Alors que le gouvernement allemand risque de se déchirer sur la question migratoire et au moment où des pays prennent des mesures dures à l’égard des réfugiés, il est peut-être temps de briser certaines idées préconçues.
La migration reste un sujet clivant, y compris au sein du monde chrétien. Le dernier sommet de l’Union européenne, consacré principalement à la crise des migrants, l’a encore prouvé. Les préjugés à l’égard des réfugiés et des migrants sont nombreux. En Belgique et en Europe, si on ne peut vraiment parler de « chasse » aux migrants, il faut reconnaître que nous n’en sommes pas loin. Tout est mis en place pour fermer les frontières et durcir les politiques d’accueil, parfois au mépris des lois internationales sur l’asile et le secours à apporter à tout être humain en difficulté, quelle qu’en soit la cause. Pire encore, on vise à criminaliser l’action de certains citoyens qui viennent en aide ou hébergent des migrants!
Tel un venin qui se répand silencieusement dans le sang, l’idée d’envahissement a fait son chemin jusqu’à devenir pour beaucoup une réalité. Alors que c’est faux.
Dans son rapport annuel sur les « Tendances mondiales 2017 », le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), rejette l’idée reçue – et politiquement exploitée – selon laquelle les réfugiés se trouveraient pour la plupart dans les pays de l’hémisphère nord. C’est le contraire souligne le HCR: ce sont les pays en voie de développement qui accueillent près 85% des réfugiés relevant du mandat du HCR, soit 16,9 millions de personnes. Or, beaucoup de ces pays d’accueil vivent déjà dans des conditions de grande misère.
La vérité des chiffres
Selon le rapport de l’agence onusienne, le Liban, la Jordanie et la Turquie sont les terres où l’accueil est généreux. Le pays dirigé par Recep Tayyip Erdogan accueille 3,5 millions de réfugiés, principalement syriens, qui ont fui leur pays pour échapper aux combats. Si on compare le nombre de réfugiés accueillis par rapport à la population nationale, au moins une personne sur six est un réfugié au Liban! Le pays du Cèdre reste celui qui accueille le plus grand nombre de réfugiés. En Jordanie, cette proportion est d’une personne sur 14 et d’une sur 23 en Turquie. Et on ose parler « d’invasion » dans nos contrées? Précisons encore que la Jordanie et le Liban n’ont pas adhéré à la Convention de Genève sur le droit d’asile. Dès lors, de nombreux réfugiés ayant trouvé l’asile dans ces deux pays se trouvent dans un vide juridique.
A la lecture des chiffres, on constate sans difficulté que la situation est alarmante sur l’ensemble de la planète. Fin 2017, on recensait 68,5 millions de réfugiés, déplacés internes et demandeurs d’asile dans le monde, contraints de fuir leur pays à cause de guerres, des violences et des persécutions! Un triste record jamais atteint jusqu’ici. Dix ans plus tôt, le nombre de personnes déplacées était de 42 millions. Et même si on prend en considération les quelque 5 millions de personnes qui ont pu rentrer chez elles en 2017, plus de 16 millions d’êtres humains sont devenus des personnes « déracinées » l’an dernier, soit un habitant de la planète sur dix. Notons que 52%, soit plus de la moitié, ont moins de 18 ans, dont 174.000 enfants non accompagnés et séparés de leurs familles, selon le quotidien américain The New York Times.
D’autres chiffres interpellent. Alors que l’on parle généralement de migrants ou de réfugiés, en mélangeant les deux catégories, il faut savoir que parmi les 68,5 millions de personnes ayant fui leurs pays, 25,4 millions sont des réfugiés proprement dits – dont près de 5,4 millions sont des Palestiniens relevant de la compétence d’une autre agence spécialisée des Nations-Unies, à savoir l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) -, c’est-à-dire des personnes qui ont quitté leur foyer et leur terre pour se rendre dans un autre pays, 40 millions sont des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et 3,1 millions sont des demandeurs d’asile. Pour cette dernière catégorie, leur nombre a augmenté d’environ 300.000 unités en 2017. Il a en revanche baissé d’autant chez les déplacés « internes ». Les pays qui comptent le plus grand nombre de personnes déplacées sont la Colombie (7,7 millions), puis la Syrie (6,2 millions), et la République démocratique du Congo (4,4 millions).
Quelle la situation en Europe ?
Fin 2017, le Vieux Continent a accueilli environ 6,1 millions de réfugiés. Toutefois, si l’on exclut la Turquie, qui prend en charge actuellement 3,5 millions de réfugiés au terme d’un accord peu glorieux signé avec l’Union européenne, ce chiffre tombe à 2,6 millions. On le constate: nous sommes loin d’un envahissement!
