Ordonné prêtre en 2015, aujourd’hui vicaire dans la région verviétoise, Thomas Sabbadini est contraint, comme la majorité des Belges, à rester chez lui. Depuis la mi-mars, il célèbre la messe sur YouTube, mais continue d’assurer la liturgie des funérailles. Il nous livre son témoignage de « prêtre confiné ».
« La première semaine, j’ai beaucoup dormi », confie Thomas en toute sincérité. « Mon agenda s’est vidé d’un seul coup », poursuit-il. Ayant accumulé beaucoup de fatigue, le prêtre en a donc profité pour se reposer, regarder des films… Préparé à cette vie de solitude par sa formation au séminaire, il reconnaît que, pour l’instant, « ce n’est pas trop dur ». Le confinement nous place en fait dans les conditions d’une retraite, seul face à soi-même, loin de nos occupations habituelles. « C’est ce que beaucoup de gens découvrent maintenant, moi je l’ai déjà vécu, je connais les moments de découragement, de remise en question, de manque mais aussi de découverte. »
Rester connectés
Quand il a appris la suspension de toutes les célébrations, Thomas a tout d’abord pensé: trois semaines sans boulot et grasse matinée. « Dormir le dimanche matin, pour un prêtre, c’est une expérience heureuse », avoue avec humour le jeune vicaire. Mais rapidement, il se forge cette conviction qu’« il faut faire quelque chose pour les gens », afin de continuer à prier ensemble. Thomas constate que le réseau paroissial s’est presque naturellement déplacé vers les réseaux sociaux. « J’ai toujours trouvé que les cathos n’étaient pas assez présents sur internet. » Voici donc que le confinement a quelque peu changé la donne, Facebook étant devenu le lieu de retrouvailles des paroissiens confinés. Le numérique a donc suppléé le manque et comblé en partie l’absence de contact. Mais les réseaux sociaux font souvent fi des nuances. La vigilance reste donc de mise. Le jeune prêtre reçoit aussi quelques coups de téléphone de ses paroissiens plus âgés. Il a d’ailleurs été submergé d’appels à l’approche des Rameaux, recueillant les inquiétudes quant à la bénédiction des précieuses branches de buis. Loin de l’exaspérer, ces demandes sont autant de leviers, d’occasions pour accrocher, « les gens se posent des questions, ils cherchent et avancent sur leur chemin de foi ». Ce confinement a aussi permis à certains de renouer avec la prière, affirme Thomas.
La messe 2.0
« L’Eglise, c’est une assemblée », une réalité fondamentale pour Thomas qui a donc choisi de célébrer sur le net en direct. Et son expérience des jeux vidéo lui a été d’une grande utilité pour concevoir sa messe interactive. Thomas s’est en fait inspiré des « live », sessions de jeu partagées en direct au sein de la communauté des joueurs. « Je n’avais jamais fait de live avant cela mais je disposais du matériel et j’avais déjà pensé à un projet de ce style, c’était donc l’occasion de me lancer. » Le 15 mars, Thomas célèbre pour la première fois en direct sur Facebook une messe à laquelle « assistent » 80 personnes. Mais l’exercice est bien différent, Thomas ne voit pas et ne connaît pas le nom de ceux qui le regardent, sauf quand ils laissent des commentaires. Il réserve pourtant beaucoup de place à la parole des autres, les lectures sont notamment confiées à des paroissiens qui ont enregistré leurs voix. Après la lecture de l’évangile, le jeune prêtre réagit spontanément aux commentaires et questions de ses ‘followers’ qui lui transmettent également leurs intentions de prière. Une manière différente de faire communauté, de prier ensemble.
