Beaucoup s’inquiètent de l’accélération du processus de désaffectation des églises dans nos diocèses. Depuis quelques années, chaque cas est relayé dans les médias, provoquant l’émoi d’une partie de la communauté chrétienne. Nos églises sont-elles menacées? Eléments de réponse.
Ouvrir le dossier des désaffectations d’églises est une entreprise délicate qui exige des nuances. Cette question est toujours émotionnelle, car liée au religieux, au patrimoine, et, n’ayons pas peur de le dire, à notre identité. Le mot « désacralisation » est en fait utilisé à tort. Le terme exact à employer est « désaffectation » et celle-ci touche les diocèses de manière inégale. Quand cela s’avère nécessaire, la question fait l’objet d’une réflexion. Mais, globalement, il est impossible de prévoir une politique générale dans une problématique qui doit être abordée au cas par cas. Le chanoine Huet, administrateur diocésain à Namur, regrette que la plupart du temps, cette question des désaffectations soit abordée avec simplisme et généralisation.
Le nerf de la guerre
Les édifices religieux ne sont pas tous logés à la même enseigne. Lorsque Napoléon a restitué les biens nationaux à l’Eglise, les édifices datant d’avant 1795 sont devenus propriétés des communes ou provinces. Les églises construites après cette date par de riches financiers appartiennent aujourd’hui aux Fabriques d’église. Selon un décret de 1809, toujours en vigueur, les communes doivent prendre en charge les grosses réparations aux édifices du culte.
Au niveau politique, le débat sur les désaffectations d’églises est intervenu au Parlement wallon en 2012. Deux députés socialistes ont déposé une proposition visant à réaliser un cadastre des biens classés affectés à l’exercice d’un culte. La nécessité de cette démarche est justifiée par l’importance du coût de l’entretien d’édifices dont la fréquentation ne cesse de baisser, selon les socialistes. La Wallonie compte plus de 2.000 lieux affectés au culte catholique, dont 650 bâtiments classés, entretenus par les pouvoirs publics. Lorsque le bâtiment est classé, les finances communales peuvent compter sur une intervention régionale au titre du patrimoine. La proposition a donc été débattue en commission, des auditions ont été menées – parmi les personnes invitées à s’exprimer, Mgr Jousten, évêque de Liège à l’époque – mais aucun vote n’est intervenu. Au niveau du Parlement wallon, tout reste à faire.
En Flandre, en 2011, Geert Bourgeois, chargé des Affaires intérieures au gouvernement flamand, adresse une note aux évêques flamands pour tenter de définir une vision à long terme pour les paroisses. L’établissement d’un « plan paroissial », comme suggéré dans ladite note, n’est pas inscrit comme une obligation dans le Décret de financement des cultes, mais est mentionné comme condition préalable à l’octroi de subsides pour des travaux réalisés dans des églises non-classées ou l’augmentation de ceux-ci pour les églises déjà classées au patrimoine.
Parallèlement, le gouvernement flamand a développé différentes mesures pour augmenter les chances de réussite des reconversions d’églises. Un bureau d’études a été créé pour seconder les autorités religieuses, les villes et communes, et leur proposer un parcours balisé pour la réalisation d’études de faisabilité.
Pas de désaffectation sans raison
Loris Resinelli, en charge des dossiers de désaffectation pour le diocèse de Tournai, admet que, depuis quinze ans, le nombre de dossiers introduits a fortement augmenté. « Au début des années 2000, un dossier était traité chaque année; aujourd’hui, une vingtaine de dossiers sont ouverts. » A Liège, seuls deux dossiers ont été récemment introduits pour des réaffectations à d’autres cultes (orthodoxe et protestant). A Bruxelles, Thierry Claessens, adjoint de l’évêque auxiliaire Jean Kockerols, insiste sur un point: « Nous veillons toujours à ce qu’une réflexion pastorale précède toute décision de désaffectation. Chaque unité pastorale est invitée à formuler un projet où elle identifie les lieux utiles pour la célébration du culte. » Dans la capitale, un seul dossier de désaffectation va être déposé pour l’église Saint-Joseph de Jette. Dans le diocèse de Namur, quatre ou cinq dossiers ont abouti sur les dix dernières années.
Trois raisons principales conduisent à la désaffectation d’un édifice. Dans la majorité des cas, il s’agit d’une demande émanant de la commune « dans un souci de rationalisation », car elle ne dispose plus de moyens financiers pour entretenir le bâtiment. Ensuite, une désaffectation peut intervenir suite à l’état de dégradation avancée de l’église qui empêche sa fréquentation; la plupart du temps, ces édifices sont déjà fermés pour des raisons de sécurité. Enfin, la troisième raison est la désertion des fidèles. Force est de constater que le nombre de paroissiens diminue drastiquement en certains endroits et que la multiplication des lieux de culte ne se justifie alors plus. Toutefois, le chanoine Huet tient à souligner que la fusion de paroisses n’entraîne pas systématiquement la disparition – donc la désaffectation – des lieux de culte.
Dans le diocèse de Tournai, les dossiers de désaffectation concernent principalement « des églises construites au début du XIXe siècle par de riches industriels pour leurs ouvriers, explique Loris Resinelli. Ces édifices se situent donc aujourd’hui au cœur de quartiers populaires avec parfois une forte présence musulmane. Ces églises néogothiques ont été érigées de manière très rapide avec des matériaux bon marché, ce qui explique leur dégradation actuelle. » Pour Thierry Claessens, « nous sommes des messagers du Christ et pas des gardiens du patrimoine. Un lieu n’existe que s’il est animé par une communauté même restreinte.« . Mais pour le chanoine Huet, même vidée de ses paroissiens, une église reste un lieu de vie(s) auquel de nombreuses personnes peuvent restées attachées. Selon lui, la question des désaffectations ne doit pas être liée à la santé de la pratique religieuse. « Ce n’est pas parce qu’il ne reste que 10% de pratiquants, qu’il faut supprimer 90% des églises.«
Sophie DELHALLE