Les ONG engagées dans la Coopération font-elles du bon boulot ? Par qui sont-elles évaluées ? Ces questions reviennent souvent dans l’actualité. Un signe d’espoir : plusieurs ONG ont récemment fait part de leurs propres questionnements.
Une opinion de François Vandamme, directeur général honoraire des affaires internationales au SPF Emploi, Travail et Concertation sociale et ancien vice-Président du Comité européen des droits sociaux.
Des associations engagées dans le développement envoient chaque année à leurs donateurs leurs bons vœux auxquels est joint un bulletin de versement. Je suis admiratif de ce qu’elles font. Mais, influencé sans doute par de récents débats médiatiques, je m’interrogeais récemment sur la validité de la continuation de leurs options d’intervention. Leurs démarches n’entretiennent-elles pas une approche paternaliste, pour ne pas dire, dans certains cas, postcoloniale ? Qui évalue ces ONG et que peuvent-elles nous dire à ce sujet ? Et, dans une perspective plus chrétienne, ne sont-elles pas entrées dans une routine de projets qui ne touche finalement que des groupes de populations devenus privilégiés de les connaître ? Or, le hasard a fait que les derniers bulletins que m’ont envoyés quelques associations engageaient une réflexion introspective intéressante par rapport à ces trois interrogations.
L’héritage colonial
L’association Via Don Bosco, fondée par les Salésiens, dont le projet central est le développement de l’enseignement professionnel, se demande « Comment gérer notre héritage colonial ? », car elle reconnaît que celui-ci marque encore notre société d’une manière diffuse. Elle le décrit en se référant aux structures de pouvoir qui maintiennent les inégalités dans les pays où elle intervient. L’ONG y réfléchit avec d’autres ONG en vue de militer désormais en faveur d’une citoyenneté égalitaire et d’une société diverse et inclusive. Concrètement, l’établissement de « partenariats égalitaires et équilibrés avec les écoles professionnelles du Sud » contribuerait à cette réorientation de l’action.
De la gestion à la réforme
D’autres ONG valorisent surtout leur souci d’informer leurs donateurs de façon transparente sur leur financement et l’affectation des recettes. Il s’agit d’une évaluation minimale de l’impact de l’association sur son terrain incluant le coût du projet global en termes administratifs et de gestion. C’est une question difficile ouvrant la voie à des possibles controverses. Mais dans mon questionnement il y a plus que cela. Ces associations devraient aussi nous dire comment (et par qui) leur action est évaluée (autrement que par les bénéficiaires), et comment elles contribuent au développement politique du pays où elles opèrent. Certaines objecteront que cela n’est pas leur affaire mais dans une perspective durable, la question est décisive. En attendant, l’on ne peut manquer de se demander si elles ne profitent pas en fin de compte des carences politiques locales. Si ces carences sont bien dénoncées régulièrement par tous les témoignages relatés dans leurs bulletins, elles tardent en tout cas à l’évidence à se résorber. Est-ce que les associations peuvent s’unir avec d’autres (mêmes étrangères) qui agissent sur le même terrain d’intervention pour favoriser une démarche politique de réforme? Ne travaillent-elles pas continûment à une trop petite échelle, dans un apitoiement constant ? La fatigue avérée du développement « aidé » dans une partie de l’opinion publique ou politique, fait fond, j’en suis convaincu, sur ce questionnement.
Dans ce contexte, c’est la plateforme du Développement durable de l’ONU qui offre pour le moment, à la société civile comme au monde politique, le cadre prospectif le plus cohérent d’une évaluation générale, cadre dans lequel s’inscrivent d’ailleurs dans une approche encore plus intégrale les lettres encycliques Laudato si’ et Fratelli tutti du pape François. Pour prétendre s’inscrire dans ce plan, certaines ONG étaient certes d’emblée mieux placées que d’autres. Toutes ne doivent donc pas faire une introspection radicale.

François Vandamme est directeur général honoraire des affaires internationales au SPF Emploi, Travail et Concertation sociale
L’expérience des premiers chrétiens
Sur un autre plan, une réponse à ce questionnement est aussi suggérée dans l’autocritique que Mgr Jan Dumon, son ancien directeur, a proposée récemment à l’organisation Missio en Belgique. Celle-ci promeut une démarche de solidarité chrétienne interecclésiale au moyen d’une contribution au Fonds de solidarité universelle de l’Eglise. Le contexte de chrétienté évidente étant révolu, un retour aux sources du projet implique pour Missio de ne plus se laisser entraîner dans la logique des ONG qui appuient des projets particuliers. L’expérience des premières communautés chrétiennes, qui mettaient tout en commun afin que chacun ait selon ses besoins, nous indique le modèle de la vraie solidarité. C’est une spiritualité tout autre, dit-il, que celle qui cherche à contrôler la gestion de son don. Elle est celle du partage fraternel, naturellement accompagnée d’une gestion rigoureuse et exemplaire des dons reçus. Dans des sociétés sécularisées, l’action missionnaire de l’Eglise doit séduire par des manières d’être et de faire contagieuses, qui irradient culturellement et spirituellement nos sociétés. Pour autant, je ne veux pas suggérer que les ONG, qui ne s’inscrivent pas explicitement dans ce projet d’Eglise, ne contribuent aucunement à ces rayonnements irradiants.