Enthousiaste et d’un naturel joyeux, Maddy Tiembe n’hésite pas à aborder des sujets douloureux et sensibles comme le viol ou la guerre dans son pays natal. Rencontre avec la présidente de l’association AFEDE, Actions des Femmes pour le développement.
Le Congo m’a vu naître et la Belgique m’a appris à grandir et à réfléchir », reconnaît Maddy en souriant. « Lorsque je vivais là-bas, toutes ces questions ne me touchaient pas avec la même acuité. » C’est enceinte de son fils Adrien qu’elle va s’indigner et s’engager en 2004. La maternité a probablement été un élément déclencheur déterminant dans sa volonté de se mobiliser. L’AFEDE est née de l’indignation qui a habité le cœur de femmes originaires du Congo lorsqu’elles ont eu connaissance des violences perpétrées contre d’autres femmes ou filles de leur pays natal. Loin d’être des faits isolés, ces viols sont une technique utilisée par des guerriers sans scrupules. En 2005 déjà, les femmes congolaises avaient alerté l’opinion publique par une proposition de résolution déposée au parlement de la Communauté française, soulignant « le lien entre l’exploitation des ressources naturelles et le viol utilisé comme arme de guerre, les massacres et les pillages qui se déroulent à l’est du Congo ». Lorsqu’on prenait une carte de la RDC, aucun doute n’était permis, se souvient Maddy Tiembe. « Dans tous les endroits où il y avait un massacre, le sous-sol recelait des réserves convoitées. » Le lien de cause à effet avait été clairement établi par la diaspora et la société civile. L’accaparement des terres, la richesse du sol et du sous-sol, l’enrôlement des enfants de force dans les milices, les déplacements dans les camps… le drame se perpétue. « La richesse congolaise tue la population locale. Le Congo a neuf voisins. Nous commerçons, nous nous marions, nous échangeons, il y a énormément de mélanges et de dynamisme. On ne peut pas se dire que l’on va regarder ces rebelles semer mort et désolation parce que lorsque la maison de ton voisin brûle, ne t’étonne pas que les flammèches atteignent la tienne. »
Changer les mentalités
Alerter l’opinion publique n’est pas aisé. Une prise de conscience collective a dû être opérée dans la population belge. Au début, se souvient Maddy, « les gens ne se rendaient pas compte et nous prenaient pour des personnes qui s’agitaient dans un bocal. Chemin faisant, nous avons lié des amitiés et des partenariats. » La persévérance des membres du collectif s’est avérée payante. Treize ans après la fondation, les objectifs ont été adaptés. Au temps de la sensibilisation à la cause féminine a suivi celui de la formation de cinquante enfants nés d’un viol, en partenariat avec la Caritas Goma. « La décision a été prise conjointement par les femmes survivantes et les équipes sur le terrain. On essaie de prendre un enfant par fratrie. Nous entamons leur troisième année de scolarité. » Ces rescapés sont scolarisés avec d’autres enfants, afin d’éviter l’enfermement dans un ghetto. « L’idée même de la stigmatisation est horrible. Lorsque vous vivez un viol, vous êtes déjà mise au ban de la société. L’opprobre est jeté sur vous, sur votre communauté, sur votre famille, sur le clan, parce qu’il y a une femme qui a été souillée. » Sur place, la confidentialité est de mise pour éviter de divulguer l’identité des enfants, qu’ils soient nés d’un viol ou qu’ils soient d’anciens enfants soldats. Le but ultime est la normalisation de leurs conditions d’existence, car le viol des mères laisse des séquelles indéniables. Maddy Tiembe se réjouit de constater qu’une évolution des mentalités est perceptible en RDC. La société patriarcale s’est remise en question jusqu’à accepter ces enfants nés dans des circonstances inqualifiables. Désormais, « il y a une prise en charge organisée dans les clans, dans les fratries par les communautés et des ONG. Il y a un espoir de changement, même si, depuis 2014, il y a encore beaucoup de violence. »
Le viol, une arme de guerre
Paradoxalement, le viol surgit dans des régions où le respect de la femme est grand. Selon Maddy Tiembe, ce sont des groupes étrangers qui brutalisent les femmes et ont importé, ce faisant, une culture qui n’était pas celle de la RDC. Là, observe-t-elle, « la femme est sacrée, c’est le socle de la transmission des valeurs et de l’éducation, celle qui porte la terre et apporte la survie de la famille. S’attaquer aux femmes congolaises, c’est l’arme la moins chère pour déstructurer la société. Lorsqu’elles ont été violées, les femmes ne peuvent plus aller aux champs ni au marché. Un homme qui a vu sa femme ou sa fille violée devant lui se sent émasculé. » La douleur peut être telle que certains hommes, pères, maris ou frères, fuient et abandonnent le foyer conjugal ou familial pour « laisser derrière eux toute cette horreur; ces hommes ont perdu la boule, ils sont devenus fous. Sur Goma, il y a un véritable souci de santé mentale. Il y a un besoin de prise en charge de l’après-guerre. Nous nous occupons des mamans et de leur descendance, mais la question de la communauté dans son ensemble se pose avec acuité. Le Congo est agressé et vit une situation difficile dans certains territoires. Il y a un besoin urgent d’accompagner les familles dans ce travail de réconciliation avec leur corps.(…)
> Lire la suite de cet article dans le journal Dimanche n°9 du 5 mars 2017 – S’abonner à Dimanche
Angélique TASIAUX