Gino Bartali n'était pas qu'un immense coureur cycliste. Il était aussi un homme de cœur et de courage qui s'illustra pendant la Seconde Guerre mondiale en se mettant au service d'un réseau clandestin pour sauver des juifs. Le champion italien a été reconnu "Juste parmi les Nations" à titre posthume; son nom figure désormais sur le Mémorial de la Shoah de Yad VaShem, à Jérusalem.
Originaire de Ponte a Ema, près de Florence, Gino Bartali (1914-2000) était déjà un héros du cyclisme mondial avant que n'éclate la guerre. Il avait en effet gagné le Giro en 1936 et 1937 ainsi que le Tour de France en 1938. Mais le grand public a ignoré pendant très longtemps qu'il fut un héros tout court. Le cycliste italien vient désormais de dépasser l'histoire de son sport pour entrer dans la grande Histoire, en étant reconnu "Juste parmi les nations", une distinction décernée à plus de 24 000 personnes dans 44 nations depuis 1963 par Yad Vachem, mémorial consacré au souvenir et à l'étude de la Shoah.
Des messages cachés dans le cadre du vélo
Le coureur avait en effet activement contribué à sauver des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale en profitant de son statut d’icône dans son pays pour faire passer des informations capitales à un réseau de sauvetage. Son fils, Andrea Bartali, rapporte que l’archevêque Dalla Costa* avait marié ses parents et avait continué d’entretenir avec eux des relations d’amitié. Lorsque l’Allemagne nazie occupa l’Italie, en 1943, Bartali rejoignit alors le réseau clandestin lancé par le prélat et le rabbin Nathan Cassuto. Il leur servit de messager et dissimulait des documents falsifiés dans la selle, le cadre et le guidon de sa bicyclette, pour les amener partout où c'était nécessaire, sous le couvert de son entraînement. Il fit en particulier de nombreux aller-retour vers le couvent Assise, principale "base" du réseau catholique de sauvetage organisé dans la ville du Poverello. Quand le champion était arrêté par les gens, il disait que l’on ne devait en aucun cas toucher à sa bicyclette dont les différentes parties étaient soigneusement équilibrées, en vue de la recherche de vitesse maximum. Si c'était des soldats allemands qui l'arrêtaient, il disait qu'il "s'entraînait" et ils le laissaient partir, pleins d'admiration pour ses exploits sportifs.
Catholique fervent
Outre ses exploits sportifs et son goût pour la cigarette (!), Bartali était aussi connu pour sa très grande piété catholique, immortalisée dans la presse de l'époque, notamment lors de sa victoire d'étape à Lourdes en 1948. Il consacrait chaque soir de course un long temps à la prière voire à la confession. Et c'est en raison de ses convictions religieuses et éthiques, qu'il prit autant de risques. Il aurait ainsi contribué à sauver près de 800 juifs.
Après la guerre, "Gino le pieux" gagna une nouvelle fois le Giro en 1946, et le Tour de France en 1948. Mais jusqu'à sa mort en 2000, à l’âge de 85 ans, personne ne connaissait son action héroïque durant la guerre. Le champion italien n’avait jamais parlé de cette histoire à ses proches, ni à son entourage. Sa reconnaissance comme "Juste" tient à la persévérance de la communauté juive de Florence, qui a permis de recueillir des témoignages directs. "Le bien, c’est quelque chose que tu fais, pas quelque chose dont tu parles", expliqua-t-il un jour à une parente du rabbin Cassuto . "Certaines médailles sont accrochées à ton âme, pas sur ton blouson".
P.G.
*Le prélat italien fut également déclaré "Juste parmi les Nations", en 2012