Dans un rapport de près de 500 pages publié ce 22 février, Amnesty International fait le bilan du respect des droits humains dans le monde. L’ONG épingle les politiques d’austérité, les discours et mesures anti-migrants et dénonce la répression gouvernementale des mouvements citoyens.
Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty Belgique, décrypte pour nous les grands enseignements à retenir de ce rapport 2017.
Un laisser-faire regrettable
Comme chaque année, Amnesty dresse la liste des graves violations des droits humains commises de part le monde, pas moins de 159 pays étant répertoriés. « Ce qui est frappant dans ce rapport, nous confie Philippe Hensmans, c’est l’attitude de la part de certains Etats dont on ne s’imaginait pas qu’ils pourraient adopter un tel langage de rejet, parfois même de haine, notamment vis-à-vis des migrants. L’exemple le plus marquant est celui des Etats-Unis de Donald Trump et son interdiction de laisser entrer sur le territoire américain des ressortissants de pays musulmans. » D’autres évènements plus dramatiques encore ne semblent plus faire réagir la communauté internationale. « Le Myanmar connait une véritable épuration ethnique avec les Rohingyas. Or, on constate une sorte de laisser-faire», déplore Philippe Hensmans. Et de poursuivre : « La Belgique et de manière générale les pays de l’UE ne réagissent plus. Cela donne un sentiment d’impunité à ceux qui violent les droits humains. Le président turc Erdogan, sous prétexte qu’ils s’occupent des réfugiés, peut tout se permettre ; un journaliste opposant vient encore d’être condamné à la réclusion à perpétuité et fait exceptionnel, la présidente de la section d’Amnesty Turquie a également été arrêtée. » souligne le directeur d’Amnesty Belgique. Philippe Hensmans dénonce clairement une forme de cynisme de la part de nos dirigeants. « Je ne suis pas naïf, je sais que la realpolitik existe depuis longtemps mais aujourd’hui, elle est affichée et assumée comme lorsque Macron annonce qu’il ne parlera pas des droits humains lors de sa visite en Chine. » Or, fin 2017, l’opposant Liu Xiaobo, lauréat du prix Nobel de la paix, gravement atteint du cancer, est décédé en détention. Son épouse vit toujours sous la menace.
Une mobilisation citoyenne menacée

(c) Amnesty International
Pour Philippe Hensmans, le deuxième grand enseignement de ce rapport est la forte mobilisation citoyenne. « On assiste à des mouvements nés au sein de la société civile qui se mobilise par exemple pour les droits des femmes, on l’a vu aux Etats-Unis, ou tout récemment contre la vente d’armes suite à une énième fusillade dans un lycée. En Belgique, la plateforme citoyenne pour venir en aide aux réfugiés émane aussi de la société civile. » Philippe Hensmans veut surtout souligner que ces mouvements de fond ne sont liés à aucune ONG ni aucun parti et bouleversent la société dans le bon sens. Mais les gouvernements se méfient de ces mouvements militants et s’y opposent même parfois violemment: sur un an, 300 défenseurs des droits humains ont été tués. Les attaques contre la presse se multiplient aussi et ce dans le but de la dévaloriser et de la remplacer par des médias bridés sous contrôle étatique. On savait la Chine experte en la matière mais c’est aussi le cas de la Thaïlande et de la République démocratique du Congo où les accès à internet sont coupés lors de grandes manifestations d’opposition. Pour Philippe Hensmans, ce sera donc l’un des enjeux colossaux à venir : continuer à rendre possible la liberté d’expression de chaque citoyen.

Camp de réfugiés à Kakuma, Kenya (c) Amnesty International
L’enjeu actuel et futur des migrations
Le phénomène des migrations reste également un enjeu majeur. « Nous ne vivons pas une crise migratoire mais une crise de management des migrations. » souligne Philippe Hensmans. Car, en fait, la plupart des migrations s’effectuent sur un trajet sud-sud. L’Europe est loin d’être envahie comme certains le prétendent. La misère et les conflits poussent les populations à migrer mais elles restent la plupart du temps sur leur continent d’origine. « Pour améliorer la gestion des flux migratoires, le travail sera de longue haleine, affirme Philippe Hensmans. Surtout avec le réchauffement de la planète qui va engendrer une nouvelle vague de migration climatique dont l’existence n’est bien entendu pas prise en compte dans la convention de Genève. »
La fin des politiques d’austérité
Cette année, Amnesty pointe également les politiques d’austérité « qui ne fonctionnent plus ». Ces dernières relèvent des droits humains car elles y portent atteinte en restreignant l’accès à l’éducation, la santé, le logement ou encore la sécurité sociale. Une étude britannique affirme que 120 000 personnes seraient décédées suite aux coupes budgétaires réalisées dans les domaines de la santé et de l’aide sociale. « Ces politiques d’austérité imposées par les Etats depuis la crise de 2008 sont arrivées à échéance car aujourd’hui elles entravent les droits fondamentaux de l’homme. Et ce sont les plus démunis qui en paient généralement le prix. » regrette Philippe Hensmans. Amnesty mène d’ailleurs en ce moment des recherches sur l’impact de l’austérité sur les droits socio-économiques, particulièrement sur le droit à la santé en Espagne, dont les résultats seront publiés au cours du premier semestre de 2018.
La Belgique dans le rapport annuel 2017-2018
Pour Amnesty, la surpopulation dans les prisons demeure problématique et la prise en charge médicale des détenus souffrant de problèmes psychiques aussi. