« Nous, les évêques, avons été touchés comme tout le monde », confiait le cardinal Godfried Danneels, au lendemain de la Marche blanche. Quelques semaines après, il poursuivait une réflexion approfondie qui aboutit sur la conviction qu’ « une nouvelle humanité est née ». Retour sur ces semaines d’intenses émotions.

« Plus jamais ça« , ont crié les 300.000 personnes descendues dans les rues de Bruxelles le dimanche 20 octobre 1996, il y a vingt-cinq ans. Au-delà du chiffre déjà impressionnant, des milliers de personnes se sont émues du sort des fillettes enlevées par Marc Dutroux et ses complices. L’indignation s’est rapidement amplifiée à cause des balbutiements de l’enquête pour retrouver Julie et Melissa, Sabine et Laetitia, An et Eefje, et des aléas de la procédure judiciaire.
L’Église était là !
Ce dimanche d’octobre 1996, de nombreuses paroisses se sont associées à cette mobilisation citoyenne par leurs prières. L’Église belge par l’intermédiaire des évêques s’est peu exprimée pendant cette période. Mgr Jean Huard, qui était évêque du diocèse de Tournai, s’en explique dans une interview dans le Soir : « Nous n’avons pas voulu apparaître comme des récupérateurs de l’émotion collective. C’est curieux que l’on demande des comptes à l’Église […] Au contraire, chacun doit, plus que jamais, aller au-delà de ses appartenances et participer à un travail collectif sur les valeurs, sur le sens. » Le cardinal Danneels, primat de Belgique, rappelait dans une interview télévisée que parmi les marcheurs du 20 octobre, « Des dizaines de milliers de chrétiens se sont manifestés dans les rues de Bruxelles. On ne peut pas dire que l’Église n’était pas là ! » Dans cette émission A bout portant, interrogé par Alain Gerlache, le cardinal Godfried Danneels remarquait un point considéré comme positif dans cette marche blanche : « c’est que la conscience morale s’est éveillée.«
Un mois et demi plus tard, à l’approche de Noël, le primat de Belgique a publié une brochure de 26 pages voulant prolonger la réflexion sur l’après-Marche blanche. Cette lettre du Cardinal aura sans doute inspiré de nombreuses homélies dans les paroisses de Belgique. « Notre regard sur I’Enfant de la crèche sera sans doute différent de celles des autres années : l’Enfant Jésus porte de nouvelles blessures. Nous ne pourrons oublier ce qui est arrivé à des enfants durant les derniers mois. Que ne leur-a-t-on pas fait subir ? » Ce qui est arrivé aux fillettes interroge aussi notre regard de croyant, insiste le cardinal Danneels : « Quelque chose de grave est arrivé à l’homme, et ce quelque chose atteint Dieu du même coup« .

Pourquoi le mal ?
Après le temps de l’émotion, auquel cette brochure de Noël 1996 consacre un chapitre, vient le temps de la réflexion. Le cardinal Danneels écrit : » Ce que nous venons de vivre ouvre nos yeux sur le fil rouge qui traverse toute l’histoire de Dieu avec les hommes. Puisque nous sommes bons, pourquoi commettons-nous le mal? » Le primat de Belgique fait notamment allusion à l’autre drame du moment, celui des Grands lacs qui provoque de son côté « une marche noire de plus d’un million de gens« . Le cardinal Danneels évoque encore le laisser-aller moral et l’aveuglement de la société dans une vision permissive où « il est difficile de dire non« .
Le fonctionnement des institutions police et justice pendant l’affaire Dutroux a aussi montré l’isolement des citoyens qui sont mal ou peu pris en compte dans le traitement de leurs « dossiers ». Le cardinal Danneels, dans sa brochure pastorale de Noël 1996, fait allusion au Bon Samaritain, qui s’arrête pour prendre soin de l’homme blessé alors que deux prêtre et Lévite étaient passés sans s’arrêter. « Toute notre crise d’hyper-organisation est un cri pour le retour à des relations de proximité : être près des gens, les appeler par leur nom… » Enfin, le primat de Belgique tente de répondre à la question : à quoi toutes les prières ont-elles servi ?
Au vu de l’actualité de l’époque (enlèvements d’enfants, mais aussi drames humains au Rwanda et Congo), le cardinal Danneels écrivait dans cette lettre de décembre 1996 : « quelque chose est brisée aux fondements de notre société : la nappe phréatique est empoisonnée. Comment la plante pourrait-elle survivre ? » Mais, demandait-il : « Un revirement moral du cœur de l’homme et de la société est-il vraiment possible sans Dieu ? » Le primat de Belgique interpellait l’Église et chacun des croyants à réintroduire une parole d’espérance dans ce monde qui en a tant besoin.
Anne-Françoise de Beaudrap (avec les archives de l’archevêché de Malines-Bruxelles)