Ce 29 novembre, dans le diocèse de Liège comme ailleurs dans l’Eglise catholique, commence une nouvelle année liturgique, appelée « B » ou « saint Marc ». Covid-19, problèmes économiques, inquiétudes face à l’avenir… Il est temps d’entendre un autre message doué d’une force étonnante.

L’évangéliste saint Marc – Vitrail de l’église Saint-Géraud à Monsempron-Libos (Lot et Garonne, France)
L’auteur de l’évangile le plus ancien que nous connaissons serait peut-être Jean-Marc, qui a accompagné Paul (Ac 12,25 ; 13,5.13 ; Col 4,10). On a souvent pensé qu’il avait reçu la prédication de Pierre à Rome, mais ce n’est pas sûr. Par contre, c’est bien Rome qui fut le berceau de l’évangile de Mc. Son auteur l’a rédigé en grec (émaillé de plusieurs latinismes) à l’intention d’une petite communauté pagano-chrétienne qui subit la persécution de l’empereur Néron (vers 63 PC).
Marc encourage sa communauté à rester ouverte, malgré ses épreuves, au monde qui l’entoure. Jésus en a donné l’exemple. Lui-même s’est rendu en territoire païen (5,1-20). Il a accueilli la foi d’une païenne (une « syro-phénicienne » : 7,24-30). C’est un centurion romain qui, aux pieds du Crucifié, prononça cet acte de foi : « Vraiment cet homme était fils de Dieu » (Mc 15,39), écho de la célèbre profession de foi de Pierre en Mc 8,29 : « Tu es le Christ ».
Les relations des premiers chrétiens romains avec leur entourage immédiat ne furent pas simples. Elles reflètent celles que Jésus a entretenues avec ses compatriotes (Marc 6,1-5 nous dit que Jésus fut méprisé par des gens de son peuple et même par sa propre famille).
Une Annonce originale
Marc n’est pas plaintif. Au contraire, il est le héraut d’une « Bonne Nouvelle » (un « Evangile ») qui consiste en ceci : avec Jésus, le « Règne de Dieu », attendu par Israël, a fait irruption dans l’histoire humaine (« Le temps est accompli et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile » : 1,15). Oui, Jésus annonce l’intervention bouleversante, décisive de Dieu dans l’histoire des hommes. Un monde plus juste et plus fraternel n’est plus à attendre pour un avenir lointain : il est « déjà-là », en gestation, même s’il n’est pas encore « tout à fait là ». Dès lors, il convient de rejeter toute attente passive du retour imminent d’un Jésus triomphateur (la « Parousie ») qui éliminera tout danger. Il s’agit, au contraire, de se « retrousser les manches » et de développer une activité missionnaire illimitée afin de donner de la « visibilité » au Règne de Dieu.
Dès le début, Marc se plaît à rapporter les miracles de guérisons opérés par Jésus (6,53-56). Il combat le mal sous toutes ses formes, chez toutes sortes de personnes. De cette façon, il atteste que le « Règne de Dieu » est en route. Certes, il n’en est qu’à ses débuts, mais un bel avenir est à espérer. La parabole de la graine de moutarde (4,30-32) est très claire à ce sujet : un monde nouveau est en germination. Il produira indubitablement son fruit, tel un grand arbre dans lequel de multiples oiseaux viendront faire leurs nids. Et quand bien même sa croissance risquerait-elle d’être freinée par des obstacles imprévus, le résultat final dépassera toute imagination (Mc 4,1-9 : La parabole du semeur).
Mais la mort ignominieuse de Jésus ne signifie-t-elle pas l’échec de sa prédication ? Ne serait-elle pas la confirmation de son caractère singulièrement naïf ? Certes non. La mort du Christ n’est pas la fin de son histoire car le tombeau n’a pu garder le crucifié dans les ténèbres (Mc 16,6-7).
La dynamique concrète du « Règne de Dieu »

Saint-Marc, assis, avec son symbole, un lion ailé soufflant de la trompette et portant un livre. (British Library – Cotton Nero D. IV, f.93v)
Marc oblige les premiers chrétiens à sortir de leur cocon et à s’adresser au monde extérieur.
Dans son enseignement sur l’agir humain, Jésus revient à l’essentiel de la Tora : aimer Dieu de tout son cœur et le prochain (Juif ou autre) comme soi-même (Mc 12,28-34). La Loi de Moïse en tant que Loi écrite n’est donc pas abolie. Elle tient toujours la route, mais il faut la libérer des coutumes superflues, trop culturellement « judaïques » (7,1-13) et de son application trop étroite. Les règles de pureté, par exemple, sont vigoureusement critiquées (Mc 7,1-23) ainsi que la pratique trop stricte du shabbat (2,27). Celle, trop casuistique, du divorce (Mc 10,1-12), l’est également. Une institution, aussi célèbre que le Temple de Jérusalem, est désormais devenue relative (13,2), même si Jésus prend sa défense avec vigueur (11,15-19).
