Spiritualités comparées (5/6) – Au commencement, l’animisme


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Spiritualités comparées (5/6) – Au commencement, l’animisme
Par Christophe Herinckx
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
7 min

Aujourd'hui, nous vous proposons l'avant-dernier volet de notre série consacrée aux spiritualités du monde, en rapport à la spiritualité chrétienne. Arrêtons-nous à ce qu'on appelle couramment "l'animisme". Les croyances et les pratiques animistes sont les témoins les plus anciens de la religiosité humaine. L’animisme est même, à certains égards, le socle sur lequel reposent toutes les religions. Comment comprendre l’animisme? Quelles en sont les caractéristiques principales?

Lorsque Clémentine Nzuji me reçoit dans son bureau; lorsque qu’elle m‘offre à boire, lorsque je l’interroge et qu’elle prend le temps de me répondre, en un langage imagé, j’ai le sentiment de recueillir des trésors de culture et de sagesse qui s’enracinent dans la nuit des temps. J’ai la sensation d’être dans un village en Afrique, au pied d’un ancien, venu entendre une tradition oubliée.

Clémentine Nzuji n’est pas "maître initiatique", encore moins une voyante, comme on en trouve beaucoup sur le continent africain. Elle est simplement écrivaine, poétesse, professeure émérite de linguistique et de cultures d’Afrique à l’UCL. Sa carrière durant, elle a récolté et étudié les modes de pensées africains à partir de textes fondamentaux, de pratiques religieuses et de symboles sous différentes formes. D’après elle, ces traditions sont bien vivantes, malgré les coups de boutoir conjugués de la colonisation et de la vie moderne. Au fil de notre entretien, les concepts de l’universitaire vont se mêler harmonieusement aux mythes racontés.

Ce qui anime les êtres

L’animisme est au cœur de nos échanges. Ce terme, pour commencer, est-il correct? Peut-on parler de religion animiste? Pour la professeure Nzuji, il est toujours difficile d’approcher les réalités culturelles d’un autre peuple que le sien, et davantage encore de traduire ces réalités dans une autre langue, qui utilise d’autres mots. C’est ce qui provoque beaucoup d’erreurs dans la transmission des "autres" cultures, en Occident.

Cela dit – puisqu’on parle en français – le mot "animisme" exprime bien ce qui est en jeu dans les croyances et les pratiques des religions traditionnelles, telles qu’on les trouve encore aujourd’hui en Afrique, mais qui sont ou ont été vécues également sur les autres continents, dont l’Europe, avant l’arrivée du christianisme. La notion d’animisme renvoie à l’âme, ce qui anime les êtres, et donc aussi à la chose animée.

Monothéisme

Quelles sont les principales caractéristiques de l’animisme? Contrairement à l’idée héritée des premiers "spécialistes" occidentaux des "religions primitives", idée encore vivace selon laquelle l’animisme serait un polythéisme, ces pratiques religieuses sont fondées sur la croyance en un seul Dieu, et cette croyance se retrouve chez tous ceux qu’on appelle "animistes". Cette grave erreur, qui s’est répétée de siècle en siècle, s’explique par une observation de certaines pratiques, mais à laquelle il a manqué la clé de lecture appropriée pour les comprendre.

"Imaginons", dit Clémentine Nzuji, "un Africain qui arrive en Belgique et qui irait se promener rue de la Loi ou dans le quartier européen à Bruxelles. Il y verrait les députés y vaquer à leurs affaires, puis il retournerait en Afrique, et il dirait là-bas: 'Voilà comment vivent les Européens, j’y suis allé'. Non, il faut passer des années à étudier les comportements et les pratiques, de l’intérieur. Il faut parler avec les gens dans leur langue, à partir de leurs catégories référentielles". Autre exemple: un Martien qui observerait les dévotions de fidèles catholiques devant les statues de la Vierge Marie ou de sainte Rita pourrait en conclure, de manière aussi facile qu’erronée, que les tous Terriens sont polythéistes.

Dans la religion animiste, quand on est devant une statue, celle-ci n’est pas considérée comme Dieu, mais comme le symbole de Dieu. Et quand on se met à genoux, le matin, pour accueillir le soleil, qui est la face diurne de Dieu, ou quand on danse sous la lune, qui est la face nocturne de Dieu, ce sont des symboles, on n’est pas en train d’adorer le soleil ou la lune. Le croyant animiste croit bel et bien en un Etre suprême, seul Créateur, qui a créé tout ce qui existe.

