RDC/Nord-Kivu : Un génocide des Nande ?


Partager
RDC/Nord-Kivu : Un génocide des Nande ?
Par Manu Van Lier
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
6 min

est_CongoDepuis octobre 2014, la population du territoire de Béni et de Lubero subit des attaques d’une cruauté monstrueuse, attribuées à un mystérieux groupe de rebelles ougandais, les ADF (Allied Democratic Forces). On n’en parle guère… Qui se cache donc derrière eux? L'émission "Eglises du monde", ce mercredi 20 avril à 21h45 sur KTO-TV abordera cette actualité tragique dans le Nord-Kivu.

Qu’est-ce qui peut pousser des êtres humains à égorger des gens alités dans un centre de santé, à égorger ou brûler vifs d’autres, femmes et enfants compris, à enduire un boutchou du sang de ses parents décapités sous ses yeux, ou encore à extraire un fœtus du ventre de sa mère pour le fracasser contre un mur? Puis, à détruire hôpitaux, écoles, champs et commerces.

Rares sont les semaines sans massacre à l’extrême nord du Nord Kivu. Le 9 janvier, depuis Rome, des responsables religieux congolais, membres des Conseils généraux et des généralats de leurs congrégations, ont lancé un SOS, relayé en Belgique par Anne Huyghebaert. Tous demandent une enquête internationale crédible pour que la lumière soit faite et que les atrocités cessent. Desc-Wondo, plateforme de réflexion sur les questions de Défense et de sécurité a lancé une pétition dans le même sens. L’un de ses chercheurs, Boniface Musavuli, nous partage son point de vue.

Le point de départ

Depuis le génocide rwandais de 1994, les régions riches en minerais, voisines du Rwanda et de l’Ouganda, sont la proie d’une multitude de groupes armés. Octobre 2014 marque un tournant pour Béni, qui bascule dans l’horreur. En un an, plus de 500 personnes seront tuées à coups de hache, de machette ou de marteau. Sans raison. On accuse les rebelles ougandais ADF (Forces Démocratiques Alliées).

"Coïncidence? Les massacres commencent le 2 octobre tout comme le procès des suspects de l’assassinat du colonel Mamadou Ndala. Victorieux un an plus tôt des mutins du M23, soutenus par Kigali et Kampala, qui avaient fait trembler Goma, le colonel était adulé au point de déranger certains. Parmi les suspects, des militaires d’une ex rébellion rwandaise (CNDP), théoriquement ‘brassés’ dans l’armée congolaise. En réalité, ils n’obéissent qu’aux ordres de Kigali. Les massacres continuent durant le procès comme si on voulait empêcher la population de le suivre. Comme lors de l’assassinat du Colonel Mamadou, les tueurs parlent le kinyarwanda. Les soldats congolais n’interviennent pas. Pire, un commandant menace d’abattre ceux qui voulaient intervenir et il fait fermer le numéro d’appel d’urgence de la Monusco", commente B. Musavuli

Qui sont les ADF?

Les ADF sont des rebelles ougandais, menant aujourd’hui une guerre pour imposer l’Islam selon la version officielle. Présents en petit nombre depuis une vingtaine d’années au Nord Kivu, ils se sont mués en mafia criminelle, responsable de meurtres et de centaines d’enlèvements, exploitant le bois et l’or, précisément dans les zones des massacres. Les présumés rebelles écoulent leurs ressources volées en Ouganda, chez leur soi-disant "ennemi", avec des comptes dans ses banques. "Curieux ennemi, qui est à tout le moins, le partenaire économique", observe le chercheur.

Pour les éradiquer, une grande opération militaire, baptisée Sokola, avait été lancée fin 2013 avec à sa tête, le célèbre colonel Mamadou, rapidement assassiné. Néanmoins, dès avril 2014, ses troupes d’élite écraseront en quatre mois les ADF, qui disparaissent de la scène congolaise.

Des tueurs en uniforme militaire congolais, parlant le kinyarwanda

Entre avril et octobre 2014, début du carnage, le calme règne. "D’autres tueurs ont donc été injectés à Béni, sous masque ADF", observe le défenseur des droits de l’homme, se basant sur les témoignages de la population, qui les entend parler non pas en langue ougandaise ou en kiswahili de l’Est, à l’instar des ADF, mais en kinyarwanda, langue (rwandaise) inusitée dans le territoire de Béni.

