Dans son bureau jouxtant la cathédrale historique du Sacré-Cœur, Mgr Sebastian Francis Shaw, archevêque de Lahore, livre son regard sur la situation des chrétiens au Pakistan, où l’islam est un ciment patriotique et politique. La minorité, qui représente seulement 2 % d’une population de 240 millions d’habitants, est vulnérable et fait profil bas. Aujourd’hui, l’archevêque revient sur les émeutes du 16 août au quartier chrétien de Jaranwala.
"Il y a une trentaine d’années, personne ne vivait dans la peur au Pakistan. Les problèmes ont débuté lorsque certaines lois ont été introduites et qu’elles ont été mal utilisées. C’est le cas par exemple de la loi sur le blasphème. Les violences de Jaranwala [ndlr : des émeutes qui ont ciblé le quartier chrétien de Jaranwala, à 100 km de Lahore, détruisant des centaines de maisons et incendiant 22 églises] ont eu lieu suite à une accusation de blasphème visant des chrétiens. Avant cet incident, les gens vivaient côte à côte, et ils vivent toujours ainsi. La peur peut exister mais n’est pas une réalité quotidienne. Les musulmans et les chrétiens vivent ensemble et participent même aux cérémonies religieuses des uns et des autres.
Comment désamorcer les tensions interreligieuses ?
D’une manière générale, les gens peuvent avoir des idées fausses et des interprétations qui créent de la distance et de l’animosité. Nous croyons très profondément que, face à toute forme de confusion, le dialogue est la seule solution. Depuis quinze ans, et particulièrement à Lahore, nous organisons des rencontres entre chrétiens et musulmans. Si l’on dialogue, l’incompréhension religieuse est impossible. Tous les quinze jours, nous organisons ainsi un dialogue interreligieux qui rassemble près de 80 personnes, avec la participation de grands représentants religieux de l’islam au Pakistan.
En début d'année, Release international dénonçait :
"Les persécutions contre les chrétiens en Asie risquent de s'aggraver"
Comment le dialogue aide-t-il à débloquer de fausses accusations de blasphème ?
Je vais vous donner un exemple. Il y a quelques mois, quatre chrétiens âgés de quinze ou seize ans, qui travaillaient comme nettoyeurs de rue, ont été accusés de blasphème et frappés par des musulmans. La raison était qu’ils avaient utilisé une bannière religieuse pour ramasser des détritus. Mais ils n’avaient aucune idée que de ce qui était écrit sur cette bannière ! Immédiatement, nous avons mobilisé notre homme de dialogue, un musulman, qui est allé parler à la police avec l’un de nos représentants, afin de faire libérer ces garçons. Il a demandé aux jeunes chrétiens de lire un journal, ce qu’ils ont été incapables de faire. Ainsi, il a démontré que ces garçons n’avaient pas voulu profaner la bannière et étaient simplement ignorants et illettrés. Grâce à ce dialogue, la situation a été résolue.
En fait, l’interprétation que les gens donnent aux choses peut être mauvaise. Face à cela, il faut faire preuve d’écoute, de compréhension, parler ensemble, et réaliser aussi que nous sommes tous Pakistanais. Même à Jaranwala, nous sommes tous responsables des émeutes. Cet incident, qui met en cause la responsabilité des chrétiens et des musulmans, a entaché l’image du Pakistan. Ce sont aussi des maisons qui ont été détruites et qu’il faut à présent reconstruire avec l’argent de notre pays.
Dans les mentalités au Pakistan, il existe une certaine méfiance à l’égard de la minorité chrétienne…
À une époque, en particulier après les attentats du 11 septembre 2001, nous, chrétiens du Pakistan, étions souvent accusés d’être les alliés de l’Occident et des États-Unis. Aujourd’hui, les gens ont compris que nous sommes nés ici et que nous sommes les enfants du Pakistan. Récemment, un religieux musulman a déclaré à ses fidèles : "Mes frères, comprenez bien que personne n’écoute les chrétiens pakistanais en Europe ou aux États-Unis !" Et c’est la vérité.
L’an dernier, nous avons voulu envoyer l’un des nôtres à un colloque international sur l’éducation catholique, qui se tenait à Marseille. Malgré toutes les lettres de recommandation et les garanties que nous avons fournies, le visa lui a été refusé par la France… Et ce n’est pas la première fois que nous essuyons des refus.
Pensez-vous que le visa a été refusé parce que cette personne était pakistanaise ?
Oui, avec la suspicion habituelle que cette personne voudrait peut-être ne pas revenir au Pakistan une fois en France. Le fait d’être chrétien n’a pas fait de différence. Ici, les gens comprennent donc que nous sommes tous logés à la même enseigne. Nous sommes tous Pakistanais.
Quel est le message que vous faites passer à vos amis musulmans lors de vos échanges ?
Nous voulons tous que le Pakistan soit un pays en paix. Nous vivons tous ensemble. Il ne s’agit pas seulement de tolérance, mais aussi d’acceptation réciproque, comme dans un couple ! Nos croyances sont différentes, nous prions de manière différente, et nous l’acceptons. Dieu nous accepte tous. Nous ne devons contrôler personne et comprendre nos différences.
Et que dites-vous aux chrétiens ?
Je leur dis que nous devons aussi apprendre à vivre davantage en paix avec les autres. Nous bénéficions d’une longue expérience de dialogue interreligieux. Nos écoles chrétiennes, comme Saint-Anthony à Lahore, ne sont pas des institutions religieuses mais des institutions sociales. Pour les cours religieux, les classes sont séparées entre chrétiens et musulmans. Durant le catéchisme avec les élèves chrétiens, nous leur apprenons, par exemple, que le Coran mentionne 24 fois le nom de Jésus-Christ. Ainsi, nous leur donnons une sensibilité religieuse d’affiliation. C’est très important.
Et cela serait aussi valable en France ou en Suède. Lorsque quelqu’un brûle le Coran en Europe, j’explique ici à mes frères musulmans qu’une grande partie des Européens ne sont pas religieux, même si les gens portent des prénoms chrétiens, et n’ont pas de sensibilité religieuse. Pour beaucoup d’entre eux, la Bible, le Coran ou la Torah ne sont que des livres ordinaires. Mais il faudrait que ces pays comprennent que nos frères musulmans ont une dévotion profonde pour le Coran et pour le prophète, et qu’il faut éviter de créer des problèmes. Si vous brûlez un coran, les réactions viendront du monde entier."
Recueilli par Eglises d'Asie (Mission étrangère de Paris) / A.R.