Après des prises de position courageuses, l’apôtre burundaise de la paix et de la réconciliation, doit aujourd’hui vivre cachée.
Rien ne va plus dans ce petit pays depuis que le président Pierre Nkurunziza, a annoncé fin avrilqu’il briguerait un troisième mandat lors des prochaines élections, en violation des accords d’Arusha conclus au terme d’une interminable guerre entre Hutus et Tutsis.
La population est descendue dans les rues dire son mécontentement. Le 13 mai, un mystérieux coup d’Etat était annoncé avant d’être rapidement contré, suivi d’arrestations, de limogeages de responsables politiques et de la traque de leaders de la société civile. Et pour cause, la grande majorité de ces derniers avaient pris position contre la décision jugée illégale du Président.
Telle Marguerite Barankitse, alias Maggy, cette femme exceptionnelle, surnommée «maman nationale» de milliers d’enfants orphelins auxquels elle permet de grandir dans la bienveillance, depuis qu’elle a elle-même été confrontée à l’horreur et failli être tuée.
C’était le 24 octobre 1993, en pleines turbulences interethniques, à Ruyigi. Des Tutsis cherchaient à se venger de tueries et pourchassaient des Hutus terrés à l’évêché, où elle travaillait. Maggy Barankitse tente alors l’impossible: convaincre ces enragés de renoncer à la violence. Pour la punir d’une soi-disant trahison envers les siens, ils lui ôtent ses vêtements, la ligotent et lui font assister à l’incendie du bâtiment, puis au massacre à coups de machette de ceux qui s’y étaient réfugiés.
Quelques heures plus tard, les enfants des victimes apparaissent. Maggy Barankitse comprend que sa vocation sera désormais de les accueillir, de les entourer et de créer avec eux une alternative à la haine. Au cœur d’une maison baptisée Shalom, vite appelée à constituer quasiment un village vu l’affluence, et à essaimer dans le pays.
Au fil de cette guerre civile et jusqu’aujourd’hui, Maggy ouvre grand les bras aux innombrables orphelins de toutes ethnies, aux enfants des rues, aux sidéens… qui viennent la solliciter, sans jamais leur refuser l’accueil, ni faire une quelconque distinction. Elle éduque ces bambins meurtris, leur apprend le respect mutuel, la non-violence et le pardon.
Sa mission se développera et s’amplifiera, avec l’accueil de femmes qui vont accoucher, de personnes mourantes et de mille autres détresses.
«Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?»
Chrétienne engagée, Maggy Barankitse prend son bâton de pèlerin pour appeler à la fraternité et travaille sans relâche à la construction d’un monde plus juste, ne craignant pas de dénoncer les dérives du pouvoir ou de «dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas», commente une proche. Mais elle n’en reste pas là, elle agit et soutient ce qui lui pense être juste. «Confiante en la Providence, prête à mourir, mue par le devoir de parler et aimant redire ‘Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?’»
Ainsi, lors des premières manifestations, un jeune de 15 ans avait été abattu. La famille est venue trouver Maggy, qui n’a pas eu peur d’organiser l’enterrement et d’exprimer son indignation en invitant au respect des droits des mineurs. Ensuite, elle a commencé à visiter et à nourrir les blessés dans les hôpitaux, quels qu’ils soient, puis les prisonniers suite aux manifestations. Elle n’a pas sa langue en poche et dénonce les mises au cachot dépassant les délais légaux, les conditions de détention… «Ce qui lui a valu de figurer en tête de la liste noire des personnes recherchées et d’être cataloguée par le pouvoir comme putschiste», explique une de ses amies.
Très vite, des menaces d’incendie sont arrivées sur l’hôpital qu’elle a construit avec l’aide des militaires belges. Sa famille, ses proches ont dû fuir et elle, se cacher dans un endroit tenu secret, après une avalanche de messages téléphoniques inquiétants. Les collaborateurs de la maison Shalom subissent eux aussi des intimidations.
Il y a peu, elle déclarait au journaliste de «Rue 89»: «Les diplomates occidentaux me disent d’aller en Europe. Mais je serai la dernière à partir! Je préfère qu’on m’enlève, moi, qui ai 59 ans et fais tout ce que j’aime dans la vie, plutôt qu’un étudiant qui a toute sa vie devant lui. Quelle maman laisserait ses enfants en danger pour prendre l’avion et être la première à partir? Si je le faisais, je mourrais d’hypertension chez vous en Europe! C’est un choix! Je continuerai de dire les mots qui ne sont pas chargés de haine et de violence et de dire ‘Basta!’ à toutes les souffrances déjà endurées par le peuple burundais.»
Une notoriéte qui dérange
Reconnue internationalement, bardée de diplômes – dont celui de docteur honoris causa de l’UCL – et de prix, l’élégante Maggy, au grand cœur et au sourire contagieux, fait autorité.
Sa voix porte! Et sa nomination récente parmi les candidats au Nobel de la Paix – pas encore publiée par le jury, mais confirmée – dérange vraisemblablement certains…
Béatrice Petit
Maggy Barankitse a été l’invitée de l’émission «Il était une Foi» produite par les Médias Catholiques, en télévision et en radio. Elle a aussi été invitée à la tribune des Grandes Conférences Catholiques.© Photo: Béatrice Petit