L’année 2017 s’annonce prometteuse pour l’écrivaine tournaisienne Colette Nys-Mazure. Invitée des Midis de la poésie à Bruxelles, contributrice au prix triennal de la poésie et femme engagée dans plusieurs associations, la poétesse garde un regard résolument optimiste sur le monde d’aujourd’hui.
Prononcer le nom Colette Nys-Mazure donne la certitude pour de nombreux lecteurs et lectrices de se souvenir de « Célébration du quotidien » ou « L’enfant neuf ». Sa bibliographie riche de plusieurs dizaines de publications marque autant de points de repère dans la vie des lecteurs francophones. L’écrivaine qui s’efforce d’être disponible pour des rencontres impromptues, notamment dans les transports en commun, nous a livré quelques ingrédients de sa recette du bonheur.
Entre sa mission de jury littéraire, son travail d’auteure et de mère de famille, l’agenda de Colette Nys-Mazure se remplit vite. Mais elle parvient à tout concilier. « Chacun a son propre talent qu’il essaie d’exploiter dans les limites du possible. Nous ne pouvons pas être partout« , explique-t-elle simplement, ajoutant qu’elle n’a pas le sentiment d’avoir une vie dispersée « puisque tout est centré sur cette valeur essentielle, à savoir partager la saveur de la vie, par toutes les facettes artistiques« . Regrettant qu’aujourd’hui, l’économie prenne malheureusement le pas sur l’art, elle aimerait que cette tendance soit renversée afin de permettre à tout le monde d’accéder à la peinture, la poésie…
En mars prochain, paraîtra « Colette Nys-Mazure ou accordée au vivant ». Comment vivez-vous la sortie d’un nouveau livre?
Je compare souvent cela à un accouchement, avec ce que cela comporte de douleurs. Une fois que le cordon ombilical est coupé, le livre entame sa vie comme un enfant prend son propre parcours, il va dans des lieux qu’on ne pouvait pas prévoir. J’éprouve une grande liberté, un affranchissement… Je passe au livre suivant. Je suis à la fois attachée au livre, mais déjà détachée.
Dans ce cas-ci, il s’agit d’un ouvrage réalisé par un étudiant, Mathieu Gimenez, sur mon œuvre. Je ne fais qu’y apporter quelques inédits. Pour d’autres parutions, ce sont des commandes d’une maison d’édition ce qui ne signifie pas qu’ils me soient moins personnels. Enfin, certains livres sont liés à mon inspiration. Je travaille en ce moment sur des textes qui seront rassemblés dans le cinquième tome de la suite « Célébration du quotidien ». Quelle que soit la mission de départ, le premier jet d’écriture est facile, mais la réécriture et l’aboutissement restent toujours douloureux.
Au fil des années, certains de vos ouvrages sont réédités. Quel regard portez-vous sur vos précédents écrits?
Cela ressemble au fait de feuilleter un album de photos d’enfance. On s’exclame facilement: « Oh! Comme c’est moche… » La tentation est grande de déchirer une photo en deux parties pour supprimer l’image de soi qui ne correspond plus à ce que nous sommes devenus. Je retouche peu mes textes. J’ai appris qu’en me tournant vers le passé, je risquais de me transformer en statue de sel (rires). Je ne m’attarde pas sur ce que j’ai écrit, je me consacre davantage au présent.
Plus généralement, sur l’ensemble de mes inspirations littéraires, je n’opère pas de tri. Comme dans la vie, je ne sais pas le matin qui va m’appeler, qui va me demander un service, etc. Chaque matin, je laisse aller ma plume.
Vous qui célébrez le quotidien, comment réagissez-vous à l’irruption de l’horreur dans cette vie quotidienne?
Je me souviens du jour des attentats de Zaventem et de Maelbeek, le 22 mars dernier. Je devais partir le soir même en Bourgogne, même si tous les TGV étaient supprimés. Quand j’ai attrapé le dernier train qui partait de Bruxelles, j’étais assise à côté d’une femme qui était venue passer une seule journée à Bruxelles. Elle était très secouée. Sa maman l’appelait très souvent pour savoir comment elle allait. J’étais moi-même inquiète de quitter la Belgique dans cet état-là. Mais en parlant avec elle, j’ai vu combien la parole établit un lien humain, une passerelle entre les êtres. Je préfère cela au sentiment d’étrangeté et d’inquiétude que nous ressentons face à des inconnus.
Je suis frappée de voir que nous vivons dans une société catastrophe dominée par les mauvaises nouvelles. Or j’observe toute une série de belles initiatives, par exemple pour l’aide aux réfugiés dans la ville de Tournai. J’aurais envie de mettre l’accent sur la lumière, plutôt que l’ombre. J’ai envie de travailler à la contagion de la saveur de vivre et du plaisir de partager.
Pourquoi êtes-vous aussi sensible à la tradition de l’accueil?
Je repense à ma grand-mère qui était partie en exode sur les routes avec ses enfants et petits-enfants. Nous aussi sommes des réfugiés. Partout dans le monde, à toutes les époques, des gens ont été poussés hors de chez eux. Nous sommes tous logés à la même enseigne. Si on est un être humain, il va de soi que la question des migrants nous concerne, que nous avons à partager.
C’est aussi une tradition que nous avons perpétuée avec nos enfants. A l’adolescence, nos cinq enfants ont été accueillis dans différentes familles dans le monde. Nous continuons d’ouvrir nos portes, chaque semaine, à des personnes différentes. J’aime beaucoup l’idée que le mot hôte en français désigne à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli. Ce mot insiste vraiment sur le mouvement naturel de l’hospitalité.
Quelle est la clé de cette vie de famille?
Je reprends souvent cette citation de Maurice Bellet: « Je me réjouis de ce que tu es, et je ferais tout pour que tu le deviennes davantage. » Elle s’applique aussi bien à mon mari, avec qui je partage énormément d’admiration mutuelle depuis 55 ans, qu’avec mes enfants et petits-enfants. C’est important de travailler à ce que l’autre devienne lui-même et non pas ce qu’on rêverait qu’il soit.
Je fais en sorte de passer un moment avec chacun en toute intimité. Il y a peu de temps, lors d’une après-midi en tête à tête avec ma petite fille, je suis allée à une exposition de tags dans le quartier des Marolles. C’était passionnant, très différent de ce que je connais. Nous avons vraiment intérêt à nous ouvrir à des expériences qui ne sont pas les nôtres. Sur le plan spirituel, c’est pareil. Les jeunes ont d’autres façons de vivre l’Evangile. Ils peuvent être étrangers à l’Eglise, mais vivre pleinement les valeurs de bonté, de partage et de simplicité. Au nom de quoi allons-nous les juger?
Au contraire, je suis avide de voir leurs expériences, de connaître ce qui les interpelle. Nous ne devons pas renoncer aux choses qui nous plaisent, mais accepter d’entrer dans leurs dynamiques. Moi, je plonge tête baissée dans ces aventures!
Recueilli par Anne-Françoise de BEAUDRAP