A l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, Justice et Paix a choisi de parler de la vie des femmes présentes dans l’exploitation minière artisanale en République Démocratique du Congo. Les questions de genre sont très rarement abordées lorsqu’on évoque l’extraction des ressources naturelles, y compris les minerais. Pourtant, hommes et femmes sont affecté·e·s différemment par l’extractivisme, qu’il soit industriel ou artisanal. Et si l’on veut lutter efficacement contre les inégalités des sexes, comme prévu dans les Objectifs de Développement Durable, il est primordial de s’y attaquer.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les femmes sont très présentes dans et autour des zones minières. En RD Congo, elles représenteraient près de la moitié des plus de deux millions de personnes travaillant dans l’exploitation artisanale.
Un rapport différent à la mine
Elles jouent un rôle essentiel mais bien différent de celui des hommes et nombreuses sont victimes de discriminations. Notamment parce qu’elles ne connaissent pas assez leurs droits. Par exemple, en 2017, une enquête a révélé que seulement 40% des femmes savaient que la RD Congo disposait d’un Code minier (contre 85% chez les hommes). Or, ce code ne fait aucune distinction entre les sexes. Ainsi, toute personne majeure de nationalité congolaise qui détient une carte d’exploitant·e a le droit de se livrer à l’exploitation artisanale. Seules les femmes enceintes sont exclues.
Malgré tout, rares sont celles qui disposent d’un titre de propriété ou d’un permis d’exploitation. Certaines creusent, mais les tâches qui leur sont généralement réservées sont le concassage, le lavage, le tamisage, le triage et le traitement des minerais. C’est ce qu’on appelle le « droumage ». Les tâches de celles qu’on surnomme les twangaises sont moins bien rémunérées, même lorsqu’elles exécutent les mêmes fonctions que les hommes.
Ceci s’explique, entre autres, par le fait que le prix du lavage et du triage est défini par le négociant qui est, presque toujours, un homme. De plus, peu de femmes ont accès aux instances de prises de décisions concernant leurs propres activités, même si cela est inscrit dans la Constitution.
Viols et violences
Au-delà de ces aspects socio-économiques, les mines ont un impact considérable sur la vie et le corps de femmes. Et, bien que le sujet demeure tabou, les violences sexuelles sont très répandues.
Selon une étude de la Banque Mondiale, 40% des femmes qui travaillent dans l’exploitation minière artisanale à l’Est du pays feraient face à des abus sexuels et/ou se prostitueraient pour travailler ou accéder à des biens de première nécessité. Ces actes de violence ne seraient pas seulement imputables aux forces armées – régulières ou rebelles – présentes dans la région, mais également aux citoyens qui travaillent au sein des structures de pouvoir traditionnelles, locales et étatiques.
Malheureusement, les filles mineures, victimes de croyances locales, ne sont pas épargnées. Au Sud-Kivu par exemple, il est raconté qu’avoir des rapports sexuels avec une fille de moins de quinze ans, vierge, porterait chance aux exploitants artisanaux. Elles peuvent donc, avec la complicité de leurs parents, être mariées en échange d’argent et être exposées à des rapports sexuels prématurés.
En plus des violences sexuelles, certaines femmes subissent quotidiennement la brutalité et le chantage des hommes, sans pouvoir même envisager de faire appel aux forces de sécurité ou aux autorités locales. Lesquelles sont souvent éloignées ou se désintéressent de leur sort. La plupart des femmes ne se sentent ainsi pas en sécurité.
Un environnement toxique
Les conditions de travail des activités minières, tout particulièrement celles artisanales, sont connues pour être dangereuses. « Le droumage », principalement réservé aux femmes, est une des plus toxiques. Il requiert en effet l’utilisation de produits chimiques tels que le cyanure et le mercure, souvent sans matériel de protection. En plus de l’impact direct sur la santé des femmes, ils agissent négativement sur leur santé reproductive. Elles souffrent notamment de dérèglements hormonaux, font des fausses couches et/ou leurs enfants sont parfois malformés. Cela fait en plus peser sur elles des accusations superstitieuses, par exemple d’être des sorcières.
Changer malgré l’attrait financier?
En dépit de tous ces aspects négatifs, les femmes demeurent déterminées à travailler dans ce secteur qui les fait (sur)vivre. Il faut dire qu’elles gagnent en moyenne six fois plus que si elles exerçaient une autre activité. Avec la diminution des terres cultivables, liée à la découverte de gisements miniers ou à leur contamination par l’utilisation de produits chimiques, et les aléas des récoltes, l’agriculture n’est en effet plus aussi rentable qu’auparavant.
Selon certaines d’entre elles, ce revenu peut avoir un effet positif sur leur statut social et leur ouvrir de nouvelles voies. Toutefois, elles déclarent volontiers qu’elles sortiraient des mines si des alternatives intéressantes et durables existaient.
Comment mieux protéger les femmes?
Pour résoudre en partie ces problèmes, il est essentiel de formaliser le secteur minier artisanal sans pénaliser les femmes, par exemple en garantissant leur présence à tous les niveaux de la production minière ainsi que l’accès aux instances de décision et à des moyens de financement. Il est également indispensable de renforcer leur autonomie en s’assurant de leur scolarisation et en leur donnant des formations adéquates sur leurs droits et les métiers de la filière. Tout ceci passe nécessairement par un renforcement des structures de l’Etat congolais, notamment ses services publics et son système judiciaire.
De chez nous aussi, nous pouvons améliorer la vie de ces femmes. Nous, qui utilisons quotidiennement les minerais extraits (dans nos smartphones, appareils électroniques, etc.), pouvons demander aux entreprises qui les importent de vérifier leur provenance et de s’assurer qu’ils ne sont pas le produit d’atteintes graves aux personnes et à l’environnement. Une vigilance qui s’appelle le devoir de diligence.
A dire vrai, nous manquons encore cruellement d’un cadre international juridiquement contraignant. Il nous faut donc exiger des décideur·se·s politiques qu’ils adoptent et mettent en œuvre des lois contraignantes. Cela peut se faire aussi bien au niveau belge, comme cela a été fait en France avec la loi sur le devoir de vigilance adoptée en 2017, mais aussi aux niveaux européen et international. Des négociations ont en effet lieu depuis 2014 au sein du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies. Concrètement, s’il était adopté, un tel traité obligerait les Etats à s’assurer que les entreprises qui se fournissent en matières premières ne violent pas les droits humains.
Mais alors que les derniers projets de texte du traité font quelque peu référence à l’impact des activités des entreprises sur les femmes, ils ne suggèrent aucun moyen pour y remédier. Pour « Les féministes pour un traité contraignant », un collectif de plus de quinze organisations de défense des droits des femmes, il est pourtant indispensable que la voix, les droits, les expériences et les visions des femmes soient visibles tout au long du processus de négociation de ce traité. Grâce à elles, les rapports hommes-femmes, dans les mines et ailleurs, seront peut-être moins inégaux.
Agathe SMYTH
Chargée de plaidoyer pour l’ONG Commission Justice et Paix
Photos : © Justice et Paix