Revenir à l’essentiel
« Avant le confinement, c’était déjà très dur de ne pas pouvoir se donner la paix du Christ », raconte Thomas, alors privé du seul vrai moment d’interaction personnelle dans la liturgie où prime la dimension communautaire. Le vicaire trouve aussi que « les chants, c’est mieux en vrai, avec les gens, ça me manque ». Si aujourd’hui, « on fait avec les moyens du bord », pourquoi ne pas se questionner sur nos assemblées dominicales et surtout revenir à l’essentiel. « Quand je célèbre en ligne, je prends mon calice, ma patène, un pot de lait comme burette, mon lectionnaire, je n’ai pas besoin de plus pour faire la messe. » Un autre point positif est que son bureau, sur lequel il célèbre, est désormais bien rangé!
Thomas constate aussi que certaines personnes suivent plus de messes maintenant. Et ajoute: « On ne mesure jamais assez le fait que la messe, c’est difficile. C’est une épreuve quand on ne connaît pas, qu’on ne sait pas ce qui s’y passe. » Et si ces messes en live, plus didactiques, ne remplaceront jamais les célébrations en assemblées, elles sont une porte d’entrée pour ceux qui s’en sont éloignés. Les contacts virtuels ne sont pas faux, la présence physique permet toutefois un tout autre rapport. « Je suis en manque de messes », avoue Thomas pour qui l’eucharistie, « c’est avec des gens » avant tout. Il se réjouit donc de revoir ses paroissiens, de les croiser à nouveau sur le parvis de l’église mais aussi dans la rue.
Semaine sainte
Le confinement impacte fortement la vie ecclésiale, mais « la Semaine sainte est toujours une semaine particulière pour les chrétiens ». C’est plutôt le report de la messe chrismale qui attriste Thomas, déçu de ne pouvoir concélébrer avec ses confrères. Mais la décision de Mgr Delville de reporter – et non pas de supprimer – cette célébration réconforte le jeune prêtre. Pour les offices de la Semaine Sainte, ce sera comme les autres années, si ce n’est que le travail de préparation aura coûté quelques nuits blanches de montage pour assurer les trois célébrations on line des jeudi, vendredi et samedi saints. Seul bémol, « on ne pourra pas se réjouir ensemble après »; en effet, Thomas avait pris l’habitude d’inviter quelque amis et collaborateurs chez lui pour partager le gâteau et le champagne de Pâques. Un moment de convivialité sur lequel il faudra faire l’impasse cette année.
Funérailles
Privé de célébrations eucharistique publiques, Thomas est encore autorisé à célébrer des funérailles en comité très restreint. « Nous devons célébrer soit en plein air soit dans les cimetières, avec un maximum de quinze personnes, y compris le personnel communal et des pompes funèbres. » La situation est évidemment difficile, le deuil encore plus. « Je ne peux pas manifester ma sollicitude de manière physique ni même donner un mouchoir à un proche en pleurs. » « C’est horrible, nous dit Thomas, mais les célébrations n’en sont pas moins dignes. » Si la pastorale des funérailles est, en tout temps, la plus délicate à aborder, parce qu’elle concerne des gens qui souffrent, « on apprend à gérer, à avoir les bonnes paroles, et aujourd’hui elles sont très concentrées ». Thomas rassure: « Nous ne sommes pas complètement démunis, le rituel des funérailles est une boîte à outils » dans laquelle puiser pour trouver les mots et les gestes adaptés à chaque situation.
Et demain?
Cependant, il constate que les gens ont « peur de se contaminer mutuellement », « on sent une certaine tension quand le défunt est décédé du Covid-19 ». On peut lire sur le visage des gens: « Je n’ai pas envie de choper ce truc-là ». Le jeune prêtre est toutefois convaincu que notre monde peut changer mais craint que nous ne tombions dans une autre extrême. « Ce serait moche qu’on n’apprenne rien de cela. »
Le jeune prêtre refuse toutefois de considérer cette crise comme une occasion, voire une opportunité. « Pour moi, une pandémie, c’est une catastrophe, à la rigueur un révélateur ».
Sophie DELHALLE
© Jérémy Rindone