Ce dimanche, nous lirons l’évangile de Luc « Jésus, comme Elie et Elisée, n’est pas envoyé aux seuls Juifs » (Lc 4, 21-30). Et l’abbé Benoît Lobet, doyen de Bruxelles-Centre, nous en offre son commentaire.
La première prédication de Jésus dans son village natal, Nazareth, s’annonçait bien: on s’étonnait, nous rapporte de Luc, « du message de grâce qui sortait de sa bouche. »
Pourtant, assez vite, cette admiration se mue en hostilité: on connaît ce Jésus, de quel droit vient-il nous faire la leçon, nous enseigner des choses? On sait sa famille, il n’est jamais que le fils de Joseph…
Jésus, devant ces hésitations, en rajoute une couche: inutile d’aller plus loin, dit-il, un prophète n’est jamais bien accueilli dans sa patrie, voyez Elie, voyez Elisée! Et nous pourrions ajouter, nous qui participons à la liturgie de la Parole de ce quatrième dimanche et qui avons entendu la première lecture, « voyez Jérémie », ce prophète que Dieu prévient au moment même de son appel, en lui parlant des siens: « Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi! »
Jésus connaît bien la psychologie humaine: quand survient la nouveauté – et le prophète, toujours, annonce du nouveau – la réaction première est conservatrice. « Qu’on ne vienne pas nous déranger, surtout qu’un tel ou un tel, trop connus, ne viennent pas nous dire de changer quoi que soit! On sait mieux qu’eux leur passé, qu’ont-ils donc de nouveau à nous apprendre? »
Ce déni est un réflexe de protection, bien sûr: on est bien dans nos coutumes, dans nos habitudes, voire dans nos manières de penser, que quelqu’un de nos rangs ne vienne pas remettre tout cela en cause! Avouons que nos communautés chrétiennes ne sont pas exemptes de pareille réaction, quand elles se ferment à des points de vue inentendus jusqu’alors…
Les habitants de Nazareth vont encore plus loin que le déni – soudain, dans leur revirement, c’est une mise à mort qu’ils cherchent, poussant Jésus vers un escarpement rocheux d’où ils veulent le faire tomber. Déjà, par ce geste, ils préfigurent le rejet de tout le Peuple qui conduira ce nouveau prophète jusqu’au Golgotha.
Quand on lit aujourd’hui, sur les réseaux sociaux ou sur certains sites, les propos prétendument catholiques issus de milieux intégristes, qui rejettent la parole pontificale parce qu’elle n’entre pas dans leurs vues… on n’est pas loin de ce type de mise à mort symbolique.
Mais ces stratégies de rejet nous habitent tous, sournoisement. Tapi quelque part en nous, il y a ce déni facile, cette certitude qu’on sait déjà, qu’on connaît déjà, qu’on sait mieux que les autres, qu’on n’a pas besoin de nouveauté, que la Parole de conversion n’est pas pour nous…
Prétentieux que nous sommes, crispés sur nos vertus et nos prétendues valeurs, souvent arrogants, nous risquons tous, toujours, de rejouer intérieurement la scène étrange de Nazareth où ceux qui auraient dû se convertir en premier sont devenus les primo-assassins du Messie.
Abbé Benoît Lobet