Maggy Barankitse, entre colère et espérance


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Maggy Barankitse, entre colère et espérance
Par Jean-Jacques Durré
Publié le - Modifié le
4 min

BP_8808 Maggy Barankitse-copyrightContrainte à l’exil, après avoir ouvertement pris position contre un troisième mandat présidentiel, la fondatrice de la Maison Shalom, voit aujourd’hui ses comptes gelés et les projets de développement arrêtés par ordonnance ministérielle.

Avec pour seules armes, la parole et un bâton de pèlerin, Maggy Barankitse lance un SOS à la communauté internationale face à un pouvoir qui s’enfonce dans la violence et attise la haine interethnique. Nous l’avons interviewée.

Le Président Pierre Nkurunziza s’est accroché au pouvoir, en violation des accords d’Arusha et malgré la désapprobation de la rue comme de l’étranger. Voici cinq mois que vous assistez depuis l’étranger à une descente aux enfers. Votre œuvre de réconciliation est mise en péril… Comment vivez-vous les choses personnellement?

Comme une nouvelle vocation: tel Abraham, j’ai été appelée à quitter mon pays pour une juste cause. Témoigner et alerter. Je vais aussi rejoindre mes frères réfugiés au Rwanda pour fêter Noël avec eux, fêter Jésus, premier réfugié né en exil, et leur délivrer un message d’espérance: le Burundi n’est pas perdu. Il est devenu impur. Trop de non-dits! Nous devons guérir les mémoires, préparer un avenir. Les jeunes ont prouvé leur volonté de remettre le pays sur les rails. C’est malgré tout un temps de grâce. Je suis en colère mais pleine d’espérance. Je sais que je dérange le pouvoir mais si, moi, qui me suis battue depuis 22 ans pour redonner de l’espoir, je me tais, qui d’autre parlera?

Et là, les soucis ont commencé pour vous. Les comptes de la Maison Shalom comme les vôtres ont été récemment bloqués. Que s’est-il passé? Comment expliquez-vous cette décision?

Un matin, notre gestionnaire est allé chercher de l’argent à la banque pour acheter des bonbonnes d’oxygène pour l’hôpital Rema. En vain! Nos comptes avaient été gelés. Toutes nos activités ont dû être arrêtées. Imaginez notre centre de rééducation pour mineurs délinquants fermé. Ces jeunes se retrouvent sans nourriture ni formation alors que nous appuyions ainsi le Ministère de la Justice.

Nous soutenions 4.000 enfants rapatriés des camps de Tanzanie pour les réintégrer dans leurs familles. Et dans notre école, nous fournissions le matériel scolaire à plus de 300 enfants. Notre hôpital de référence, -le seul dans le pays-, a accueilli l’an dernier 21.700 personnes. C’était le seul à avoir un vrai centre de néonatologie, le seul encore à aider les mères séropositives à ne pas contaminer leurs enfants par allaitement en leur fournissant du lait. Je faisais venir six mois par an des orthopédistes étrangers. Même la maman du Président s’y est fait opérer! Nous avons dû renvoyer les élèves de notre école d’infirmières comme dans nos formations de plomberie ou de mécanique automobile. Idem pour les ingénieurs agronomes employés dans les coopératives au service de 10.000 familles. Dramatique encore pour les 8.400 ménages bénéficiaires de microcrédits comme pour les 500 jeunes employés dans nos projets, aujourd’hui à la rue… Le PIB a déjà chuté de 7%. Tout cela à cause d’un homme, qui en vient à tuer sa population, pour un troisième mandat. Il faut être malade pour torturer, brûler, mutiler les parties génitales, faire marcher sur des clous, voler la vie... Je pleure et prie le Seigneur de faire éclater ses merveilles. La "maison Shalom", ce ne sont pas (que) des bâtiments ni des projets, c’est l’œuvre de Dieu: un message d’amour pour la dignité des enfants. Nul ne peut arrêter l’amour, nous trouverons d’autres moyens.

C’est une phrase que vous aimiez "La vie est une fête; ayons l’audace de la célébrer". Vous diriez encore cela aujourd’hui?

Je continue à célébrer la vie chaque instant, à dire ‘oui’ à la vie, ‘non’ à la haine. D’ailleurs, qui peut nous ôter la vie? Au passage de la frontière à mon arrivée en Europe, un policier m’a demandé ce que je venais faire. Je lui ai répondu: je distribue du bonheur. Même si le Président m’accuse, je sais que ma vocation, c’est de donner du bonheur. Ne sommes-nous pas tous frères et sœurs en humanité? Continuons de semer même si on piétine nos récoltes.

Béatrice Petit

Lire l'interview complète dans l'hebdomadaire "Dimanche" n° 43 du 6 décembre 2015

 

Catégorie : International

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