Regards croisés sur les reliques du Christ


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Regards croisés sur les reliques du Christ
Dans sa période doloriste, le christianisme occidental a surtout exalté les instruments de la Passion comme les clous et la couronne d'épines.
Par Sophie Delhalle
Publié le - Modifié le
9 min

Au matin de Pâques, les femmes trouvèrent le tombeau vide. Le corps de Jésus, ressuscité, avait disparu. Comment dès lors peut-on parler des reliques du Christ? De quoi s'agit-il au juste? Quel crédit, quelle piété leur accorder?

Les reliques du Christ
Dans sa période doloriste, le christianisme occidental a surtout exalté les instruments de la Passion comme les clous et la couronne d'épines.

De quoi parle-t-on exactement en évoquant les reliques du Christ ? « D’un monde d’objets très variés de notoriété diverse et dont l’apparition est étroitement liée à l’histoire et l’évolution du christianisme en Occident » nous explique Nicolas Guyard, enseignant chercheur à la Faculté Sciences Humaines & Sciences de l'Environnement de l'Université de Montpellier, auteur d’une synthèse consacrée aux reliques du Christ (Cerf, 2022).

La plus ancienne et la plus convoitée est la Vraie Croix

« Les reliques de la Passion comprennent les clous, la croix, la couronne d’épines, les suaires, … » énumère le spécialiste. Mention spéciale pour le sang du Christ, dont on distingue deux variantes : celui récolté lors de sa Passion et les hosties miraculeuses. « Mais il existe aussi des reliques directement en lien avec la vie de Jésus, rapportée par les évangiles, comme la pierre sur laquelle il se serait assis pour prier au jardin des Oliviers ».

Il est donc très difficile de donner une estimation du nombre de reliques associées au Christ. L’inventaire est également complexe à dresser car certaines reliques sont très connues - et aujourd’hui encore entourées de dévotion populaire - tandis que d’autres ne sont mentionnées qu’une seule fois dans des textes anciens. « Un érudit du Moyen Age avait tenté de dénombrer les fragments de la Vraie Croix : il est parvenu à un compte de plusieurs dizaines de milliers ! »

Les reliques du Christ
Les reliquaires de la Vraie Croix sont appelés staurothèques. Ici le chef d'oeuvre mosan de Godefroid de Huy (12e siècle), conservé au Musée Curtius © KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché G005818

Le culte des reliques de la sainte Croix apparait très tôt et connait un succès immédiat, dès l’invention de la Croix par Sainte Hélène, mère de Constantin au 4e siècle. A la fin du Moyen Age, chaque église possède sa parcelle de la Vraie Croix. Avec tous ces morceaux, l’on pourrait remplir la charge d’un bon gros bateau, écrivait le réformateur Calvin. Ou reconstituer une forêt entière !

Aujourd'hui encore, la Vraie Croix suscite ferveur et convoitise. Saviez-vous que le croiseur russe coulé par les Ukrainiens en avril 2022 abritait une relique de la Vraie Croix, conservée dans la chapelle du navire?

Dans les reliques de la Passion, on mentionne souvent aussi l’éponge, la colonne de flagellation, la pancarte avec l’inscription INRI (dont il existe plusieurs modèles !) et bien entendu le(s) suaire(s), celui de Turin étant le plus célèbre et vénéré, et aussi probablement le plus étudié. Ces reliques n’apparaissent donc pas au même moment.

« Les premières datent des 3e-4e siècles avec le début des pèlerinages vers Jérusalem. Jusqu’au 11e siècle, ce sont les reliques de la Vraie Croix qui sont particulièrement recherchées ». Car c’est l’époque des croisades, où l’on met en exergue le Christ Ressuscité, triomphateur de la mort.

Les reliques du Christ apparaissent à des moments différents

A partir des 11-12e siècles, l’Eglise occidentale entre dans une période plus doloriste, ce sont donc les instruments de torture qui vont être exaltés, reflet du Christ souffrant (clous, épines). Si le berceau du Christ est attesté depuis le 6e siècle, les dents de lait, le lange, les prépuces (!) sont étroitement liés à une forme de dévotion à l’enfant Jésus qui se développe aux 17e et 18e siècles. Donc ces différents types d’objets-reliques ont une histoire liée aux relations entre l’Occident et Jérusalem, mais aussi à l’évolution propre du christianisme. 

