Les uns crient à l'instrumentalisation de l'être humain, les autres saluent la prouesse scientifique. La naissance du premier bébé-médicament en France a déclenché une importante vague de réactions, principalement dans les milieux catholiques.
C'est le jour du début de la révision de la loi de bioéthique à l'Assemblée nationale que le professeur René Frydman, chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Antoine-Béclère de Clamard, a annoncé la naissance, le 26 janvier dernier, d'Unut-Talha ("notre espoir", en turc), troisième fils d'un couple de trentenaires installés dans le sud de la France. Une naissance pas comme les autres, puisqu'il s'agit du premier bébé-médicament français. Pour sauver leur fillette de 3 ans, atteinte de bêta-thalassémie, une grave maladie du sang, ce couple a effectivement fait appel à cette technique – déjà utilisée dans plusieurs pays dont la Belgique – pour lui donner une chance d'avoir un frère ou une sœur compatible pour une greffe de moelle prélevée sur le cordon ombilical.
Cette prouesse technique pose toutefois de nombreuses questions d'ordre éthique. Ainsi, s'il salue "le prodige que constitue cette naissance", le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France, est "tout à fait opposé" à cette technique. Pour lui, il s'agit de "l'instrumentalisation" d'un être humain au profit d'un autre. Un avis largement partagé par ses pairs, comme en témoigne le communiqué publié le 8 février dernier par dix évêques de la province de l'ouest de la France. "Vouloir guérir son frère en humanité est à l'honneur de l'homme", peut-on y lire. "En revanche, légaliser l'utilisation de l'être humain le plus vulnérable pour guérir est indigne de l'homme. (…) Que dire l'enfant quand il se découvrira "bébé-médicament"?", s'interrogent ces évêques, pour qui "un tel utilitarisme est toujours une régression".
Un double eugénisme
De son côté, Mgr Pierre d'Ornellas, chargé des questions de bioéthique pour la Conférence des évêques de France, a déclaré que cette technique est contraire au plus élémentaire respect dû à tout être humain, chaque enfant ayant "le droit inaliénable de naître pour lui". Et l'archevêque de Rennes de s'interroger sur la "tentation démiurgique d'une société qui veut maîtriser l'ensemble des cellules vivantes" en négligeant le sort de l'enfant à naître. "La technique qui voudrait supprimer toute vulnérabilité ferait fausse route, car la vulnérabilité appartient à la condition humaine", a-t-il insisté.
Tugdual Derville, délégué général de l'Alliance pour les droits de la vie, dénonce quant à lui "une forme particulièrement pernicieuse d'eugénisme", puisque "sous couvert de la louable intention de guérir un enfant, on a sélectionné un frère selon l'objectif qu'on a voulu lui assigner, et on a détruit d'autres frères et sœurs, qui n'étaient pas conformes à ce projet". Même constat du côté de la Fondation Jérôme Lejeune qui parle, elle, d'une technique "doublement eugénique". "D'abord, il faut éliminer les embryons porteurs de l'affection dont souffre le grand frère ou la grande sœur à soigner. Ensuite, dans le stock d'embryons sains, un deuxième tri est effectué qui permet de ne garder que des embryons compatibles pour la greffe envisagée."
Quel avenir pour ce bébé ?
Dans le monde politique, la polémique n'est pas moins vive. Christine Boutin, la présidente du Parti chrétien démocrate, s'inquiète du devenir de ce bébé-médicament, car celui-ci se posera toujours la question: est-ce que véritablement, j'existe pour moi-même? Pour l'ancienne ministre du Logement et de la ville, "on a franchi un pas excessivement grave. Avec un tel 'progrès', l'homme devient un objet de consommation et un matériau comme n'importe lequel", constate-t-elle, tout en appelant "à la vigilance du président de la République pour stopper l'irréparable". Des propos qui n'étonnent pas plus que cela le professeur Frydman, à l'origine de cette naissance inédite. "Je ne voix pas dans cette histoire où se situe l'instrumentalisation", explique-t-il dans les colonnes du "Monde". "Je tiens à rappeler que ce couple désirait un enfant, certes sain, mais sans garantie de compatibilité avec leur fille. (…) Nous ne devons pas laisser un groupe religieux imposer son point de vue dans un pays qui se veut laïc, même si nous devons respecter les convictions de chacun."
(CtB/Zenit/PA)