Les prix littéraires sont-ils utiles ?


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Les prix littéraires sont-ils utiles ?
Par Angélique Tasiaux
Journaliste de CathoBel
Publié le
4 min

En automne, les remises des prix littéraires sont nombreuses. Les prix conditionneraient-ils les achats des lecteurs ? Sans être une valeur sûre, ils s'avèrent pourtant l'objet de sévères tractations.

"Les gagnants vendent bien, mais ils déçoivent!", constate Pierre-Guillaume Méon.
© CathoBel

"Un livre qui a obtenu le Goncourt va recevoir davantage de commentaires négatifs qu'un autre. C'est probablement dû au fait que les gens lisent un livre sélectionné par un jury qui a des goûts différents des leurs", constate Pierre-Guillaume Méon (*). Ce professeur d'économie à l'Université libre de Bruxelles (ULB) a décrypté l'effet du prix Goncourt sur la vente des livres. Pour ce faire, il a été épaulé par le doctorant Nicolas Lagios, qui a analysé les votes du jury et comparé l'ouvrage qui a tout juste gagné avec celui qui a tout juste perdu, en remontant les archives des 50 dernières années. "On constate que les Goncourt se vendent bien, mais ils avaient peut-être déjà toutes les caractéristiques nécessaires pour devenir populaires par la suite !", relève-t-il. Les deux hommes se sont, ensuite, penchés sur les commentaires postés sur Amazon, Babelio et autres sites de référence. Leur verdict ? Davantage de commentaires négatifs. "On pourrait penser que le prix permet un saut de qualité, si on était capable de mesurer la qualité. Or celle-ci se mesure par rapport à des goûts."
Lors de la sélection d'un livre qui a reçu un prix prestigieux, plusieurs motivations l'emportent : une pression sociale liée à l'actualité littéraire, un choix de cadeau rassurant parce que confirmé, la référence à un livre "que d'autres ont lu", l'assurance d'une absence de risque…

Un univers impitoyable

Derrière les prix se cachent une série de "tractations en coulisse" qui renforcent la perception de l'importance du prix. Si les éditeurs aspirent tant à les décrocher pour leurs auteurs, voilà la preuve de l'importance de leur attribution. Pourtant, "les contributions académiques allaient toutes dans le même sens, celui d'une désacralisation des prix", constate Pierre-Guillaume Méon. "Elles ne les considèrent pas comme un signal sans ambiguïté de qualité, mais le résultat de tout un processus." Preuve de cet engouement, chaque lieu ou corporation ne cesse d'instaurer son propre couronnement. On assiste ainsi à un emballement du nombre de prix littéraires, allant des plus prestigieux au plus anecdotiques. "Il y a manifestement une hiérarchie des prix et ceux-ci n'ont pas la même retombée. Si on sort des grands prix généralistes, il y en a d'autres de niche."

Même si c'est peu évoqué et refoulé, l'édition reste une industrie avec "des entreprises à faire tourner, des employés et des auteurs à payer…", rappelle Pierre-Guillaume Méon. "On imagine facilement la dimension économique des prix du côté des récipiendaires, en se disant que la carrière de quelqu'un qui a obtenu un prix prestigieux change de trajectoire. Mais ce qu'on ne réalise pas, c'est l’économie des organisateurs. Lancer un prix, c'est une façon de lancer une petite entreprise. Les créateurs de prix ont aussi un objectif, qui peut être différent selon les cas : promouvoir un genre, une région…"

Une internationalisation

Depuis quelques années, le prix Goncourt est décliné de multiples manières. A côté de la récompense traditionnelle, dont la première édition remonte à l'année 1903, il y a également la distinction du même nom réservée à la poésie, à la nouvelle, à la biographie, à la jeunesse, au premier roman, aux détenus (en prison), mais aussi le Choix Goncourt de la Pologne, de la Serbie, de la Roumanie, de l'Algérie… Au nombre de 20 en 2020, le Choix Goncourt à l'étranger a ensuite été renommé Choix Goncourt internationaux pour compter, cette année, 35 pays ou régions différentes. Depuis 2016, la Belgique décerne ainsi son propre prix Goncourt. L'ensemble de ces prix remis à l'étranger a les allures d'un réseau. "Cela fait partie de l'arsenal de la politique diplomatique", commente Pierre-Guillaume Méon.

Reste "la tension entre les écrivains à succès et ceux qui sont validés par le Goncourt. Pour certains, leur activité en dépend. Il y a donc une charge émotionnelle". Sans oublier la rétribution des jurés, qui ont tout à gagner en termes de "prestige et influence". L'achat d'un livre n'est, somme toute, jamais anodin !

Angélique TASIAUX

(*) Le 25 novembre 2022, Pierre-Guillaume Méon et Géraldine David, de la Wittockiana (le musée des Arts du livre et de la reliure à Bruxelles), ont coorganisé une journée d'étude, au titre un brin provocateur, Avons-nous besoin des prix littéraires?

Catégorie : Belgique

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