Grégory Turpin – Le chanteur timide a trouvé sa voie


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Grégory Turpin  – Le chanteur timide a trouvé sa voie
Par Isabelle Bogaert
Publié le - Modifié le
7 min

TurpinA 35 ans, Grégory Turpin est un artiste accompli: il est le premier chanteur chrétien à signer chez Universal Music et à se produire à l’Olympia. Quinze ans plus tôt, sa vie partait pourtant à la dérive, suite à de mauvais choix dont il témoigne aujourd’hui auprès des jeunes.

En juin dernier, le nom de Grégory Turpin s’affichait en toutes lettres devant la salle mythique de l’Olympia. Ce qui est une consécration pour tout artiste, relève carrément du prodige pour un chanteur qui n’envisage pas de carrière musicale distincte de son engagement de croyant. Ses collaborations avec Natasha Saint-Pier, Anggun et Grégoire ont, sans doute, participé à asseoir la notoriété de ce chanteur Ariégeois qui rend aujourd’hui hommage aux plus beaux chants chrétiens d’hier et d’aujourd’hui dans un album intitulé "Mes racines". Ce 15 février, Grégory Turpin, était de passage à Wavre, à l’invitation du père Emmanuel de Ruyver, non pour un concert mais pour parler de son parcours, parfois chaotique, aux élèves de l’Institut Saint-Jean-Baptiste. Après avoir connu le monde de la nuit, la drogue et la dépression, Grégory a (re)découvert une foi salvatrice dont il parle avec passion: "L’important n’est pas tant de parler de ma vie mais de ce que Dieu a fait dans ma vie. Je suis frappé de voir à quel point ça vient rejoindre et toucher les jeunes, surtout à des moments où ils ont des choix à faire pour leur avenir et qui vont conditionner toute leur vie."
A l’école vous vous sentiez mis de côté, jusqu’au jour où vous prenez votre guitare et commencez à chanter…
Le fait qu’autour de moi on prenne conscience que j’avais des qualités, ça change le regard. Avec ma timidité, je ne savais pas facilement susciter les rencontres pour montrer que j’existe.
Votre famille n’était pas particulièrement catholique, comment vous est venue votre foi?
Nous étions catholiques non pratiquants. Ma foi s’est affirmée à travers la rencontre avec un jeune prêtre qui a soulevé beaucoup de questions et à travers une vraie rencontre avec Dieu. Dieu, ce n’est pas une question d’opinion, c’est d’abord une rencontre. Il a fallu que j’ouvre mon cœur, que j’intériorise et que je me pose les bonnes questions pour me préparer à vivre quelque chose de difficilement explicable: une certitude, au fond de mon cœur, que Dieu est là et qu’il veut le meilleur pour moi.
Contre l’avis de votre famille, vous décidez à l’âge de 18 ans de rejoindre le Carmel de Montpellier. Mais après un an, une maladie vous empêche de respecter les règles monastiques et vous contraint de renoncer à votre engagement.
J’étais heureux dans ce choix de vie et je pensais que c’était ce que le Seigneur voulait pour moi. Lorsque je suis tombé malade, j’ai commencé à en vouloir à Dieu en pensant savoir mieux que lui ce qui est bon pour moi. Sur le moment, j’ai vécu cela comme un échec, mais aujourd’hui je le vois comme un temps qui m’était donné de vivre dans cette communauté et affermir ma foi pour me préparer à autre chose. Dieu nous connaît mieux que nous-mêmes et nous conduit vers un chemin qui peut parfois nous dérouter. Avant de rentrer au Carmel, je disais vouloir consacrer ma vie aux jeunes, particulièrement ceux qui ont perdu toute espérance, ceux qui n’aiment pas et ne s’aiment pas. Dix ans après, je me suis dit que le Seigneur avait vraiment réalisé ce pourquoi je pensais être appelé, mais pas de la manière dont je me l’étais imaginé. Donc pas en étant enfermé dans un Carmel à prier, même si j’aimais vraiment ça, mais en étant au-devant de la scène. C’est le paradoxe, je voulais rester caché et confiné dans la prière et aujourd’hui je suis sur les routes pour aller à la rencontre des jeunes et essayer de leur transmettre une espérance. Je suis frappé de voir à quel point les jeunes souffrent. Quand on va sur d’autres continents, on observe une joie qu’on ne retrouve plus chez les jeunes en Europe. On n’a plus d’espérance et on ne croit plus à l’engagement par peur de l’échec. J’ai envie de leur dire que c’est possible, mais il faut connaître ses limites et savoir qui on est vraiment pour pouvoir s’engager vraiment, se donner et que cet engagement puisse nourrir toute notre vie et nous rendre profondément heureux.
