A l’occasion d’un discours unique devant les évêques de France, tenu le 9 avril, le président français Emmanuel Macron, a dit vouloir « réparer » le lien « qui s’est abîmé » entre l’Eglise et l’Etat. Il rend ainsi une place au spirituel dans les débats publics.
C’était une première en France: le président de la République Emmanuel Macron est allé à la rencontre des catholiques français, dans le cadre d’une invitation de la Conférence des Évêques de France organisée au collège des Bernardins à Paris. Dans un pays ou la séparation de l’Etat et de l’Eglise est un sujet hautement sensible, cette présence du chef de l’Etat n’est pas passée inaperçue tant du côté catholique qui s’en est félicité, que du côté de la gauche qui considère cette rencontre au sommet comme une remise en cause du principe de la laïcité.
L’étoffe de la Nation
C’est à ce sujet qu’Emmanuel Macron a eu les mots les plus audacieux. « L’Eglise n’est pas tout à fait du monde et n’a pas à l’être. Mais cela n’exclut pas la reconnaissance mutuelle de nos forces et de nos faiblesses, de nos imperfections institutionnelles et humaines », a-t-il déclaré, en poursuivant, « je considère que la laïcité n’a certainement pas pour fonction de nier le spirituel, ni de déraciner de nos sociétés la part sacrée qui nourrit tant de nos concitoyens ». Précisant encore sa vision de la laïcité, il a rajouté: « Je ne suis ni l’inventeur, ni le promoteur d’une religion d’Etat substituant à la transcendance divine, un credo républicain. » Le locataire de l’Elysée a déploré que les politiques de France ont trop longtemps méconnu les catholiques d’outre-Quiévrain, ce qui à ses yeux, constitue « une impasse qui n’est plus tenable à l’heure où l’étoffe de la nation menace de se déchirer ». Cela rappelle la phrase du pape saint Jean-Paul II, dans l’homélie désormais célèbre qu’il prononça à l’aéroport du Bourget le 1er juin 1980: « France qu’as-tu fait des promesses de ton baptême? »
Cette vision de la laïcité qui tourne le dos à ceux qui veulent écarter les religions du débat public a fait l’objet de nombreuses réactions dans les milieux de gauche en France. Dans un langage mesuré, le président du Parti socialiste, Olivier Faure a rappelé qu’en République laïque, « aucune foi ne saurait s’imposer à la loi », tandis que dans la France Insoumise, Jean Luc Mélenchon a stigmatisé un Macron « en plein délire métaphysique ». Dans les rangs catholiques, le discours d’Emmanuel Macron, qui a multiplié les références au philosophe Emmanuel Mounier et à Blaise Pascal, a résonné comme une invitation à oser prendre la parole dans le débat public, tout en rappelant que l’Eglise n’est pas « la gardienne des bonnes mœurs, mais source d’incertitude qui parcourt toute vie et qui fait de la question, le cœur même du sens ».
Le sens du bien commun
Une fois ce cadre posé, Emmanuel Macron a abordé les questions qui fâchent, à l’image de ce qu’il attend d’une Eglise « intempestive ». Sur la question des migrants, il a habilement appelé à la « conciliation du droit et de l’humanité », en d’autres termes à la « prudence », cette vertu aristotélicienne du gouvernant confronté à la nécessité humaine d’accueillir mais également à celle, politique et juridique d’héberger et d’intégrer. Un credo qui rejoint celui d’une partie de l’Eglise, laquelle parmi les témoins invités ce 9 avril à la tribune des Bernardins, n’a pas fait place à la figure du migrant, pourtant objet de toutes les polémiques dans le débat public depuis trois ans.
Les questions de bioéthique n’ont en revanche pas été laissées de côté par le président français. S’il fait appel à l’Eglise pour contribuer à définir un sens commun, il rappelle que sa voix ne peut être « injonctive », mais seulement « questionnante ». Devant Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des Évêques de France, qui a rappelé que l’Eglise se demandait si l’on pouvait qualifier de « dernier soin », l’acte de se donner la mort, le président Macron a déclaré qu’il était « impensable de trouver le bien commun de notre société sans prendre en considération, les différents courants de pensées, y compris religieux ».
Si l’Eglise n’a obtenu aucune garantie notamment sur ses réticences face à la procréation médicalement assistée (PMA), elle a apprécié de se trouver invitée au cœur du débat sur le sens de la vie, de même que les autres religions présentes sur le sol français. Mais dans le discours d’Emmanuel Macron, l’Eglise a néanmoins une place particulière. Celle-ci est liée à son rôle historique, mais également au rôle social qu’elle continue de jouer auprès des plus pauvres et qui dédouane trop souvent les politiques de s’en charger.
Laurence D’HONDT
Article paru dans le journal Dimanche n° 16 daté du 22 avril 2018.