Déclaration de Mgr Vigano : des fautes non démontrées


Partager
Déclaration de Mgr Vigano : des fautes non démontrées
Par Christophe Herinckx
Publié le - Modifié le
5 min

Mgr Vigano

Dans une déclaration rendue publique le 25 août dernier, l’ancien nonce Mgr Vigano accuse le pape François d’avoir protégé un cardinal abuseur. Si le document rapporte certains faits, ceux-ci ne permettent pas d’établir que le pape a commis une faute dans ce dossier.

"Je dirais simplement ceci: lisez le document attentivement et faites-vous votre propre jugement personnel. Moi je ne dirai pas un mot sur cela. Je crois que le document parle de lui-même". C’est en ces termes que le pape François a répondu à un journaliste qui lui demandait, dans l’avion qui le ramenant d’Irlande à Rome le 26 août, de réagir à la déclaration pubiée, la veille, par Mgr Carlo Maria Vigano, ancien nonce apostolique aux Etats-Unis. Comme on a pu le lire et l’entendre abondamment dans les médias, cette déclaration accuse le pape François d’avoir protégé l’ex-cardinal McCarrick, ancien archevêque de Washington qui, pendant des années, aurait abusé de jeunes prêtres et de séminaristes.

Nous nous sommes essayé à l’exercice proposé par le pape, et nous pouvons en conclure qu’il avait raison: ce document de l’archevêque Vigano parle de lui-même. Tout en rapportant certains faits – dont nous présumons a priori que Mgr Vigano dit la vérité à leur sujet –, ceux-ci ne démontrent pas que le pape François aurait commis des fautes dans la gestion du "dossier McCarrick".

L’archevêque Vigano, qui termine sa lettre en demandant au pape de démissionner, ne fonde ses graves accusations que sur des sentiments, des interprétations, des hypothèses présentés comme des évidences déduites des faits rapportés. Pourtant, rien ne permet de relier ces faits à des manquements supposés du pape. Des manquements qui ne peuvent être exclus, mais qui sont très loin d’être démontrés à ce stade.

Quelques faits

Quels sont les faits rapportés par la lettre de Mgr Vigano? Il s’agit essentiellement de plusieurs rapports que deux nonces successifs ont envoyé au Saint-Siège, l’un à la fin de l’an 2000, l’autre en 2006. Ces rapports relayaient des informations selon lesquelles Theodore McCarrick se serait rendu coupable, depuis la fin des années 1980 d’abus sexuels sur des séminaristes et des prêtres. A cette époque, on ne parlait donc pas d’abus sur mineurs..

Si Mgr Vigano a été informé de ces dénonciations successives, c’est en tant qu’il travaillait alors à la Secrétairerie d’Etat du Vatican, où il occupait une fonction importante. Lui-même, selon ses propres dires, a également transmis une note à ses supérieurs, mais sans que ceux-ci – successivement les Secrétaires d’Etat Angelo Sodano et Tarcisio Bertone – ne prennent de quelconque mesure en réponse aux accusations relayées.

Jusqu’à ce que le pape Benoît XVI soit lui-même directement informé de la situation, en 2008, et que celui-ci prenne des sanctions secrètes à l’encontre du cardinal McCarrick, en 2009 ou 2010. Sanctions qui impliquaient, selon Mgr Vigano, "qu'il (McCarrick) lui était interdit de célébrer la messe en public, de participer à des réunions publiques, de donner des conférences, de voyager, avec l’obligation de se consacrer à une vie de prière et de pénitence".

Autre fait rapporté par Mgr Vigano: le 23 juin 2013, alors qu’il était entre-temps devenu nonce, Mgr Vigano aurait rencontré le pape François en tête-à-tête. François lui aurait demandé ce qu’il pensait de McCarrick, et Vigano lui fait aurait fait part du dossier qui existait à son encontre, et des sanctions que Benoît XVI lui aurait imposées. Le pape n’aurait alors montré aucune réaction.

Des accusations infondées

C’est à partir de là que Mgr Vigano, dans sa déclaration, accuse le pape François: à compter de 2013, le cardinal McCarrick, qui avait alors 83 ans, aurait entrepris d’importants voyages, ce qui indiquerait que les sanctions contre lui n’étaient plus appliquées par le pape François. En d’autres termes : le pape couvrait désormais McCarrick, malgré les informations dont il disposait au sujet de ce dernier.

Pire, François aurait fait de McCarrick l’un de ses proches conseillers, suivant en particulier ses conseils dans la nomination de différents évêques aux Etats-Unis. Ce n’est que récemment, en juillet 2018, que François aurait renouvelé les sanctions contre McCarrick, désormais âgé de 88 ans, allant jusqu’à l’exclure du Collège des cardinaux. La raison de ces "nouvelles" sanctions: des accusations d’abus sur mineurs, par McCarrick, ont désormais été dévoilées, de sorte le pape aurait désormais été contraint de le désavouer publiquement, pour sauver sa réputation dans les médias.

Or, à cette étape de son document, Mgr Vigano ne donne plus aucun fait à l’appui de ces graves accusations. Le fait que François aurait fait de McCarrick l’un de ses proches conseillers, alors qu’il n’était plus archevêque en exercice depuis 2006, n’est étayé par aucun élément probant.

Sanctions présumées et sanctions réelles

Par ailleurs, les sanctions que Benoît XVI aurait imposées à McCarrick, si elles sont réelles, n’ont manifestement jamais été réellement appliquées. En effet, McCarrick n’a pas attendu l’élection du pape François pour, comme le dit Vigano "se sentir à l’aise", c’est-à-dire: circuler librement, aux Etats-Unis, à l’étranger, et même… au Vatican, où on le verra plusieurs fois concélébrer l’eucharistie, ou s’entretenir avec Benoît XVI. Cela, ce sont des faits avérés et vérifiables, dont témoignent notamment des photos publiées entre-temps. D’où cette conclusion: François n’a pas eu besoin de lever des sanctions pour "libérer" McCarrick.

Autre élément troublant: Mgr Vigano lui-même assistera à la remise d’un prix à McCarrick le 2 mai 2012, dans un grand hôtel new-yorkais, le félicitera publiquement et posera, apparemment sans aucune gêne, sur une photo en compagnie du cardinal abuseur…

Mgr Vigano, dans son document, exonère Jean-Paul II et Benoît XVI de tout manquement, tout en chargeant violemment François. Cette différence de traitement ne trouve cependant pas de réelle justification. Toujours est-il que, si l’existence des sanctions de Benoît XVI sont une possibilité, celles de François à l’encontre de McCarrick sont une réalité. Et ce qui a motivé ces sanctions de François, c’est le fait que, désormais, McCarrick a été accusé d’abus sur mineurs. Cela, ce sont des faits.

Christophe Herinckx

 


Dans la même catégorie