Si aujourd’hui, Berlin fait marche arrière dans l’accueil des migrants et réfugiés (la chancelière Angela Merkel voulant éviter une implosion de sa coalition et notamment de son alliance avec la CSU bavaroise), l’Allemagne est la seule nation européenne à figurer parmi les dix pays les plus accueillants. En 2015, le gouvernement de l’époque a décidé d’ouvrir les portes du pays aux réfugiés: 970.400 réfugiés, dont 496.700 Syriens et 130.600 Irakiens, résidaient outre-Rhin, fin 2017. L’Allemagne arrive donc à la 6e place dans le classement du HCR.
Si l’Europe perçoit cette présence de migrants et de réfugiés sur son territoire, comme une véritable invasion, l’incidence des réfugiés sur la population des différents pays reste faible. Les deux pays où le rapport entre le nombre des réfugiés et celui des habitants est le plus élevé sont la Suède et Malte, avec respectivement 23,4 et 18,3 réfugiés pour mille habitants (données HCR de 2016). Et même si les côtes italiennes constituent l’un des principaux points d’entrée des réfugiés en Europe, l’Italie se trouve au bas de l’échelle avec 2 réfugiés pour mille habitants.
Selon l’accord conclu lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernements de l’UE, fin juin, la Commission et le Conseil vont devoir explorer les possibilités de créer dans des pays tiers, surtout africains, des « plateformes de débarquement »des migrants récupérés en mer, en collaboration avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisation internationale pour les migrations. Ces plateformes devraient distinguer les migrants économiques des personnes qui peuvent prétendre à l’asile. Reste à savoir ce qu’il adviendra des personnes qui fuient la misère, ces fameux « migrants économiques »! De même, l’accord prévoit aussi que les migrants et candidats réfugiés qui sont parvenus jusqu’en Europe seront transférés dans des centres installés dans les Etats membres, sur base volontaire. C’est dans ces centres que seront distingués les « migrants irréguliers » de ceux qui ont besoin d’une protection internationale. Question: que fera-t-on des « irréguliers »? Enfin, l’engagement « honteux » signé avec la Turquie sera poursuivi. Il est prévu de débloquer la deuxième tranche des 3 milliards d’euros versés à Ankara dans le cadre du plan UE-Turquie, en vertu duquel le pays d’Erdogan s’est engagé à empêcher les migrants de prendre la mer Egée pour rejoindre la Grèce. Dans le même temps, 500 millions d’euros vont être transférés dans le Trust Fund for Africa, à destination des pays africains censés remplir la même mission.
Nouveau plan d’action
Face à cette situation, tout le monde convient de la nécessité de mettre en place des solutions humaines pour ces personnes cherchant à trouver asile ailleurs et ayant tout quitter pour fuir les combats, conjuguées à des mesures visant à coordonner et réglementer la politique d’accueil. Car, la migration reste le grand défi actuel et, comme le soulignait le Secrétaire général de l’ONU António Guterres, le phénomène est inévitable.
Dans cette perspective, le diplomate italien Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a exprimé sa solidarité avec les réfugiés et les communautés qui les accueillent, à l’occasion de la Journée mondiale du réfugié le 28 juin. Il a annoncé que quatorze pays expérimentent un nouveau plan « qui entend répondre à la situation des réfugiés à travers le monde, de manière globale, sans laisser des pays ou communautés livrés à eux-mêmes ». Ce plan d’actions sera présenté en octobre prochain à l’assemblée générale des Nations-unies. L’objectif est d’en faire bénéficier tous les réfugiés et pas seulement ceux qui se trouvent dans des conditions désespérées.
Il est en effet plus que temps que l’ensemblke des nations de notre planète prenne ce dossier. Le phénomène a pris tellement d’ampleur qu’on ne peut plus trouver des solutions partielles, ne fonction des pays ou même des continents. Il faut travailler pour que les murs tombent mais surtout pour que les mentalités évoluent. On ne doit plus permettre que des migrants recueillis en mer Méditerranée – le plus grand cimetière au monde, hélas –soient rejetés d’un pays à l’autre comme lors de l’épopée de l’Aquarius fin juin. Il faut tenter de mettre fin à des politiques inhumaines comme celle de tolérance zéro du président américain Donald Trump ou comme la nouvelle loi approuvée par le Parlement hongrois, interdisant aux aux ONG de venir en aide aux migrants. Il en va de l’avenir de notre humanité.
Jean-Jacques Durré
© Photos: UNHCR, US Coast Guards, Irish Marine