Ce lundi 7 mars, le sommet Union européenne – Turquie entrait dans sa phase décisive. Au programme: la conclusion d’un accord entre les deux entités, afin de renvoyer un certain nombre de réfugiés arrivés en Grèce vers la Turquie, ou de les « contenir » sur le territoire turc. L’objectif est donc bien de fermer hermétiquement les frontières extérieures de l’Europe aux migrants, sous prétexte que la Turquie est un « pays sûr ». L’Europe n’est-elle pas en train de perdre son âme, en reniant ses principes fondateurs?
Lorsqu’il s’agit de condamner des régimes politiques qu’elle juge non conformes aux principes universels des droits de l’homme, ou au fonctionnement d’un Etat démocratique, l’Union européenne n’est, généralement, pas avare en propos acerbes. Mais il a suffi qu’une « crise migratoire », par ailleurs bien réelle, impliquant de réels défis, apparaisse pour qu’elle soit amenée à relativiser certains de ses principes fondateurs essentiels.
D’abord, il y a l’attitude de certains Etats membres refusant clairement de tenir leurs engagements à l’égard de l’Union, notamment celui d’accueillir un certain nombre de réfugiés sur leur territoire, tels la Hongrie. Il y a aussi ces pays, comme l’Autriche et plusieurs pays « des Balkans » qui ont fermé leurs frontières aux réfugiés, obligeant la Grèce à se débattre seule avec le nombre important de migrants arrivés sur son sol. Bien que la Commission européenne et l’Allemagne aient refusé d’entériner la fermeture de ces frontières, il s’agit désormais d’un fait accompli.
Ensuite, et surtout, l’UE semble être prête à sacrifier son attachement aux Droits de l’homme, mais aussi aux valeurs d’accueil et d’intégration. Comment, sinon, comprendre que l’on puisse négocier la rétention des réfugiés syriens, irakiens ou afghans en Turquie, déclaré pays sûr pour les réfugiés avec un certain cynisme, alors que, il y a quelques mois encore, l’on déclarait que les Droits de l’homme n’étaient pas parfaitement respectés dans ce pays… Ces derniers jours encore,on dénonçait le manque de liberté de la presse en Turquie… Mais il n’y a pas que cela: la situation des Kurdes dans ce pays est loin d’être enviable (même s’il ne faut sans doute pas charger unilatéralement l’Etat turc), et les liens du régime turc avec DAECH demeurent obscurs, les terroristes de l’Etat islamiste pouvant apparaître comme « utiles », précisément, au regard du problème kurde.
Aujourd’hui, toutes ces considérations semblent s’effacer devant une seule problématique, celle des migrants. Une attitude dictée, en partie du moins, par la peur des discours populistes dans nos pays, et par les réactions irrationnelles d’une partie de l’électorat européen.
Ce qui est sur la table
Aujourd’hui, on assiste à un véritable marchandage entre l’UE et la Turquie, et l' »objet » de ces tractations, ce sont des êtres humains, dont on décide de la destinée comme s’il s’agissait de biens meubles quantifiables sans plus… Le projet consiste à fermer hermétiquement les frontières extérieures de l’UE, notamment celle de la Méditerranée. Si la lutte contre les passeurs est louable et même indispensable, l’on espère, concrètement, que la Turquie retienne les réfugiés syriens sur son territoire. Mieux encore, à l’avenir, les réfugiés étant parvenu à passer par les mailles du filet, et arrivant en Grèce, pourront être renvoyés vers la Turquie, où ils seront installés dans des camps. Par la suite, sur base volontaire des pays européens, certains de ces réfugiés pourront revenir sur le territoire de l’Union, par avion, pour y demander l’asile. Mais aucun pays européen ne serait contraint d’accepter des réfugiés sur son territoire en provenance de la Turquie.
Que demande la Turquie en échange? d’abord, un montant, non pas de 3 milliards d’euros, comme prévu il y a quelques mois, mais de 6 milliards, payables d’ici 2018. Egalement des facilités de voyage pour les ressortissants turcs vers l’UE (au fait: ne craint-on pas un afflux de demandeurs d’asile turcs en Europe dans les prochaines années?…). Et bien que ce point ne soit pas officiellement sur la table: une avancée certaine dans le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE.
La plupart des dirigeants européens voient ce dernier point d’un mauvais oeil… Ce qui fait dire à certains analystes que, si cette adhésion turque devait se préciser, les Européens pourraient ressortir, comme par magie, l’argument des Droits de l’homme. Or, n’est-ce pas maintenant qu’il faut en parler? Ou alors pas du tout?
Donald Tusk, président du Conseil européen, a reçu mandat pour finaliser les termes d’un accord avec la Turquie d’ici le prochain sommet prévu, les 17 et 18 mars prochains.
Les Européens ont peur de l’afflux des réfugiés pour différentes raisons. L’une d’entre elles, en particulier dans certains Etats membres, est la perte de l’identité nationale, ou européenne. Mais l’Europe a-t-elle vraiment besoin des réfugiés pour perdre son identité? La question, au final, est de savoir si le principe essentiel d’humanité sera respecté dans le futur accord.
Réaction du haut-commissaire aux réfugiés
Le haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU, Filippo Grandi, s’est dit, ce mardi 8 mars, « profondément préoccupé » par l’accord ébauché la veille entre Ankara et l’Union européenne, qui prévoit donc, notamment, de renvoyer tous les migrants vers la Turquie, y compris les demandeurs d’asile syriens.
« Je suis profondément préoccupé par tout arrangement qui impliquerait le retour indiscriminé de gens d’un pays à un autre et ne détaillerait pas les garanties de protection des réfugiés en vertu du droit international« , a indiqué M. Grandi devant le Parlement européen à Strasbourg.
M. Grandi a énuméré trois conditions préalables pour que les retours de demandeurs d’asile vers « un pays tiers » puissent être considérés comme conformes au droit international.
Le pays destinataire doit d’abord assumer « la responsabilité d’examiner la demande d’asile« , a-t-il expliqué. Mais surtout, un réfugié sera « protégé du refoulement« , c’est-à-dire d’une expulsion sans autre forme de procès, et enfin, s’il obtient l’asile, il doit pouvoir « bénéficier de l’asile conformément aux standards internationaux et avoir pleinement et réellement accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé et si besoin, à l’aide sociale« , a souligné M. Grandi.
Ensuite, « ces garanties doivent être détaillées légalement et elles devraient gouverner tout mécanisme dans lequel la responsabilité d’examiner une demande d’asile est transférée » à un pays tiers, en l’occurrence par l’UE à la Turquie, a insisté le haut-commissaire de l’ONU.
Un porte-parole de la Commission européenne que « les détails qui doivent encore être affinés (…) seront évidemment pleinement conformes à la fois au droit européen et international« .
Avec AFP