20 membres de la faculté de théologie et d'étude des religions de l'UCLouvain ont écrit une "réponse" à la lettre que la communauté universitaire avait adressée au pape. A travers ce texte, les signataires partagent ce qu'ils auraient répondu aux étudiants à la place de François. L'occasion de proposer une réflexion sur le rôle des théologiens dans l'Eglise et sur la manière de penser la place des femmes en son sein.
La rencontre du pape avec des représentants de la communauté universitaire de l'UCLouvain, le 28 septembre dernier, continue de susciter des réactions et des réflexions, plus de deux semaines après l'événement. Dans un texte qui doit être publié incessamment, 20 membres de la faculté de théologie et d'étude des religions - dont, par exemple, le doyen Olivier Riaudel, Catherine Chevalier, Régis Burnet, Arnaud Join-Lambert, Thomas Remy - adressent une "réponse" à la lettre que, ce jour-là, 28 professeur(e)s et étudiant(e)s ont lue à François. Cette lettre lui posait différentes questions sur le thème de l'écologie intégrale. Dont celle de la place des femmes au sein du "projet" de l'écologie intégrale et, partant, de l'Eglise.
"Quelle place pour les femmes dans l'Eglise ?"
On se souvient de l'interpellation adressée au Souverain pontife sur cette question : "Les femmes sont les grandes absentes de Laudato si’. Vous me direz peut-être que la question du 'soin' à la 'maison commune' qu’est notre Terre-mère est une interpellation directe à la vocation féminine. Mais n’est-ce pas autant le cas de hommes? Ce faisant, ne restons-nous pas dans une injuste répartition des tâches au nom d’une propension soi-disant 'naturelle' qui débouche sur une division sexuelle du travail ? La théologie catholique a d’ailleurs eu tendance à renforcer cette division via sa 'théologie de la femme', qui exalte leur rôle maternel tout en interdisant leur accès aux ministères ordonnés. Quelle place, donc, pour les femmes dans l’Église ?"
L'homme et la femme ensemble
On se souvient tout autant de l'ire qu'a suscitée alors la réponse de François à ce questionnement : "Ce qui caractérise la femme, ce qui est féminin, n’est pas déterminé par le consensus ou les idéologies. Et la dignité est garantie par une loi originelle, non pas écrite sur le papier, mais dans la chair. [...] À partir de cette dignité, commune et partagée, la culture chrétienne élabore de manière toujours renouvelée, dans différents contextes, la mission et la vie de l’homme et de la femme et leur être mutuel, dans la communion. Non pas l’un contre l’autre, ce qui serait du féminisme ou du masculinisme et non pas dans des revendications opposées, mais l’homme pour la femme et la femme pour l’homme, ensemble. La femme est accueil fécond, soin, dévouement vital. C’est pourquoi la femme est plus importante que l’homme, mais il est mauvais que la femme veuille faire l’homme."
"Si nous avions dû répondre..."
En prenant prétexte d'une réponse qu'elles et eux auraient apportée aux interpellations des étudiant(e)s, les théologiennes et théologiens développent une réflexion sur le rôle de la théologie et sur les conditions pour que les femmes puissent pleinement trouver leur place dans l'Eglise.
"Si nous avions dû répondre à ces questions, nous aurions pu dire [...] que l’Université est par excellence un espace expérimental pour penser, essayer et mettre en pratique de nouvelles réponses à des questions anciennes, ici en ce qui concerne la justice, la solidarité, l’engagement pour le climat, la situation des femmes et des minorités, sous toutes leurs formes. Et notre faculté de théologie et d’étude des religions entend être aussi un tel espace."
La théologie en dialogue
Pour les signataires du texte, la théologie ne peut participer à cette dynamique que si elle abandonne toute position de surplomb, évoquée dans la lettre des étudiant(e)s : "Car dans une telle position à qui nous adresserions-nous de manière audible, compréhensible, légitime ? Le propre d’une position de surplomb, c’est le jugement d’en haut, le sentiment de supériorité, la certitude que rien n’atteint, la doctrine qui s’impose aux réalités concrètes de la vie." Et d'évoquer un texte du pape François précisant que "la théologie ne peut que se développer en une culture de dialogue et de rencontre entre les différentes traditions et les différents savoirs, entre les différentes confessions chrétiennes et les différentes religions, en se confrontant ouvertement à tous, croyants et non-croyants" (Ad theologiam promovendam 4).
Aussi, "sur les questions écologiques, sociales, politiques, sur la place des femmes dans la société et dans l’Église, la théologie chrétienne ne peut que participer à un dialogue, et non apporter des réponses définitives. Plus encore, la pertinence et même la vérité d’une parole croyante, et théologique, se mesure aussi à son ajustement aux situations, aux contextes, aux auditeurs, même et surtout sur des sujets parfois polémiques, comme l’avortement, l’homosexualité, l’euthanasie, etc." Une allusion, sans doute, aux propos du Saint-Père qui, le 28 septembre, n'ont pas été entendus par son auditoire.
Relire la Bible de manière inclusive
Pour les 20 universitaires, la théologie doit également inviter "les chrétiennes et les chrétiens à relire de manière plus inclusive leur source d’inspiration : la Bible. Sur les femmes par exemple." Et prendre ainsi du recul par rapport à une notion "essentialisée" de la femme, fondée principalement sur la figure de Marie alors que, dans la Bible, on trouve "plus de 150 figures de femmes courageuses et anticonformistes, prophétiques et agissantes dans la lutte pour la justice et la vie. Et dans un contexte qui leur est défavorable, y compris certains autres textes bibliques d’ailleurs, elles réussissent – en puisant dans leur foi, leur intelligence et leur agentivité – une entreprise audacieuse : changer les choses".
Discours essentialistes vs. théologie contextuelle
Les "discours essentialistes" concerneraient également le rapport à la nature. A cet endroit, "des théologiennes écoféministes" proposent "une construction sociale du masculin et du féminin comprenant la nature, la culture, la tradition comme autant d’élaborations historiques et sociales avec lesquelles nous ne pouvons pas travailler comme si elles étaient des concepts anhistoriques."
Bref, le document émanant de la faculté de théologie et d'étude des religions en appelle à une théologie contextuelle, qui "relit la tradition chrétienne à la lumière de la façon dont la foi est vécue dans une situation particulière. La théologie de la libération en fut un des premiers exemples. Un des apports d’une théologie contextuelle féministe va être, par exemple, de faire ressortir l’apport des femmes dans l’histoire biblique ou chrétienne."
Lisez l'intégralité de la réponse de la faculté de théologie et d'étude des religions
Christophe HERINCKX