Relation et énergie

Comment se rapporte-t-on à ce Dieu unique? Dans la vision animiste du monde, il existe une grande cohérence. Dieu a créé tout ce qui existe, et dans tout ce qui existe, il y a une parcelle du Créateur. Et de ce fait, tous les êtres sont en relation, et chaque être est en relation avec l’Etre suprême. Cette cohérence se traduit dans la culture, et induit un grand respect des choses naturelles, qui possèdent toutes une étincelle divine.

Chaque être est inséré dans un tissu de relations, dans lequel les uns tirent les autres, selon la force de chacun. C’est une relation de "force", d’énergie, et cette énergie n’est pas la même en tout être, de même que le niveau de conscience. Ainsi, l’homme possède une énergie qui lui permet de couper une plante, parce qu’il est plus fort que la plante.

Celui qui possède une énergie forte va essayer de la préserver, mais aussi de s’approprier l’énergie de l’autre pour la renforcer, et ainsi se protéger contre celui qui est plus fort que lui, et qui veut également renforcer son énergie. Cette vision des choses explique que, en Afrique, on parle beaucoup de sorciers, de forces maléfiques, de force positive, et que les gens pratiquent des rites, font des incantations pour se protéger, ou pour nuire aux autres, c’est-à-dire pour prendre leur force. C’est ainsi que les rites sont partie constituante des religions animistes, car ils permettent d’équilibrer les situations en un continuel mouvement.

Intermédiaires

Peut-on, dans la pensée animiste, s’adresser directement à Dieu? Dieu est unique et transcendant. Après lui, il y a les esprits et les ancêtres, certains ont un rôle protecteur, d’autres sont malveillants. Il y a aussi des êtres sacrés, qui sont comme des intermédiaires, parce qu’ils ont reçu, de l’Etre suprême, une sorte de mission pour aider leurs semblables. Dans certaines communautés, les géomanciens, voyants ou devins sont considérés comme de véritables canaux par lesquels passe le contact avec Dieu.

Celui-ci est considéré comme éloigné. On ne va pas constamment s’adresser à lui, on ne va pas l’importuner. Ce sont les ancêtres et les autres intermédiaires qui font le lien avec lui. De même, dans la chefferie africaine, on ne va pas voir le chef tout le temps. Il y a les dignitaires et les notables à qui on peut parler, et qui peuvent déjà, à leur niveau, résoudre beaucoup de problèmes. Il y a une forte hiérarchie.

Dieu agit par des médiations. Ainsi, les thérapies traditionnelles sont presque toutes des thérapies initiatiques, qui nous font passer par un rite. Celui-ci, par exemple, va nous faire rentrer dans le ventre de notre mère qui, elle, nous fait entrer dans le ventre de notre grand-mère, et ainsi de suite d’une génération à l’autre, jusqu'à ce qu’on arrive à l’Etre suprême. C’est comme une spirale, qui nous amène de la périphérie vers le centre, le long d’une ligne de la vie. Lorsqu’on est malade, on est détaché de cette ligne de vie, et il s’agit dès lors de nous y replacer, en passant par tous ceux qui nous ont transmis la vie, jusqu’au Créateur, qui est au centre de tout, et qui va nous reconstituer. C’est pour cela que l’on peut dire que les religions animistes sont généalogiques.

Fondement, accomplissement

Dans la croyance animiste, quand un malheur ou une maladie arrive, la première pensée qui passe par la tête, c’est qu’il y a eu un manquement, une transgression, le non respect de l’ordre des choses ou la non-observance d’une coutume ou d’un interdit, bref, tout ce qui introduit la perturbation, aussi bien chez les personnes que dans d’autres situations de la vie. D’où l’importance de la fonction réparatrice des rites.

Avant de prendre congé de Clémentine Nzuji, je lui ai posé cette dernière question: l’animisme, tel qu’elle le dépeint, n’est-il pas, en fin de compte, identique à ce qu’on pourrait appeler la religiosité fondamentale de l’homme? Oui, répond mon interlocutrice. Dès qu’elle dépasse la simple réalité matérielle, et qu’elle entre dans cette autre dimension, spirituelle, une religion devrait avant tout être animiste. C’est-à-dire, voir dans chaque créature un frère, une sœur, puisque animée, comme moi-même, de l’étincelle de notre Créateur unique.

Une question que je n’ai pas posée est celle-ci: si l’animisme est le fondement de toute religion, la révélation chrétienne en est-elle l’accomplissement?

 

Christophe HERINCKX

Photo: copyright fotolia

Pour approfondir: Sources et Ressources. Panorama des cultures fondamentales de la RD Congo, Clémentine Faïk-Nzuji, 2013, Centre international des langues et des traditions d’Afrique, 2013

Catégorie : L'actu

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