Les reliques du Christ
Le berceau du Christ est conservé dans la crypte de la nativité de la basilique Sainte-Marie-Majeure de Rome

Comment l'Eglise considère-t-elle les reliques du Christ?

Quel crédit peut-on accorder à ces reliques? Sont-elles toutes authentiques ? « La question de l’authentification des reliques est plutôt contemporaine. C’est Calvin [auteur d'un traité des reliques qui dénonce une forme d'idolâtrie] qui oblige les catholiques à faire le tri. Nous sommes un peu les héritiers de cette vision sceptique » estime Nicolas Guyard.

En réalité, l’Eglise emploie une définition a minima ; une relique est authentique si elle est déclarée comme telle par l’Eglise. C’est donc l’engagement d’une autorité ecclésiastique vis-à-vis de l’objet qui en fait une relique authentifiée. Pour autant, l’Eglise n’a pas développé de théologie des reliques, contrairement aux images. A noter que Jean-Paul II a conféré au suaire de Turin le statut d’icône.

« Pour l’Eglise, ce n’est pas tant l’objet qui importe, mais la démarche de foi qu’il suscite par la recherche d’une intercession ». La question de l’authenticité n’est pas primordiale, et n’entame pas la foi. « Depuis le 10e siècle, l’Eglise affirme que les véritables reliques du Christ, ce sont les hosties. Elle n’exerce pas plus de contrôle sur les reliques attribuées au Christ que sur les autres, et n’établit pas de hiérarchie ». L’institution modère également l’enthousiasme de ceux qui affirment que le suaire de Turin est une (LA) preuve de la Résurrection du Christ.

Les reliques du Christ font leur come back !

La présence des reliques du Christ dans l’histoire du christianisme est donc constante mais fluctuante. Ce n’est pas une histoire linéaire et le chercheur constate un retour des reliques du Christ depuis les années 1980. Regain d’intérêt qu’il explique d’une part par l’évolution toute récente du christianisme ; avec la crise des vocations au sein d’une société de plus en plus sécularisée, les reliques offrent la possibilité de se recentrer et de se réaffirmer ; d’autre part, la frontière floue entre cultuel et culturel ravive l'intérêt du grand public ; aujourd’hui des processions religieuses sont même inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Certes, la science a permis de disqualifier certaines reliques comme le suaire de Cadouin. Mais, souligne le chercheur, la question reste entière : qu’est-ce qui authentifie une relique ? La science a-t-elle ce pouvoir ? Car les résultats scientifiques peuvent être sujets à interprétations diverses.

En matière d’authentification de reliques, la science ne règle pas (toujours) le problème. Elle alimente la controverse, plus qu'elle n'apporte de réelles certitudes, affirme le chercheur. En France, contrairement à la Belgique, la recherche scientifique est d’ailleurs quelques peu freinée ; les reliquaires étant propriété de l’Etat, les reliques celle de l’Eglise. Les membres du clergé séculier sont toutefois comme en Belgique, plutôt favorables aux analyses scientifiques.

📚 Nicolas Guyard, "Les Reliques du Christ", éditions du Cerf, 2022, 258 pages

>>> Découvrez notre dossier complet sur les reliques "Se connecter avec les saints" dans le numéro 38 du journal Dimanche du 30 octobre 2022

Jean-Christian Petitfils nous livre son "enquête définitive"

Le Suaire de Turin a-t-il enveloppé le Christ?

Tièdement accueilli par la critique, qui lui reproche son caractère par trop militantiste, l’ouvrage de Jean-Christian Petitfils, selon ses propres termes, est un acte de foi. Il ne s’en cache pas et l’annonce d’ailleurs dès l’introduction de son livre. « Toutes les constatations scientifiques vont dans le même sens, celui de l’authenticité […] on voit mal ce qui pourrait aujourd’hui remettre en question la nature de la précieuse relique de Turin en tant que linceul ayant enveloppé le corps du Christ. »

✍️ Lire aussi : Le mystère du suaire de Turin – Rencontre avec Philippe Boxho

Présenté comme le fruit de plusieurs décennies de collation de données et de recherches réalisées par d’autres historiens et scientifiques, l’ouvrage retrace dans sa première partie le parcours historique de la sainte relique depuis Jérusalem jusqu’à Turin. Le Vatican n'est propriétaire de la sainte relique que depuis 1983.

