Eglises vides et sacrements annulés. La crise actuelle affecte directement la vie de nos communautés. Mais elle suscite aussi des initiatives nouvelles et des gestes de solidarité. Derrière le drame se cache une opportunité. Et si c’était l’occasion d’inventer les paroisses de demain?
C’est l’histoire d’un projet. Cette paroisse brabançonne voulait créer un site web. On en parlait depuis des mois; on le postposait depuis autant de temps. Puis, soudain, parut le coronavirus. Face à l’urgence, quelques geeks se mirent à l’ouvrage. Et le site web apparut. En quelques clics.
C’est l’histoire d’une newsletter. En temps ordinaire, elle était envoyée une fois par semaine aux amis de cette église bruxelloise. Et déjà, elle avait son petit succès. Puis, soudain, parut le coronavirus. La newsletter fut envoyée trois fois par semaine, tripla de volume, et devint un best-seller. « Je n’ai jamais autant lu la lettre », témoigne un paroissien. « En plus des infos, elle m’offre un vrai moment de recueillement. »
C’est l’histoire d’un prêtre hennuyer. En charge d’une unité pastorale reliant dix-huit clochers, il devait, d’ordinaire, se diviser. Puis, soudain, parut le coronavirus. Il décida alors de se multiplier. Du 1er au 17 avril, il prit la route. Chaque après-midi, il s’installa dans l’une des églises, invitant ceux qui le souhaitaient à le rejoindre… tout en respectant les mesures de distanciation. « Je n’ai jamais autant prié que durant ces 17 jours », relit aujourd’hui le clerc. « Comme prêtres, nous avons souvent du mal à trouver de la place pour la prière dans notre travail pastoral. Cette mission itinérante de prière m’a permis de prendre du temps pour l’essentiel. »
Trois exemples. Parmi beaucoup d’autres. Trois initiatives qui ont germé. Et qui pourraient durablement inspirer. Au fond, et si ce confinement offrait à nos communautés l’occasion d’un renouveau?
Une crise sur une autre
Des églises vides, des célébrations annulées, des sacrements reportés… Soyons clair: c’est une période compliquée que traversent nos paroisses. Sur le plan individuel, bien des fidèles ont souffert de vivre la Semaine sainte confinés. Ils regrettent de ne pouvoir communier, d’être éloignés de leurs frères et sœurs. Sans même penser à ceux qui n’ont pu offrir un dernier au revoir à un proche disparu… Sur le plan communautaire, les choses sont aussi difficiles. Des dynamiques sont suspendues, des pélés sont annulés, des projets sont reportés. Et puis, il y a l’incertitude. Quand pourrons-nous retrouver notre paroisse? Célébrer comme avant? Et même: pourrons-nous un jour célébrer comme avant? A ces questions, pour l’heure, point de réponse.
Ce n’est pas tout: cette crise du confinement éclate alors que nos paroisses traversent une période déjà difficile. Sous nos contrées, l’Eglise est en pleine mutation. Les assemblées vieillissent, des clochers sont désacralisés, les prêtres se font rares… Certaines communautés sont fragiles; survivront-elles à l’épreuve du confinement?
A toute vitesse
Retour en arrière. Le 2 mars, par communiqué, les évêques de Belgique demandent aux fidèles d’adopter diverses mesures de précaution lors des assemblées. L’eau est enlevée des bénitiers, les baisers de paix deviennent suspects. Certains paroissiens rigolent encore; ce n’est pourtant que le début. Dix jours plus tard, l’Eglise suspend les célébrations publiques. La mesure est radicale. Brutale. Les paroisses sont prises de court. « Dans les premiers jours, j’ai été complètement déstabilisé », reconnaît Philippe Pardonce, curé de l’Unité pastorale de Gerpinnes. « Car c’est précisément lors des célébrations publiques que je pouvais voir les paroissiens et leur donner des conseils pour vivre individuellement leur vie de foi. Sans être en infraction, j’ai rassemblé en dernière minute les membres de l’équipe d’animation pastorale. Mais à l’époque, je ne savais pas encore si les églises pourraient rester ouvertes… »
Même sentiment d’urgence à Bruxelles. « A toute vitesse, il a fallu inventer d’autres manières de faire Eglise », témoigne Anne Peyremorte, coordinatrice de l’Unité pastorale du Kerkebeek. « Cela s’est fait avec les moyens du bord, avec le sentiment de bricoler. Et en même temps, de partout venaient des idées. » La communauté dégage quelques priorités: garder un lien communautaire vivant, éviter de faire maladroitement ce que des professionnels pourront assumer, veiller à ouvrir la communauté sur l’Eglise et le monde, rester proches des plus vulnérables. Dans la foulée, des initiatives fleurissent.
