seul remède au mal qu'il dénonce par ailleurs chez les responsables religieux de son temps, qui "lient de pesants fardeaux et les mettent sur les épaules des hommes, alors qu'eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt", ce mal qui malheureusement se propage encore de nos jours dans bien des institutions, religieuses ou non: le cléricalisme!
Abbé Benoît LOBET