Au cours des derniers mois la situation en Ituri (dans l'est de la RD Congo), s'est dégradée. L’état de siège, décrété il y a six mois, n’apporte pas de solution pour établir une paix durable.
Plusieurs témoins rapportent que l’armée congolaise contribue à opposer les milices. "On risque d’aller droit vers une nouvelle guerre ouverte entre les différentes ethnies", analyse Marti Waals, théologien et agent de développement, de retour d’une nouvelle mission à l’Est du Congo.
AMANI, la paix, "nous voulons la paix", est le mot que j’entends dans toutes les bouches lors d'entretiens avec des personnes déplacées dans les camps autour de Bunia. De nombreuses familles ont récemment dû fuir vers ces camps suite aux attaques sur leurs villages où des jeunes, intoxiqués par les sirènes des politiciens mal intentionnés, armés avec des machettes et armes à feu, pillent, violent et tuent avec une cruauté indescriptible. L’objectif semble clair: chasser, voire éliminer ces groupes pour s'emparer des terrains des villageois et y exploiter illégalement l’or qui se trouve dans la terre et les rivières. Le général Johnny Luboya - gouverneur militaire - m'assure, dans son grand bureau du gouvernorat, qu’il est "en train de couper court à cette influence des 'hommes en cravate'" qui viennent envoûter les jeunes avec des appels à la violence contre d’autres ethnies, leur donnant quelques dollars et promettant monts et merveilles. Les jeunes sans boussole ou perspectives, dans une situation de misère noire, ne réalisent pas qu’ils tuent uniquement pour les intérêts économiques de ces seigneurs de guerre ou des intérêts géostratégiques des pays voisins. Ces commanditaires profitent du chaos pour continuer l’exportation illégale des richesses du sol et du sous-sol le plus longtemps possible, au détriment des possibilités de progrès pour des millions d’habitants.
Les échanges avec les personnes déplacées confirment cette réalité machiavélique. Leur nombre est passé de 1.600.000 personnes déplacées, soit un tiers de toute la population de la région, au début de l’état de siège à près de deux millions actuellement. Personne ne peut me donner de chiffres exacts car les attaques et les déplacements s’intensifient, chaque jour. A peine la vie sauve, ces personnes sont chassées, devant abandonner les membres de leur famille qui sont tombés, survivant dans des conditions misérables dans les camps ou les familles d’accueil, sans travail ni perspective d'avenir! Lors de mon dernier déplacement, au mois d’avril, plusieurs témoins affirmaient qu’une paix était encore possible et qu'une fois la sécurité rétablie, ils pourraient regagner leurs villages et cohabiter paisiblement avec les autres ethnies. Aujourd'hui, plusieurs expriment leur frustration et me disent qu’une cohabitation devient quasiment impossible. "Notre armée ne fait rien, ils n'interviennent pas lors des attaques mais seulement après, pour piller ce qui reste!" déplorent-ils. D'autres avancent que des militaires vendent des armes et des munitions aux milices pour arrondir leur maigre salaire.
L’Eglise et Caritas, boussole pendant cette période de crise
La Caritas diocésaine de Bunia ne cesse d’apporter son aide auprès de la population en détresse en distribuant de la nourriture, des biens de première nécessité et en fournissant une aide médicale. Mais il faut admettre que bien que cette aide soit vitale (des milliers de vies humaines sont préservées grâce à l'action de Caritas), elle ne peut apporter ce dont la population a le plus besoin: AMANI – la paix ! On essaie donc avec la Commission diocésaine de Justice et Paix de développer des initiatives pour donner des perspectives aux jeunes, qui risquent d'être piégés par cette spirale de violence et de vengeance. Parmi les projets les plus porteurs, on retiendra l’organisation des travaux d’intérêt communautaire, comme l’entretien des routes ou la réhabilitation des écoles ou centres de santé détruits par des attaques aveugles. Les paroisses mettent également en place des initiatives de sensibilisation à la justice et à la réconciliation. Se basant sur la "justice traditionnelle", elles organisent des rencontres avec les différentes parties afin de donner des conseils, conscientiser des gens sur les stratégies macabres des seigneurs de la guerre et, ainsi, rompre le cercle vicieux "violence et vengeance". Car l’Eglise est et reste le seul point de repère pour la population dans cette situation de désarroi et de manipulation. Elle offre probablement la seule issue pour éviter que l’avenir de cette population ne soit un avenir de mort (voir photo) et de destruction continue.
Si le message évangélique vient "à point", c’est dans cette situation où des groupes fatigués et désespérés sont sur le point "d’affûter leurs machettes". En l’absence d’un état de droit et face aux nombreux vautours circulant au-dessus du butin des richesses de la région et aux sirènes qui prônent la violence et la haine, la confiance inspirée par le message de l’Eglise est, à mon sens, le seul espoir pour éviter le pire !
L'évêque du diocèse de Bunia, Mgr Uringi, et les responsables de ses services se rendent partout, même dans les fiefs des milices, pour sensibiliser, changer les esprits et apporter une aide palpable aux plus nécessiteux. Par ailleurs, l'évêque n'hésite pas à interpeler les autorités régionale ou nationales sur leurs responsabilités dans cette crise. Dans son message, il rappelle inlassablement les droits de cette population qui, après autant d’années de détresse, a droit à une "vie normale". Par vie normale, on entend que la population d'Ituri ne doive plus tendre la main pour recevoir la nourriture venant des dépôts du Programme Alimentaire Mondiale (nourriture d’ailleurs souvent importé des Etats-Unis à un tarif cinq fois au prix des mêmes produits sur le marché local !), mais puisse satisfaire à ses propres besoins, scolarise les enfants, travailler dans les champs sans crainte, bénéficier des soins médicaux adéquats, restaurer le tissu social déchiré, bref… assurer son propre développement.
Marti WAALS
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