Les reliques du Christ
Une réplique du Saint Suaire de Turin est exposée sur l'île de Tenerife (Espagne). CC-BY-Koppchen

La seconde partie détaille tous les rebondissements scientifiques suscités par le linge turinois depuis les premières photographies prises par le chevalier Pia à la fin du 19e siècle, clichés qui ont révélé au monde la silhouette et le visage de l'homme crucifié.

C'est en 1939 que naquit la sindonologie, c'est-à-dire l'étude croisée des données archéologiques, historiques, exégétiques, artistiques, physiques ou biochimiques du Saint Suaire.

Plusieurs groupes d'experts (comme le STURP ou le CIELT) se réuniront également dans l'unique but de faire avancer les connaissances sur l'objet mystérieux. De leurs découvertes, les scientifiques ont pu établir que l'image du Linceul est bien celle d'un homme torturé et crucifié, et qu'elle ne peut, au vu de la précision des détails, être l'œuvre d'un artiste ou faussaire.

Certains d'entre vous ont peut-être encore en mémoire le "coup de tonnerre" du carbone 14 dans les années 1980. Le verdict (une datation moyenâgeuse) fit l'effet d'un tsunami. Si le Linceul était bien un faux, il aurait du être "facile" d'en reproduire une copie avec les techniques du 20e siècle: or, tous ceux qui s'y sont essayé ont échoué! Les tests carbone 14 ont finalement été invalidés. Les plus récentes recherches menées par une équipe de chercheurs italiens ont démontré que le drap aurait bel et bien environ 2 000 ans.

Une lecture qui vous convaincra ... ou pas !

Trop d’érudition dans la partie historique finit par noyer le lecteur. L’auteur succombe à la tentation de l’exhaustivité qui déforce un peu le propos. Le récit n'en est pour autant pas moins captivant. L'historien nous entraine avec lui dans la succession des énigmes qu’il résout à chaque fois de manière implacable. Idem pour la seconde partie, les amateurs d'enquêtes scientifiques seront ravis ! Les autres y trouveront probablement également beaucoup de plaisir, malgré le flux d'informations, car Jean-Christian Petitfils a le don de nous faire revivre les évènements comme si tout se (re)jouait sous nos yeux.

Incroyablement documenté, cet ouvrage a le mérite de faire la synthèse de toutes les connaissances accumulées sur le Suaire jusqu'à aujourd'hui. Chaque lecteur reste libre d’adhérer ou non à la conviction de son auteur. Nous sommes plus réservés sur l'affirmation "Enquête définitive" car l'auteur nous fait lui-même la démonstration magistrale en près de 500 pages des tâtonnements et revirements de l'histoire et de la science en particulier. Qui sait ce qu'on apprendra encore sur le Suaire dans les années à venir?

📚 Jean-Christian Petitfils, Le Saint Suaire de Turin, Tallandier, 2022, 464 pages

Sophie DELHALLE

>> Une exposition troublante de réalisme sur l'homme du Suaire <<

Depuis le 14 octobre, à la cathédrale de Salamanque (Espagne), une exposition baptisée « The Mystery Man », présente une sculpture hyperréaliste, en silicone et latex, conforme aux analyses du Saint Suaire de Turin. Six années d’études et quatre à cinq mois de conception ont été nécessaires à la confection du moule.

Representation of Christ based on Shroud of Turin
Ce n'est pas la première fois qu'un modèle 3D est réalisé à partir du Suaire. Mais le réalisme de celui exposé à la cathédrale de Salamanque est troublant de vérité. (c) VaticanNews

La sculpture sera présentée aux JMJ de Lisbonne en 2023 ainsi qu'au jubilé de Rome en 2025. Un premier modèle en trois dimensions, réalisé sur base du Suaire, avait été présenté à Padoue au printemps 2018. Dans sa synthèse consacrée au Suaire de Turin, l'historien Jean-Christian Petitfils nous apprend qu'une statue tridimensionnelle avait déjà été réalisé dans les années 1970 par les cadets de l'Ecole de l'air américaine.

🎥 Découvrez ce reportage de KTO sur la dévotion autour de la couronne d'épines (2019)

Catégorie : Culture

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