RivEspérance : Transition, en avant toute!


Partager
RivEspérance : Transition, en avant toute!
Par Nancy Goethals
Publié le - Modifié le
8 min

Coup d'envoi de l'année Transition proposée par RivEspérance avec une équipe motivée et un panel riche, intergénérationnel et même musical pour ce premier événement

Ce mercredi 17 mars, 550 personnes sont venues se nourrir, par écran interposé, des réflexions sur la transition proposées par RivEspérance. Dimanche et Cathobel ont déjà annoncé la couleur: les événements organisés cette année vont explorer la transition sous toutes ses facettes.

Malgré des conditions d'organisation plutôt compliquées en raison des mesures sanitaires, la retransmission de cette Table ronde semble avoir été un succès. Les organisateurs ne s'y attendaient pas: 750 personnes s'étaient montrées intéressées et ils ont enregistré plus de 550 connexions. "Ce succès incroyable est peut-être le signe d'une urgence: la transition est à notre porte", dira Charles Delhez en remerciant déjà toute l'assistance de croire que la transition est à opérer.

Quoi de mieux pour se mettre en condition de réflexion qu'une belle introduction et des pauses musicales offertes par le violoncelliste Hervé Douchy? Le thème de cette soirée étant "la transition, chemin intime", les organisateurs ont rappelé que le Forum RivEspérance est attentif à la dimension spirituelle des événements sociétaux. Pour Frédéric Rottier (co-organisateur et directeur du Centre Avec), "les trois intervenants de cette table ronde font la jonction entre question écologique, engagement social, sociétal et quête de sens". Chacun d'eux ayant déjà pas mal cheminé, il et elle pouvaient donc témoigner de leur parcours tout en offrant un regard philosophique (Charlotte Luyckx) ou sur la pauvreté et les droits de l'homme (Olivier De Schutter) ou sur les actions pour le climat (Nicolas Van Nuffel).

Le sujet est vaste et la soirée ne suffira pas à en faire le tour. Mais, déjà, grâce à l'animation par la journaliste Sophie Brems, spécialiste à la RTBF pour les questions relatives à la transition écologique, plusieurs volets de la thématique ont pu être abordés.

Se convertir intérieurement et agir sur le système

Faut-il opposer les transitions personnelle et collective? A cette question, Charlotte Luyckx répond qu'il faut une articulation entre le respect de la diversité des chemins et une vision commune. Eviter les "ou" mais favoriser les "et" pour rendre compte de l'ampleur et de la complexité de la tâche.

"A l'instar des drogués à l'héroïne, nous sommes 'carbonomanes' " dit Nicolas Van Nuffel. "La transition est le chemin de la désintoxication. Elle est à la fois individuelle et collective. Il ne faut pas les opposer mais travailler à leur relation car la somme des actions individuelles ne résoudra que 15% du problème. mais rien ne sert de faire évoluer les infrastructures si nous continuons à consommer" fait-il remarquer. "Il faut accepter que le chemin sera long."

Olivier De Schutter veut des hommes et femmes politiques gestionnaires mais aussi visionnaires. "Nous devons avoir confiance que la trajectoire de la transition soit soutenue. Le récit de la croissance infinie n'est pas soutenable. Entre le plus et le moins, il y a le mieux. Il nous faut mettre l'accent sur le mieux. Laisser croire que nous allons nous épanouir en augmentant la croissance est une erreur. L'effondrement écologique va couper la route à une série de possibles." En même temps, il invite à désobéir (pas au niveau de la loi pénale) en refusant personnellement les injonctions à consommer, à être compétitif ou à se classer par rapport aux autres.

Faire sa transition

Pour Charlotte Luyckx, les questions de sens précèdent la conscience des enjeux écologiques et sociaux. "Mon chemin intérieur a fusionné avec ces enjeux. J'y vois quelque chose de très vivant, dynamique. Il y aune énergie de vie. Je me sens nourrie par les initiatives de transition. Il ne faut pas attendre de faire sa transition intérieure pour changer à l'extérieur. Tout est bon à prendre. Chacun doit trouver sa manière de contribuer mais on n'est pas obligé de tout faire. Demandons-nous: 'à quel niveau puis-je avoir un impact?' Et prêtons attention à la quête d'une éco sainteté qui risque de mener au burnout. Cela n'a pas de sens de s'épuiser individuellement."

Pour Olivier De Schutter c'est la perspective de l'effondrement qui lui a donné de l'énergie. C'est aussi la prise de conscience que l'humanité entière souffre, en particulier les plus pauvres.

Nicolas Van Nuffel voit les portes s'ouvrir: "je suis convaincu qu'il y a des changements majeurs et inespérés, fruits de longues années de travail et aussi de mobilisations citoyennes efficaces. Jusqu'à 8 millions de personnes sont allés dans la rue, de par le monde, pour défendre le climat. L'action citoyenne a permis un changement. Est-il suffisant? Non! Il faudra aller plus loin."

"Face à nos propres limites et au gigantisme du problème, note Charlotte Luyckx, il faut faire un travail de fond sur la confiance que le changement dépend à la fois de nous et pas que de nous." Elle estime que cela permet de nous engager pleinement. "Et agir avec les autres permet de dépasser les pression sociales ou familiales, les sollicitations permanentes", complète Olivier De Schutter. "Il suffit de 22-23% qui changent pour que tout le monde adhère à la nouvelle norme. Il ne faudra pas attendre qu'on soit 50%! Cela donne espoir et sens à ce que l'on fait personnellement. Dans les gestes qu'on pose, nous pouvons contribuer à ces changements."

