Tiraillés entre l’exaltation d’un idéal universel et la tentation du déni identitaire, les Français ont mal à leur ‘identité’. Les candidats à l’élection présidentielle s’empoignent sur cette thématique qui a longtemps été l’apanage du Front national.
Poser la question de l’identité dans la France contemporaine est un peu comme ouvrir la boîte de Pandore. Lors du premier débat télévisé du 20 mars où les cinq principaux candidats se sont affrontés, les plus vifs échanges ont eu lieu lorsque Marine Le Pen a accusé Emmanuel Macron d’être favorable au burkini, lequel a immédiatement répondu qu’il n’avait pas besoin d’un ‘ventriloque’ qui cherche à diviser la société française. L’affaire du maillot de bain islamique, celle du voile ou plus récemment de la clause Molière sont autant d’occasions pour les candidats de mesurer leur sensibilité à la question identitaire. Une thématique dont le Front national s’est emparé il y a vingt ans déjà et qui est rejetée par nombre de Français comme synonyme d’une inacceptable exclusion de l’autre. Pourtant, face à la mondialisation, à l’immigration et à la communautarisation prônées par les pays anglo-saxons, nombre de Français sentent que leur modèle identitaire est aujourd’hui en crise.
La laïcité en question
L’un des abcès de fixation de cette crise identitaire a trait à la laïcité. Ainsi, l’interdiction l’été dernier du burkini, le maillot de bain islamique par quelques maires a rappelé le rapport tendu qui existe entre identité française et religion. Selon une conception stricte de la laïcité, cette tenue musulmane porte atteinte à la neutralité de l’espace public. Une conception qui suscite l’effarement de la presse anglo-saxonne. The New York Times ironisait ainsi « sur ce bout de tissu qui remet la patrie des droits de l’homme en question », tandis que The Guardian assurait qu’il est « difficile de savoir quelles valeurs françaises sont défendues dans le rejet du burkini, mais il ne s’agit ni de la liberté, ni de l’égalité, ni de la fraternité ». Mais de plus en plus de voix s’élèvent également en France pour demander que la laïcité ne soit plus perçue exclusivement comme le rejet de toute interférence religieuse, mais comme l’affirmation d’un projet commun dans lequel la religion peut avoir un rôle fédérateur. Dans son livre, Identitaire, le mauvais génie du christianisme, le bloggeur chrétien Erwan Le Morhedec, plaide ainsi pour une identité plurielle, où le Français pourrait être à la fois français et chrétien, en choisissant une voie médiane entre la ‘calcification’ identitaire ou le néant.
Une identité malheureuse
Depuis quelques années, le débat sur l’identité a été relancé par des intellectuels tels qu’Alain Finkielkraut dans son livre, l’identité malheureuse. Face à l’immigration et à la mondialisation, se poser la question identitaire est pour le philosophe une nécessité mais en France, la réponse à cette question doit éviter deux écueils. « Il faut combattre la tentation ethnocentrique de persécuter toute différence et de nous ériger en modèle idéal », écrit-il, « sans succomber à la tentation pénitentielle de nous déprendre de nous-mêmes pour expier nos fautes ». Mais la quête d’identité n’est plus l’apanage des philosophes dits de droite ou encore des partis de droite ou d’extrême-droite. Dans une France plurielle, les Français d’origine étrangère, demandent eux aussi de briser les tabous. « Il faut sortir de l’hypocrisie et du déni », expliquait récemment, Saïd Bouamama, un militant associatif très engagé, « je suis de ceux qui demandent des statistiques sur les personnes d’origine étrangère. C’est seulement ainsi qu’on peut avancer: avec des chiffres, des réalités affirmées ».
Une exacerbation des particularismes face au déni
Car ce verrouillage dogmatique engendre paradoxalement une exaspération des tensions communautaires. « Je constate qu’en France, la contrainte exercée sur les individus pour qu’ils gomment leur appartenance, engendre une exacerbation de ces appartenances. Ici, j’ai des amis qui font le Shabbat, d’autre le Ramadan, d’autres encore le Carême », témoigne une étudiante en droit brésilienne, « alors qu’au Brésil, les personnes n’ont pas ce besoin ostentatoire d’affirmer leur identité religieuse ». Pour un pays qui s’était donné pour objectif de proclamer tout citoyen libre et égal, quelle que soit son origine, son histoire ou sa religion, cette réaction identitaire est vécue comme un échec profond. De tous les maux auxquels la France doit faire face, la question identitaire est peut être « le mal plus français ».
Laurence D’HONDT