Les travaux devraient durer dix ans. Mais pour ne pas priver les Liégeois de ce patrimoine exceptionnel, une bâche imprimée a été installée sur les échafaudages de la collégiale Sainte Croix, telle une fenêtre ouverte sur le chantier. Impressionnant!

La collégiale Sainte-Croix est classée comme patrimoine exceptionnel depuis 1997. La Ville de Liège en est la propriétaire. Elle en a aussi fait le point de départ du « Circuit des Collégiales de Liège« . Fondées autour de l’an mil, les sept anciennes collégiales de Liège constituent des témoins précieux de l’histoire de la ville et des différents courants artistiques qui l’ont traversée.
Un chantier en trois phases
De la première église fondée par l’évêque Notger en 979, il ne resterait qu’un pan de mur visible au sud du chœur oriental. Rare église liégeoise à posséder encore un double chœur, la collégiale Sainte-Croix constitue un bel exemple d’église halle avec trois nefs de presque égale hauteur. Elle possède aussi la particularité de mélanger style roman et style gothique.
Depuis fin mars, une bâche monumentale est venue recouvrir l’édifice dans son intégralité afin d’envisager les travaux de restauration dont la fin est prévue en 2027-2028 et le coût total estimé à 17.500.000, euros TVAC. La Région Wallonne finance le projet à hauteur de 95%.
La première phase qui vient de s’achever concernait la sécurisation de l’édifice. La seconde phase (qui devrait débuter au printemps 2023) concerne la restauration des maçonneries extérieures et des toitures. Après quarante années sans entretien, celles-là ont beaucoup souffert, et celles-ci ne sont plus étanches. La troisième phase entamera la restauration des décors intérieurs et l’aménagement d’une double affectation cultuelle œcuménique et culturelle.
Des spécialistes au chevet de la collégiale
L’appel d’offre publié en juillet 2017 avait été remporté par un consortium de trois bureaux d’architectes dont le cabinet AASA pour lequel travaille Xavier Tonon. « Notre cabinet cumule depuis trente ans une certaine expertise en restauration du patrimoine et spécialement celle des bâtiments religieux. Nous remportons donc régulièrement les marchés publics grâce à nos nombreuses références. » A signaler aussi la collaboration d’Eric Pallot, architecte en chef des Monuments Historiques en France.
Lors de ses études d’architecture, Xavier Tonon choisit l’option patrimoine et étudie la transmission des bâtiments historiques. Ce qui lui plaît dans ce type de projet/chantier, c’est l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire regroupant architectes, historiens de l’art, géologues mais aussi des métiers d’artisans comme verrier ou charpentier. « Ce type de chantier a pour but de préserver le patrimoine mais permet aussi de faire vivre les métiers du patrimoine« , explique-t-il.

Afin de ne pas priver le public de ce patrimoine d’exception, une bâche imprimée a donc été installée sur les échafaudages, offrant une fenêtre ouverte sur le chantier. Cette bâche remplit donc un triple rôle : protection, investigation et information.
Montrer l’intérieur depuis l’extérieur
D’un point de vue technique, cette bâche a permis d’effectuer un relevé pierre par pierre, précise le chef de projet, qui consiste à faire sonner au marteau chaque pierre pour en évaluer l’état et la densité.
Comme nous l’explique Pierre Hallot, professeur à la Faculté d’Architecture de l’ULiège, attaché au projet, l’idée de la bâche reprenant des éléments de communication est née en 2020. « La production de l’image a réellement débuté en juin 2021, et a nécessité plusieurs semaines de travail en étroite collaboration avec l’infographiste. » Grâce au procédé de lasergrammétrie, un relevé précis, point par point, de la collégiale a pu être réalisé pour obtenir une image 3D complète de l’édifice. Il a fallu ensuite écraser ce modèle de la 3D à la 2D pour pouvoir le transférer sur la bâche et obtenir le résultat actuellement visible sur la collégiale.
C’est en fait une vue intérieure – visible depuis l’extérieur ! – à taille réelle qui est ainsi offerte aux passants provoquant, aux dires de Pierre Hallot, un certain sentiment de vertige. Pour donner l’illusion de relief, un subtil jeu d’ombre a été opéré sur le modèle 2D, le rendu des couleurs des vitraux a également donné quelques sueurs à l’équipe. Quand on lui demande s’il a déjà participé à ce type de projet, « jamais d’une telle ampleur », nous répond Xavier Tonon.

(c) Pierre Hallot & Adrien Hurard
A l’épreuve du temps
Cette bâche va-t-elle toutefois résister aux affres du temps et de la pollution (vu sa localisation au centre urbain liégeois)? « Normalement oui, nous rassure Pierre Hallot, même si on peut craindre des dégradations dues aux activités du chantier comme le sablage » qui pourrait endommager la toile perforée. Mais comme le souligne Xavier Tonon, « la bâche étant exposée sur la façade nord, elle ne sera pas soumise aux UV » qui en altéreraient fortement les couleurs après seulement deux étés.
Cette bâche a donc pour vocation inédite de communiquer autour du patrimoine et de le rendre accessible malgré les travaux en cours. « Pour garder ce lien qui unit le public à son passé », insiste Pierre Hallot.
Sophie DELHALLE