Profiter de la crise actuelle pour ne pas retourner comme avant, c'est une évidence pour Nicolas Van Nuffel même s'il constate que beaucoup de gens ne sont pas dans cet état d'esprit. "Quelque chose se passe mais les enjeux sont énormes et les lobbies résistants". A ce propos, il cite "le plan de relance après Covid de la FEB qui s'appelle 4x4 Turbo" ... Tout un programme! Par ailleurs, Charlotte Luyckx relève que l'urgence écologique exige un renouveau démocratique d'urgence et se réjouit de l'augmentation et de l'efficacité des assemblées citoyennes participatives et délibératives.

Qui vous inspire?

Sans pouvoir rapporter tout ce qui s'est partagé lors de cette table ronde, il ressort que chacun a sa vision de la transition intime qui leur donne un élan pour agir collectivement. Pour Charlotte Luyckx, "deux utopies concrètes m'ont marquées qui reflètent la pluri dimension de la transition. D'une part, un village au Sénégal géré par une communauté soufie (aspect spirituel): Il s'y vit une palette d'activités concrètes (reboisement, maraîchage…). D'autre part, le mouvement zapatiste au Mexique qui puise dans ses racines précolombiennes."

Nicolas Van Nuffel est inspiré par l'action collective. "Je me sens immensément chanceux de vivre de ma passion. Vivre en permanence au CNCD 11.11.11 et à la Coalition Climat. Il y a aussi l'asbl Emergences - membre de la Coalition Climat - qui organise la transition intérieure. J'ai une passion pour ces rencontres multiples et l'enrichissement que j'en reçois."

Olivier De Schutter, par son domaine d'activité, est plongé dans la pauvreté. "Je suis frappé par l'extraordinaire inventivité de personnes qui affrontent des difficultés et qui peuvent nous apprendre tant sur ce que nous cherchons à retrouver: la simplicité, la solidarité, le partage. Ces personnes sont pour moi des sources d'inspiration: écoutons, regardons, apprenons."

S'inspirer de la spiritualité est un acte de transition

Quand on parle d'écologie et de transition vers un monde meilleur pour tous, l'encyclique Laudato si' n'est jamais loin. Pour Nicolas Van Nuffel, "le message du pape est révolutionnaire car il nous invite à revoir fondamentalement notre conception du rapport à nous-mêmes. Réentendre ce message est une source d'espoir. Laudato si' est citée partout, même hors de l'univers chrétien. Et le rôle du spirituel peut nous aider à la transition intérieure. Je suis convaincu que cela ne va pas sans tri et sans chemin intérieurs. Pour désobéir, il faut une énorme capacité à avoir un regard sur soi-même."

Charlotte Luyckx est passionnée d'éco-spiritualité. "Cette encyclique est une réponse à la critique d'une religion trop transcendentaliste. L'enjeu phare de l'éco spiritualité est de donner de nouvelles interprétations des textes religieux et de resacraliser le cosmos. Il y a quelque chose de fécond à creuser."

Et les jeunes dans tout cela?

Pour conclure cette soirée, un jeune était invité à partager lui aussi son regard personnel sur la transition. Joachim Meeus a participé à un kot à projets actif dans l'alimentation durable, le KAP Vert. Lui s'est questionné sur le rapport au changement qu'il voulait voir advenir dans le monde sans nécessairement y arriver. C'est donc important pour lui de s'interroger sur sa vie intérieure. "Pas sûr que tout le monde s'intéresse à la question, dit-il, mais tout le monde en entend parler". Pour lui, les jeunes n'arrivent pas à la transition de la même façon que les autres générations, ce qui peut entraîner des discussions. "La notion d'urgence risque plus de freiner les gens, même si moi je me sens apaisé. Je n'aime pas trop ce mot qui aurait plus tendance à paralyser qu'à leur insuffler, d'autant plus qu'on donne trop peu de pistes. Il y a tout un imaginaire que je n'aime pas. Je sais que c'est un impératif mais je prends de la distance et cela ne m'empêche pas de vivre. Cela me donne simplement un cap sans que je me mette la pression. Je préfère parler d'une "impérieuse nécessité".

Dans son "billet d'humeur", Joachim partage son cheminement: "La frontière avec le monde extérieur est très poreuse. D'une part, il y a le risque d'être envahi par le monde extérieur. Un tas d'idées envahissent notre intime telles que le besoin de consommation, de croissance… Ces idées deviennent des comportements. Il faut protéger nos intimes de ce monde qui nous intime des comportements. La transition se pose souvent par une envie de changer le monde. J'ai commencé la transition ainsi mais je la vois comme un mouvement inversé: la transition c'est aussi une volonté de ne pas me laisser envahir par le monde. Je refuse de vivre une transition par écran interposé." Ce qui rejoint l'avis des trois intervenants qui se déclarent heureux que leur transition intime leur ai rendu (ou donné) le goût du lien.

La fin de cette soirée ouvre vers d'autres horizons car, commentait Charles Delhez, "le débat ne fait que commencer". Pour ceux et celles qui voudront aller plus loin, RivEspérance prépare un approfondissement de ce thème avec des partages, des ateliers et des rencontres éclairantes. Rendez-vous les vendredi 8 et samedi 9 octobre prochains, à l'Aula Magna à Louvain-la-Neuve.

Nancy GOETHALS

Programme du forum RivEspérance des 8-9 octobre


Dans la même catégorie