Un joli bouquet
Etonnante floraison. Voilà qu’un professeur de violoncelle vient offrir ses notes tout au long de la Semaine sainte. Qu’un membre d’une Fabrique d’Eglise illumine l’église vide au seuil de la veillée pascale. Que quelques fidèles glissent le nom de personnes isolées à des prêtres qui pourront leur téléphoner. « En fait, la majorité des initiatives ne me sont pas connues », reconnaît Anne Peyremorte. « A mon sens, les plus belles viennent de personnes qui, au nom de leur baptême, font vivre et vibrer l’Eglise autour d’elles de manière très simple, à la mesure de leurs moyens. »
Evidemment, d’une paroisse à l’autre, les priorités varient. Questions de vision. De moyens aussi. « On a la chance d’avoir quelques personnes compétentes qui, grâce à Facebook, ont pu assurer la retransmission de célébrations en live », témoigne Damien Desquesnes, vicaire à la paroisse Saint-François de Louvain-la-Neuve. « Il a fallu un peu de temps pour ajuster le tir, mais le service rendu est de qualité. Et il aide les paroissiens à rester plongés dans la vie liturgique. » Sur la page Facebook de la paroisse, les commentaires sont élogieux: « Heureuse d’être parmi vous pour ce moment de partage », « merci pour cette célébration dont nous avons besoin »…
Discerner de nouveaux lendemains
Bien sûr, le temps de la relecture n’est pas encore venu. Il n’empêche. Ceux qui en ont l’occasion se mettent déjà à penser: de quoi ce confinement est-il le signe – ou l’annonce? A quoi invite-t-il l’Eglise – ou contre quoi la met-elle en garde? Car, l’air de rien, les questions soulevées ne sont pas minces. Quel est l’essentiel pour un croyant? Qu’est-ce qui manque vraiment en ce temps de confinement? Peut-on concevoir une vie de foi sans prêtre? Certains le susurrent: la période pourrait préfigurer cette « Eglise en sortie » à laquelle nous appelle le pape François…
A Bruxelles, Claude Lichtert suggère de ne pas trop attendre pour réfléchir. Ce prêtre est responsable du service Formation du Vicariat. « Dans cette fonction, on a le luxe, et même le devoir, de poser des questions qui dérangent, de prendre du recul », explique-t-il. « Je veux bien jouer ce rôle de poil à gratter. » L’homme n’a pas traîné. Début avril, il a proposé d’organiser une petite enquête auprès des unités pastorales de la capitale. Parmi les questions, celle-ci: « Quelles sont les activités maintenant suspendues dont je souhaiterais qu’elles ne reprennent pas? » Claude Lichtert s’explique: « Pour bien des personnes engagées dans l’Eglise, cette période est belle. Je sens les gens apaisés. Ils ne sont plus envahis de réunions, sont davantage disponibles pour l’écoute… » Supprimer certaines choses? Pour en inventer d’autres? « C’est maintenant qu’il s’agit de réenvisager notre ecclésialité post-confinement. C’est même peut-être maintenant ou jamais », pressent Claude Lichtert. « J’aimerais que l’Eglise se décléricalise. Qu’elle puisse offrir des lieux d’échange et de rencontre, ouverts aux personnes qui y sont engagées comme aux autres. »
A quoi ressemblera l’Eglise de demain? Toutes les personnes que nous avons interrogées le pressentent: pour nos communautés, il y aura un avant et un après. « Le confinement et ce qui s’ensuivra nous obligeront à vivre des changements, à détrôner les habitudes », prédit Philippe Pardonce. « Mon unité pastorale sortira sûrement différente de ce temps », abonde Anne Peyremorte. « J’espère que ce sera avec force et avec joie, avec des chrétiens debout, continuant à déployer leur vocation baptismale. »
Vincent DELCORPS
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