"Les atrocités, qui ont commencé en octobre 2014, se déroulent sur un petit rayon de 50 km alors que des militaires congolais y sont encore déployés en force. Qui plus est, les crimes se passent à proximité des positions de l’armée dont les auteurs portent l’uniforme. Voici déjà un an et demi que ces horreurs ont commencé mais il n’y a encore eu aucun procès, s’étonne encore l’analyste. Si des suspects sont arrêtés, ils disparaissent comme s’il y avait une volonté de l’Etat de les cacher et de ne pas dire la vérité à la population."

Conflit interethnique?

Depuis janvier dernier, les tueries s’étendent dans le territoire voisin de Lubero. A Miriki, le 7 janvier, 17 personnes au moins perdent la vie à 200 mètres des positions militaires congolaises. "Le massacre a duré, on ne pouvait pas ne pas entendre." Bien qu’alertée, la Monusco non plus ne bouge pas. Deux familles de chefs coutumiers nande (la communauté majoritaire) étaient visées. Les tueurs s’expriment là encore en kinyarwanda. Accusés, les FDLR (rebelles hutus d’origine rwandaise) nient farouchement et exigent une enquête internationale.

"Les mains noires et les escadrons de la mort, qui ont semé la haine, réussissent leur coup. Pour les Nande, principales victimes, c’est le massacre de trop. Ce qui va pousser certains jeunes à tuer à leur tour des Hutus. Un engrenage effrayant…"

Certains évoquent un conflit de terres entre Nande et Hutus. "Une façon de détourner l’attention, commente B. Musavuli, tout en reconnaissant qu’une population rwandophone est en train de migrer dans les territoires de Béni, de Lubero et d’Ituri. Leur origine est une vraie question sachant que les rebelles rwandais du M23 sont partis avec des machines servant à fabriquer des cartes d’électeur, seul document tenant lieu d’identité en RDC."

Génocide?

"Le terme de génocide, utilisé par les députés de la région, est approprié pour des tueurs s’exprimant en kinyarwanda et ciblant la communauté majoritaire, les Nande, de façon organisée, répétée", dit encore le défenseur des droits de l’homme.

Un mode opératoire étranger

"Les ADF sont connus de sinistre mémoire pour leurs enlèvements, condamnant leurs victimes à l’esclavage en attendant le paiement éventuel d’une rançon. Mais de là, à découper des enfants à la machette, non, ce n’était pas dans leurs habitudes", fait observer B. Musavuli. "Ces combattants ne sont pas Congolais et leur façon de combattre n’est pas propre à la RDC… Ce groupe armé se mêle aussi à la population et peut même s’imbriquer dans des opérations des forces congolaises", déclarait le général Baillaud, commandant intérimaire de la Monusco, le 2 décembre.

"Entretenir l’instabilité à l’Est du Congo permet à l’Ouganda et au Rwanda, avec la complicité de Kinshasa, de prospérer via la contrebande de minerais et de bois. En toute impunité", conclut B. Musavuli.

Le cri d’alarme de religieux

Dans le diocèse de Butembo-Béni, écrit Anne Huyghebaert, supérieure générale des Orantes de l'Assomption, notre congrégation est présente avec 60 sœurs et plus de 300 autres frères et sœurs de l'Assomption. Il y a là, un peuple commerçant et pacifique qui, face aux guerres successives a su se coordonner localement pour rester en paix. Cependant depuis quelques années, les exactions, de plus en plus graves, se mutiplient. Plus de 1500 enlèvements et séquestrations ont été recensés depuis 2012 et 900 personnes tuées depuis octobre 2014.

Les faits sont établis mais l'identité des agresseurs n’est pas connue et il n'y a aucune revendication des faits. Juste des suppositions ou déclarations concernant leur appartenance à tel ou tel groupe, aucune certitude. Cela s'ajoutant à la sauvagerie des tueries donne l'impression qu'il y a une volonté d'alimenter la peur et de pousser certaines populations à s'en aller...

Aujourd'hui les cruautés augmentent et l'on constate que plus de 90% des victimes sont d'une même ethnie (Nande). A cela s'ajoutent d'autres indices faisant craindre ou soupçonner un risque de génocide.

Béatrice PETIT - photo: ©Photo Desc-Wondo


Dans la même catégorie