Ces samedi 30 et dimanche 31 mars, le pape François sera à Rabat, la capitale du Maroc. Quelle place occupent les autres religions dans ce pays multiconfessionnel ? Eléments de réponse avec Driss El Yazami.
Sur les 35 millions d’habitants que compte le royaume, on estime à 40.000 le nombre de chrétiens vivant dans le pays. Parmi eux 23.0000 sont catholiques (le pays compte deux diocèses et 35 paroisses). Pour autant, "le Maroc a toujours été un pays multiconfessionnel", explique Driss El Yazami (photo ci-contre). A 66 ans, ce militant préside encore toujours le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME). Cet homme infatigable, qui a passé quelques mois en prison sous le roi Hassan II, était aussi le président du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) au pays de la dynastie des Alaouites, de mars 2011 à décembre 2018.
En 2011 en effet, le Maroc s’est doté d’une nouvelle Constitution, qui prône dans son article 3 que "l’islam est la religion de l’Etat, qui garantit à tous le libre exercice des cultes." Il y a même une petite communauté de bahaïs au pays. "Dans les années soixante, leur leader avait été condamné à mort, confie El Yazami, mais il a obtenu l’amnistie. Les bahaïs vivent leur croyance discrètement, mais en paix et leur leader a même pu publier sa biographie."
Commandeur des croyants
Le libre exercice du culte prôné par la Constitution marocaine porte surtout sur les monothéismes. Le roi alaouite – descendant direct du Prophète Mahomet – est aussi, d’après l’école juridique des malékites , le chef spirituel du pays, le "Commandeur des croyants". Il protège tous les Ahl al-Kitāb (les Gens du Livre ou Fils de la Révélation) y compris ceux du Tawrat (la Thora) et de l’Indjil (l’Evangile) honorés expressis verbis dans le Coran.
Le judaïsme marocain est une grande réalité historique, en témoigne entre autres la ville de Meknès et les synagogues implantées dans de nombreuses autres villes. Avant la création de l’Etat d’Israël, les juifs étaient évidemment bien plus nombreux qu’aujourd’hui. "Mais nous sommes le seul pays musulman au monde à avoir créé un musée du judaïsme", dit El Yazami, "et le Conseil des droits de l’Homme a contribué à la publication de livres sur la rénovation des cimetières juifs.".
Le nombre de chrétiens était jadis aussi bien plus nombreux. "N’oubliez pas que saint Augustin était maghrébin! Mais avec le départ des minorités chrétiennes après l’Indépendance du pays en 1956, certaines églises ont été transformées en centres culturels. Aujourd’hui, il y a un retour des chrétiens. Il ne s’agit pas seulement d'immigrants sub-sahariens ou de jeunes cadres européens, mais aussi de retraités allemands, belges ou français qui viennent vivre au Maroc."
Nouvelles églises
Driss El Yazami plaide dès lors pour la construction de nouvelles églises là où c'est nécessaire. "De même que l’islam a eu besoin d’avoir des lieux de cultes en Europe, à la suite de l’immigration, et les a obtenus, il faudra envisager la construction de nouveau lieux de culte chrétien chez nous. Il n’y a pas encore de projets concrets, mais je sais qu’il y a eu discussion entre l’ancien archevêque de Rabat, Mgr Vincent Landel, et le ministère de l’Intérieur à ce propos."
El Yazami mentionne aussi les protestants et les évangéliques. "Il y a une visibilité croissante de Marocains musulmans convertis, généralement par suite de l’action des évangélistes. A la demande de ces musulmans convertis, le Conseil national des Droits de l’Homme les a reçus l’année dernière. Comme la nouvelle constitution garantit aussi la liberté de penser, la question de l’apostasie se pose également. Personnellement, je crois que même sur cette question délicate, il y a des transformations dans la société marocaine que parfois on ne devine pas."
Benoit LANNOO
La Déclaration de Marrakech
Le pape François ne va pas sans raison au Maroc, tout comme il n’a pas été par hasard à Abou Dhabi. De même qu'il n’entretient pas fortuitement de très bonnes relations avec le grand-imam de l’université Al-Azhar au Caire. François met le pied dans la porte chaque fois que celle-ci s’ouvre sur plus de liberté religieuse dans le monde musulman.
Au Maroc, la brèche dans la porte est double: d’une part, il y a la tradition millénaire du vivre- ensemble des Gens du Livre dans le pays, mais d’autre part, il y a aussi la Déclaration de Marrakech. Il ne s’agit pas ici du Pacte sur la migration des Nations-Unies qui a fait tellement de remous fin de l’année dernière, mais bien d’une déclaration "sur les droits de minorités religieuses dans le monde islamique", approuvée le 27 janvier 2016 lors d’une conférence internationale organisée à l’instigation du roi Mohammed VI par le ministère marocain des Habous et Affaires islamiques et par une fondation basée aux Emirats Arabes Unis, le même pays où le pape François et le grand-imam Ahmed Al-Tayyeb d’Al-Azhar ont cosigné en février une Déclaration sur la fraternité humaine.
Dans la Déclaration de Marrakech, quelque trois cents responsables musulmans venus du monde entier ont déclaré la charte de Médine – un texte attribué au Prophète Mohammed sur les rapports entre les premiers croyants et les tribus juives – comme "base de référence pour garantir les droits des minorités religieuses en terre d’islam". Une Déclaration de Marrakech qui ne parle plus de pays musulmans mais de pays à majorité musulmane! Et dans laquelle les rédacteurs sont d’accord pour que "la pratique de l’ijtihād" – c’est-à-dire l’effort de réflexion – tienne compte du contexte dans lequel les prescriptions religieuses ont été révélées. Il est dès lors "indispensable que les dispositions changent selon les époques".
La Déclaration de Marrakech conclut par l’affirmation selon laquelle "il n’est pas autorisé d’instrumentaliser la religion aux fins de priver les minorités religieuses de leurs droits dans les pays musulmans". Reste à voir cependant à quel point tous ces beaux principes seront concrétisés! Ce sera le cas le jour où une jeune femme marocaine pourra sans problèmes se marier avec un chrétien sub-saharien ou qu’un jeune musulman pourra ouvertement dire qu'il est agnostique ou athée. Nous n'en sommes pas encore là, mais le pape François se rend bien compte que la tolérance de religion, de culte ou d'opinion, devenue monnaie courante dans le monde chrétien, n'a été acquise qu'après de longues discussions et de longs combats spirituels. (B.L.)