Pour de nombreux délaissés de notre société, un peu perdus sur les routes de la vie, la ferme Saint-Achaire est synonyme d’écoute, de respect, de trêve. Certains ne restent que quelques semaines, d’autres n’ont plus jamais envie de partir. Tout est né il y a bientôt quatre décennies de l’enthousiasme de l’abbé Jean-Yves Pollet.
Au début, alors qu’il travaillait dans le monde de l’enseignement, l’abbé Pollet ouvrait déjà la porte de sa maison à des personnes en difficultés. Puis, avec quelques amis, il lance un centre d’accueil baptisé « Terre nouvelle ». Cette petite maison accueille des gens en situation précaire, ayant perdu leur emploi ou n’ayant jamais eu la possibilité de travailler. Le projet se développe et ce sont finalement deux centres de 18 places chacun qui se structurent, l’un pour les hommes et l’autre pour les femmes.
Mais Jean-Yves Pollet souhaite dépasser le simple accueil et trouver une occupation à ces personnes. « J’ai frappé à la porte de la ville de Mouscron en disant au bourgmestre de l’époque : ‘Tu n’aurais pas une vieille grange pour moi ?’. Spontanément, il m’a dit que la ville venait d’acheter tous les bâtiments d’une vieille ferme. Les terrains étaient déjà loués mais personne ne voulait de la ferme. Je suis allé voir, cela m’a plu. Tout était à reconstruire, mais avant d’être prêtre, j’avais fait un peu d’architecture et donc je me suis dit qu’on allait faire ça ensemble. C’est ainsi qu’en 1981 nous avons commencé à occuper cette ferme. »
La chapelle à berlouffes
L’abbé Pollet a tout de suite choisi d’appeler cet endroit « la ferme Saint-Achaire » car les bâtiments sont situés près de la chapelle Saint-Achaire. « A Mouscron on appelait cette chapelle la chapelle à berlouffes car beaucoup de gens venaient mettre un petit linge, un petit pansement pour remercier d’une guérison. Cela n’existe plus trop, enfin encore un peu. Je trouvais qu’avec Saint-Achaire comme protecteur, qui a été évêque de Noyon et de Tournai au 7e siècle, on allait faire du bon travail. »
Aujourd’hui, ils sont une quinzaine à habiter dans la ferme mais de nombreux « anciens » reviennent volontiers pour dire bonjour, prendre des nouvelles, donner un coup de main ou participer à certaines activités. Une équipe sociale accompagne les accueillis. « Ce qu’on vit ici, c’est surtout de l’occupation pour un travail qu’on a créé : on vend du bois de chauffage. Tous les 15 jours, un énorme camion vient nous livrer du bois en vrac, et ce bois est découpé en bûches de 30, 40 ou 50 centimètres puis livré à domicile. Cela permet à tous de gagner un petit sou, cela permet aussi à tous d’être occupés intelligemment. Avec les vieilles palettes, on fait du bois d’allumage. »
Et puis il faut aussi prendre soin des moutons, des canards, des poules ou des porcs qui sont rassemblés sur la propriété, entretenir le jardin et ses légumes. Ou encore prendre en charge la cuisine : « Il y a une équipe qui s’occupe essentiellement de la cuisine pour que tous les midis un repas soit préparé pour d’anciens qui viennent travailler ici et pour ceux qui y habitent. »
Reconstruire des murs…
A la fin du mois d’avril 2019, un drame touche la ferme : un incendie se déclare et la grange qui abrite notamment le travail du bois est complètement détruite. Pourtant, les habitants de la ferme ne baissent pas les bras et les activités reprennent très vite : « La première chose que j’ai faite, ce n’est pas de penser à ce qui avait brûlé mais ‘comment vais-je occuper ceux qui travaillaient dans cette grange ?’. Comme nous avions une autre grange où on coupait le gros bois, on a vite fait de la place. J’ai reçu un don rapide d’un service-club et j’ai acheté une machine pour couper les lattes. Et au lendemain de l’incendie, je suis allé racheter mille sacs pour relancer l’activité. »
Rien n’a encore été reconstruit et il faudra un peu de temps pour déterminer comment réagencer les éléments, sans doute de manière différente. Et peut-être profiter de l’occasion pour améliorer la qualité de certains logements, parfois un peu petits ou peu équipés. Les chambres sont réparties dans les divers bâtiments de la ferme Saint-Achaire, que ce soit à l’entrée de la propriété, dans l’ancienne étable ou ailleurs encore. « On n’est pas l’un sur l’autre et c’est important. Si tout le monde était dans le même bâtiment, cela pourrait peut-être créer des frictions. En général, la bonne entente est là. Et j’ai un ancien qui vient travailler ici, c’est quelqu’un qui a énormément de bon sens, énormément d’autorité et de compétences manuelles. Il dirige bien les gens, qui savent qu’il a un jour été accueilli ici. C’est une façon pour eux de voir qu’un jour ils auront peut-être une bonne occupation. »
…et des vies
A la ferme Saint-Achaire, toutes les conditions sont réunies pour doucement reprendre le fil de son existence et reconstruire sa vie, en s’ouvrant aussi vers l’extérieur. « Un accueilli actuel a eu de gros problèmes d’alcoolisme et de santé. Avec son psychiatre, qui l’a aidé à sortir de là, il a pris comme pratique la pleine conscience. Il fait maintenant des séances de pleine conscience pour des gars d’ici, et même des gens de l’extérieur viennent dans la chapelle pour ça. »
Certaines personnes ont un travail mais n’ont plus de foyer, ont perdu tout lien familial et n’ont pas d’économies leur permettant de rebondir seules. Dans cette ferme mouscronnoise un peu particulière, ils retrouvent une famille, des relations sociales, de l’empathie. Et l’espoir de meilleurs lendemains.
• Ecoutez l’interview de l’abbé Pollet dans son intégralité sur 1RCF (en DAB+ ou sur internet) dans le podcast ci-dessous.