The Naked King, caricature
Autrefois, vivait paisiblement en un lointain pays, un roi aimé et respecté de ses sujets. Or, ce roi, qui était fort riche, dépensait tout l’or qu’il possédait à soigner sa mise. Aucun vêtement n’était trop beau pour lui. Les tissus les plus rares, les soies les plus fines, les cuirs les plus souples, les étoffes les plus raffinées paraient le monarque en tout temps et à toute heure. Seuls, les meilleurs tailleurs étaient admis à travailler dans les ateliers royaux.
Cependant, le roi n’était jamais totalement satisfait de leur travail. Chaque fois qu’ils présentaient au roi un nouveau costume, les tailleurs guettaient avec fébrilité un signe de son approbation. En vain, hélas. Peu à peu, la garde-robe royale s’encombrait de vêtements que le roi avait jugé mal taillés, mal teints, mal tissés.
Plusieurs semaines avant de célébrer l’anniversaire de son sacre, le roi apprit que deux tailleurs d’exception venaient de s’installer dans sa bonne ville. On disait qu’ils étaient en mesure de tisser une étoffe tellement extraordinaire que personne n’en avait jamais vu de pareille. Les jeunes gens furent invités à se présenter au palais. Le roi les reçut en sa salle du trône. En les entendant, le roi reprit espoir d’être enfin vêtu comme il le souhaitait.
"Majesté, lui dirent les deux jeunes gens, nous pourrions, pourvu que vous nous donniez quelque argent, vous couper un nouvel habit d’une telle beauté que personne ne peut l’imaginer. C’est que l’étoffe dans lequel nous allons le tailler a un pouvoir particulier: elle n’est visible que par ceux qui ne sont point sots."
Le roi, très impatient de voir un tel tissu, donna aux deux compères la moitié de son or et ceux-ci se mirent aussitôt au travail. Au bout d’une semaine, le roi, inquiet de l’avancement des travaux, envoya auprès des deux tisserands son plus vieux et sage conseiller.
Le conseiller, une fois rendu chez les jeunes gens, fut fort intrigué par leur manège: il les voyait bien tisser, mais ne voyait pas l’étoffe qu’ils tissaient.
De retour au palais, pour ne pas paraître sot aux yeux du roi, le conseiller vanta magnifiquement la beauté et la qualité extraordinaire du tissu que le roi avait commandé. Fort heureux de cette nouvelle, le roi fit porter aux deux tisserands la moitié de l’or qui lui restait encore dans ses coffres.
Le jour où le roi allait fêter son sacre, les jeunes gens se présentèrent au palais.
Majesté, dirent-ils au roi, nous sommes fiers, en ce jour anniversaire, de vous présenter votre nouveau costume. Ainsi que vous le voyez, la coupe en est simple, mais très belle.
Le roi, qui ne voyait rien du tout, se dit: "Si je ne vois pas le costume, c’est donc que je suis sot! Il n’est pas nécessaire que les autres le sachent."
S’emparant de l’imaginaire costume et le manipulant comme il le faut, les compères escrocs en revêtirent le roi. Pour ne point paraître sot, celui-ci déclara alors: "Enfin, une tenue digne d’un roi comme moi en une journée telle que celle-ci!"
Et le roi, paradant dans son nouvel habit, se montrait content et satisfait.
C’est donc dans cet accoutrement que le roi traversa le palais, puis se rendit à cheval et en cortège jusqu’aux portes de la ville. Dans la foule qui l’acclamait, pour ne pas paraître sot, tout le monde s’extasiait sur la magnificence du costume royal. Arrivé aux portes de la ville, on fit silence pour écouter le discours du roi. A ce moment, on entendit une voix d’enfant, claire et cristalline: "Mais le roi est tout nu!" Tous virent alors ce que leurs yeux s’étaient refusé de voir.
Précipitamment, quelqu’un jeta une vieille couverture sur les épaules du roi qui, cette fois, ne trouva rien à redire sur la coupe de son costume.
N.B.: Ce conte hindou inspira sans doute Hans Christian Andersen pour son mémorable "Les habits neuf de l’empereur"