Ce qui compte plus que tout, bien au-delà du strict respect des commandements, c’est de « suivre » Jésus sans tarder (1,16-20 ; 8,34-38 ; 10, 17-30). Perdre contact avec lui, c’est se retrouver dans la situation du jeune homme dépourvu de tout vêtement au moment où Jésus fut arrêté (14,51).
Le Jésus de Marc est un Jésus-avec-ses-disciples qu’il entraîne vers les païens, vers les « périphéries », selon l’expression du pape François. Curieusement, chez Marc, Jésus n’apprécie pas qu’on aille annoncer qu’il est le Messie attendu par les Juifs. Il impose même le silence à ceux qui l’ont reconnu comme tel (7,36 ; 8,30). La raison tient au fait qu’à l’époque, le Messie devait expulser l’envahisseur, ce que Jésus n’a jamais eu l’intention de faire (Mc 12,13-17).
Bref, Marc pousse les chrétiens à aller de l’avant vers le monde. Le récit de la tempête apaisée (Mc 4,35-41) est très clair sur ce point.
Marc aujourd’hui
Il serait bon, dans les circonstances que nous connaissons, de réactualiser l’esprit de l’évangile selon Marc. Ne nous faisons pas d’illusions : le « Règne de Dieu » ne surviendra pas de façon magique, ni dans la société, ni dans l’Eglise. Les difficultés que nous subissons et, plus globalement, la formidable poussée de l’histoire et la démocratisation accélérée des mentalités doivent nous faire passer à un autre mode de « vivre ensemble ». Il convient d’honorer à sa juste valeur le souffle qui se répandra (et qui se répand déjà) sur l’ensemble du peuple chrétien.
C’est à l’imagination et à l’audace que l’Église est appelée dans tous les domaines, pas simplement au plan « religieux ». Retrouver l’essentiel dans nos démarches, comme le Christ de St Marc nous y invite, consiste à œuvrer en actualisant sa dynamique dans tous les secteurs où travaillent les chrétiens. L’« aggiornamento » de l’Eglise ad intra et ad extra n’est pas une simple notion du passé conciliaire, comme si l’Esprit créateur avait déserté le monde de ce temps.
A nous de choisir entre la peur qui engendre l’immobilisme et la foi qui nous invite à collaborer envers et contre tout au projet de Dieu. Pour poursuivre la réflexion :
– J. HERVIEUX, L’Evangile de Marc, Commentaire pastoral, Bayard-Novalis, 1991.
– M. QUESNEL, Comment lire un évangile : saint Marc, Seuil, 1984.
– J.M. BABUT, Actualité de Marc, Lire la Bible, Cerf, Paris, 2002.
– J.M. BABUT, Pour lire Marc : mots et thèmes, Cerf, Paris, 2004
– A. COUTURE et F. VOUGA, La présence du Royaume. Une nouvelle lecture de l’évangile de Marc, Genève 2005.
Méditer avec Marc
Dans notre diocèse, le Père Eric Tiberge de la Communauté du Chemin Neuf qui s’intéresse beaucoup à l’évangile de Marc, lui consacre un cycle lors des mardis « grands déserts » au Carmel de Mehagne. Les prochaines rencontres: l’endurcissement du cœur (08/12); la guérison de l’aveuglement (19/01/2021); le combat spirituel (16/02); le chemin du disciple (13/04); la deuxième conversion (08/06).
Ce parcours dans l’Evangile de Marc aborde quatre questions importantes:
– Pourquoi est-ce si difficile de rester fidèle à notre temps de prière quotidien ?
– Comment trouver du ‘goût’, de la saveur, à l’écoute de la Parole de Dieu ?
– Quel est l’enjeu de nos combats spirituels à la suite du Christ ?
– Comment entrer dans le ‘Royaume’ pour vivre un dialogue intime avec Dieu ?
Une journée de ‘désert’ au Carmel de Mehagne commence par l’office à 9h et se terminera par l’Eucharistie à 12h. La rencontre (2h30) avec l’Evangile se déroule selon ce schéma : topo (45’), prière personnelle ou travail biblique (45’) suivi d’un deuxième enseignement de reprise (45’).
En raison de la pandémie actuelle, le prochain « grand désert » aura lieu sur internet, YouTube (Carmel de Mehagne). Cette approche ‘narrative’ de l’Évangile de Marc s’articulera autour de quatre piliers: lecture continue – prière personnelle – travail biblique – enseignement.
Jean-Philippe KAEFER
Le nombre de places étant limité au Mardis Grands Déserts, il est souhaitable de s’inscrire auprès de sœur Irma (irma.magnette@gmail.com – 0474/67.39.36).