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Dans sa lettre de Carême 2019, l’évêque de Liège, Mgr Delville, historien de formation, nous propose de relire la Dernière Cène à la lumière du tableau de Léonard de Vinci, à l’heure du 500e anniversaire de sa disparition.
Ainsi débute la lettre de Carême de Mgr Delville:
« Chers Frères et Sœurs,
Lors de sa dernière cène, son dernier repas, Jésus nous a laissé un message final, un testament: « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13, 34). Cependant, ce repas ne fut pas de tout repos. Pendant ce repas, Jésus a dévoilé qu’il allait être trahi. La dernière cène n’est pas un agréable repas de communion; c’est un dramatique repas d’adieu. Un artiste a bien mis cela en scène, c’est Léonard de Vinci dans sa Dernière Cène. Il montre que la trahison bouscule le groupe des disciples. Cela me fait penser à la situation actuelle de l’Eglise et du monde. Cela éclaire mon aujourd’hui et cela me donne une espérance pour demain.
Les trahisons dans l’Eglise d’aujourd’hui
En février dernier, à Rome, la rencontre du pape avec les présidents des Conférences épiscopales de tous les pays a mis en relief l’ampleur des abus sexuels commis par des prêtres et d’autres clercs dans le passé récent. Ces clercs ont trahi l’évangile en abusant de leur autorité spirituelle et de leur pouvoir économique ou social, pour commettre des crimes de pédophilie à l’encontre des enfants. Beaucoup de ceux-ci ont été victimes et ont souffert de ces violences, en particulier dans notre pays; nous les respectons beaucoup et leur demandons pardon. Dans ces cas, il est impérieux de faire appel à la justice et de prendre les sanctions juridiques et canoniques nécessaires. Beaucoup de gens, à juste titre, se sont scandalisés de ces abus, ont relevé la traîtrise de certains ministres de l’Eglise et ont critiqué celle-ci. Ils ont souligné la dimension structurelle de ces abus. Beaucoup de chrétiens se sont aussi senti questionnés dans leur foi et dans leur appartenance ecclésiale. L’Eglise est-elle pour autant en fin de vie et condamnée à l’extinction?
Je voudrais rappeler en ce carême que Jésus lui-même a été trahi par un de ses disciples, Judas Iscariote, trahison qui a entraîné sa mort. Un autre disciple, Simon-Pierre, l’a renié; ensuite presque tous les autres s’enfuiront. Cette infidélité des disciples a contribué à conduire Jésus à la mort; mais elle a préludé aussi à la conversion des disciples, sauf à celle de Judas; et elle a disposé leurs esprits à croire à la résurrection du Christ, source de vie nouvelle. Ainsi, les événements actuels encouragent-ils l’Eglise à opérer des changements structurels et incitent-ils chacun à une conversion personnelle et communautaire. »
Après être revenu plus en détails sur la manière dont les Evangiles rapportent l’annonce de la trahison lors de la Dernière Cène, Mgr Delville nous montre comment Léonard de Vinci s’est fait l’interprète humaniste de ces mêmes textes. Il nous explique néanmoins que Léonard portait « un regard critique sur l’Eglise de son temps et sur sa recherche de richesses« . Sur le commerce d’objets religieux, le génie italien écrivait: « A propos des crucifix vendus: je vois le Christ de nouveau vendu et crucifié et je vois martyriser ses saints. » Il dénonçait déjà, en quelque sorte, ce que le pape François s’évertue à combattre dans l’Eglise actuelle: le cléricalisme.

Reproduction de la Dernière Cène présentée au Musée de la Vie Wallonne (c) CathoBel
Mgr Delville nous rappelle que « L’humanisme signifie aussi le retour aux sources du langage et l’intérêt pour les textes des auteurs classiques, en particulier l’intérêt pour le texte biblique. » Léonard ne déroge pas à cette règle, lui pour qui « les livres sacrés sont la vérité-même« , manifeste, dans sa peinture une fidélité au texte évangélique, typique de la démarche humaniste du début du XVIe siècle. Pour Mgr Delville, « Léonard ne compose pas une présentation stéréotypée de l’événement, mais fait une description dramatique de ce moment précis de la vie du Christ, d’après le témoignage de l’évangile de Jean, et non d’après les autres évangélistes ». Il utilise la version latine du texte. Ainsi dans l’interprétation de Léonard, « la dernière cène de Jésus n’est pas un repas pascal de la religion juive, mais un simple repas entre amis: il n’y a pas d’agneau pascal sur la table, mais seulement du pain et du poisson. Il n’y a pas de calice non plus, pour la bénédiction qu’on fait à Pâques ou au jour du sabbat« .
Mgr Delville continue avec la question de l’auteur de la trahison engageant les trois personnages que sont Pierre, Judas et Jean. A cet endroit de sa lettre, l’évêque de Liège écrit: « Aujourd’hui encore, des disciples de Jésus le trahissent. Mais souvent on ne sait pas de qui il s’agit. L’Eglise en apparaît noircie et salie, parfois discréditée. Chaque chrétien s’interroge. Trahir le Christ paraît contradictoire avec le fait d’être un disciple de l’évangile. Mais l’histoire évangélique elle-même nous montre que l’Eglise a commencé avec une trahison, celle de Judas. Et il y en a encore malheureusement aujourd’hui. Elles nous révoltent, comme la trahison de Judas a révolté ses collègues disciples. »
Mgr Delville poursuit sa lettre avec la suspicion des disciples attablés à gauche. Et il y a notamment cette main de Jacques orientée vers Pierre: en effet, Pierre aussi trahira le Christ, en le reniant (Jn 18, 25-27). « Cela me fait penser, écrit l’évêque, au fait que même un bon disciple de Jésus peut le renier aujourd’hui encore. Un moment de faiblesse, un moment de peur est vite arrivé, comme dans le cas de Pierre, qui a renié trois fois Jésus. Céder à l’opinion publique, comme Pierre a cédé à l’opinion de la servante du grand prêtre, est une tentation commune. Oser affirmer sa foi est difficile aujourd’hui. Mais de même que Pierre s’est engagé sur une voie de salut en disant trois fois au Christ qu’il l’aimait (Jn 21, 15-17), ainsi nous pouvons aussi être sauvés en nous engageant dans une démarche d’amour et de foi. »
Mgr Delville aborde bien d’autres aspects comme le déni, la concertation au sein des disciples mais aussi la figure sereine du Christ, le « Salvator mundi », sans oublier la Vierge Marie.
Il conclut en nous invitant, après avoir bien observé la dernière cène de Léonard, à passer de cette table frugale au jeûne, à la prière et au partage pour se préparer à la résurrection du Seigneur. Et nous engage sur quelques pistes d’actions concrètes.
Nous renvoyons également les lecteurs de Dimanche au numéro 9 du 24 février dans lequel nous proposions, en page 12 (culture), un aperçu de l’exposition « Leonardo Da Vinci. Les inventions d’un génie » actuellement visible au Musée de la Vie Wallonne à Liège jusqu’au 12 mai 2019.