A la sortie du Carmel, vous optez pour un emploi alimentaire et vous chantez dans les bars 3 à 4 soirs par semaine. Les portes du succès s’ouvrent peu à peu mais c’est en même temps, pour vous, le début d’une période sombre.
C’est un moment où je me suis éloigné de la foi et de ce qui était essentiel pour moi. Je me suis tourné vers la musique mais pour gagner simplement ma vie, sans fond, sans message. Et quand un artiste chante mais n’a rien à dire, c’est ce qu’il y a de pire. Il y a eu plusieurs mois durant lesquels j’ai commencé à sortir de plus en plus, où j’ai arrêté de prier et où j’ai fait des mauvais choix. Un soir, on me propose de prendre de la drogue dite ‘dure’ et je me dis "pourquoi ne pas essayer pour voir? Ça me changera de mon quotidien". J’ai cédé à cet appel pour "faire comme les autres" et pour découvrir que ça pouvait aussi faire disparaître des choses que je n’aimais pas chez moi, comme ma timidité. A ce moment-là, j’espérais être quelqu’un que je n’étais pas. C’est la pire des choses lorsqu’un jeune espère devenir quelqu’un qu’il ne peut pas être, car ça va forcément le rendre malheureux. Sur le chemin que Dieu a mis dans mon cœur, Il ne m’a rien pris et m’a donné bien au-delà de ce que j’imaginais en me permettant d’être pleinement moi-même. Répondre à l’appel de Dieu, que ce soit dans le mariage, la vie religieuse ou dans la mission, c’est devenir pleinement nous-mêmes. On passe trop notre temps à se dire qu’on a besoin de telle ou telle chose pour être heureux. J’ai réfléchi aux choix que je devais poser pour être heureux. C’est de cette manière que je suis sorti de la drogue et de cette dépression, en me faisant aider et en posant les actes qui me permettent de m’en sortir.
Dans votre dernier album "Mes racines", vous reprenez les plus beaux chants chrétiens d’hier et d’aujourd’hui. Vous vivez pleinement votre foi et la partagez en musique. D’où est née cette idée d’album?
Ce sont des airs que tout le monde connaît. On n’a pas besoin d’être chrétien pour connaître le psaume de la création, par exemple, qui est chanté à tous les mariages et tous les baptêmes. Ces chants font partie de notre héritage et rappellent des moments forts de la vie de chacun. J’avais envie de faire mémoire de tous les moments spirituels qu’on a pu vivre à travers ces chants et, aussi, rendre hommage à la musique chrétienne. On croit que c’est un nouveau phénomène parce que j’ai eu la chance de me produire à l’Olympia ou au Bataclan, mais la musique chrétienne existe depuis toujours et a été créée pour Dieu. Dans mon travail, j’essaye d’avoir une qualité artistique la plus irréprochable possible pour qu’on puisse dire de moi que je suis un artiste. Si Universal Music est venu me chercher, c’est parce qu’ils ont reconnu ma qualité artistique, avant même mon message de foi. De plus, nous chrétiens, avons toujours un complexe par rapport à l’art. Nous avons toujours peur de "faire ringard" et nous devons "faire jeune". Personnellement, j’ai juste envie de me dire qu’il faut faire de la bonne musique et aller rejoindre les gens où ils sont, avec la musique. La première activité, pour 70% des jeunes est d’écouter de la musique. Si on n’est pas dans leurs écouteurs et si on ne leur fait pas passer un message positif, on aura raté quelque chose.

Propos recueillis par Natacha COCQ
et Manu VAN LIER

Grégory Turpin, Clair obscur: itinéraire d’un artiste en quête d’absolu, éd. Première partie, Paris, 2012. www.gregoryturpin.com.

Retrouvez cet entretien en radio, dans "Il était une foi", dimanche 27 mars à 20h10 sur La Première.

 

Catégorie : Culture

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