A la suite d'un article paru dans l'hebdomadaire Dimanche n°32, dans lequel Philippe Martin, universitaire français, à la question de savoir si le Covid-19 marquait un tournant, le spécialiste du fait religieux répondait avec l’exemple du monastère d’Hurtebise: "Vu la difficulté à faire venir un prêtre, les religieuses ont décidé de ne plus avoir qu’une messe par semaine. Et cela pendant un an. C’est en contradiction complète avec la règle de saint Benoît!" La communauté d'Hurtebise a tenu à apporter les précisions qui suivent.
La décision récente de la communauté d’Hurtebise de célébrer l’Eucharistie uniquement les dimanches, solennités et jours de fêtes du Seigneur suscite des questions. Nous voulons vous partager le cheminement qui nous a conduites à cette décision.
Un questionnement qui remonte à plusieurs années
Depuis 2012, nous n’avons plus de prêtre résident qui puisse célébrer l’Eucharistie quotidienne pour notre communauté. Depuis lors, nous avons fait appel aux prêtres de la région ou à ceux qui étaient de passage dans notre maison d’accueil, pour assurer ce service. Tout en privilégiant la messe quotidienne, les rares fois où nous ne trouvions pas de prêtre disponible, nous vivions une célébration de la Parole, avec les lectures du jour et la possibilité de communier. Nous voulons rendre hommage ici à tous ces prêtres et à leur dévouement. Nous avons tissé avec eux de beaux liens d’amitié.
Cependant, dès ce moment, cette façon de faire nous interrogeait : la question de l’Eucharistie quotidienne dans le cadre d’une liturgie monastique nous habitait. Au printemps 2020, l’expérience du confinement et du jeûne eucharistique prolongé qu’il a entraîné nous a permis d’approfondir cette question et d’accélérer un processus de discernement. Voici les grands thèmes qui ont guidé et accompagné notre discernement :
Redécouvrir l’importance du dimanche, sommet de la semaine
Durant les premiers siècles du christianisme, l’Eucharistie était célébrée le dimanche, « premier jour de la semaine ». Le symbolisme de ce jour est évident : c’est le jour de la Résurrection. Selon le professeur Louis-Marie Chauvet, il faut comprendre que le dimanche était premier par rapport à l’Eucharistie : ce n’est pas pour célébrer l’Eucharistie que les chrétiens se réunissaient le dimanche, mais c’est parce que les chrétiens se réunissaient le dimanche qu’ils célébraient l’Eucharistie[1]. L’Eucharistie est ainsi située dans son juste moment : elle est en effet le mémorial du mystère pascal tout entier, passion, mort et résurrection du Christ, en ouverture sur la parousie. Le dimanche est le jour par excellence pour célébrer l’Eucharistie et pour constituer, à travers cette liturgie, le Corps du Christ que forme l’Église, en tous ses membres !
Confirmer l’importance de la Liturgie des Heures, base de notre vie monastique
La Liturgie des Heures remonte, elle aussi, aux origines de l’Église. La tradition monastique a mis cette liturgie quotidienne à la première place. Selon la Règle de saint Benoît, il ne faut absolument rien préférer à l’Office Divin. Cette Liturgie des Heures a pour fonction principale de sanctifier le temps. Elle est nourriture de la foi au quotidien et élargit le cœur du priant en une intercession et une louange de plus en plus universelles.
Interroger l’histoire de l’Eglise sur la question de la fréquence
Un regard sur l’histoire nous apprend que la liturgie eucharistique a fortement évolué au cours des temps. Une connaissance de l’histoire permet d’envisager de nouveaux changements dans la fidélité à la tradition vivante. S’il est clair que durant les premiers siècles chrétiens le rythme dominical s’imposait, la question de la multiplication des messes est extrêmement vaste. On constate une grande diversité de pratiques au fil des siècles et selon les lieux. Il y eut un temps, dans l’histoire de l’Église, où des prêtres étaient ordonnés uniquement pour dire la messe. Il est toujours bon de regarder les faits au miroir des situations historiques particulières, par exemple la réaction à la Réforme par le Concile de Trente. Les pratiques furent liées à des justifications théologiques ou spirituelles qu’il est légitime de réinterroger au regard de notre propre époque. La pratique de la messe quotidienne est davantage le fait de l’Église latine que de l’Église d’Orient. Elle est ancienne, mais variable selon les époques. Pour beaucoup de personnes, aujourd’hui encore, elle est l’occasion de s’unir personnellement à l’offrande du Christ et de lui offrir sa journée.
Et dans la tradition monastique ?
Dans la tradition monastique, l’Eucharistie est importante, bien sûr, mais son rythme quotidien ne remonte pas aux origines. Dans sa Règle, saint Benoît n’en parle pas explicitement. Il met l’accent sur le devoir de la Liturgie des Heures, qu’il appelle « Office divin ». La fréquence des messes est liée à la cléricalisation progressive du monachisme, où de plus en plus de moines étaient ordonnés prêtres et tenus de célébrer chaque jour leur propre messe en plus de la messe conventuelle. Cette façon de faire a disparu avec Vatican II, qui a remis en honneur les concélébrations.
Le socle fondamental de la vie monastique se trouve dans le juste équilibre entre prière, travail et vie fraternelle. Or, l’équilibre est une notion dynamique. Il n’est pas dans l’immobilisme, mais dans le mouvement.
Honorer le trésor de la Parole de Dieu qui nous met en communion avec toute l’Église
Afin de ne pas perdre la richesse des textes qui constituent au jour le jour le cycle de l’année liturgique, et afin de rester en communion avec l’Église universelle qui suit ce cycle pas à pas, nous intégrons dans un de nos offices les textes du jour (férie ou jours de fêtes). Cet office devient alors une Liturgie de la Parole (sans communion), préparée avec soin, soit par une sœur de la communauté, soit par un laïc proche de la communauté, soit par un prêtre de passage. Cette façon de faire nous rend beaucoup plus actives et partie prenante de la liturgie communautaire et nous oblige à préparer davantage. Nous ressentons à quel point la Parole de Dieu a, elle aussi, une dimension sacramentelle. Ce cheminement de la semaine aboutit alors au dimanche comme à un sommet, et en repart, comme d’une source.
Des interpellations pour un kairos
Dans un texte qui a largement circulé durant le confinement, Tomas Halik, théologien tchèque, déclare que le temps présent est un kairos pour l’Église : un moment favorable, un tournant à ne pas manquer. Il suggère que les monastères y ont aussi un rôle à jouer : rôle de terreau pour la vie spirituelle, d’école de sagesse et de contemplation, d’approfondissement de la Parole de Dieu. Nous aimerions répondre à ce défi en apportant notre petite contribution à la réflexion de l’Église. Le choix de renouveler notre façon de vivre l’Eucharistie en fait partie. Il se révèle déjà fécond.
La communauté des bénédictines d’Hurtebise
Un article plus long se trouve sur le site : www.hurtebise.eu
[1] Louis-Marie Chauvet, « La fréquence de la célébration eucharistique dans son rapport à l’Eucharistie dominicale », dans La question de l’Eucharistie quotidienne, actes de la session du 17 au 20 septembre 2012 à Ermeton, édité par les Cahiers d’Ermeton, 2013 (édition hors commerce).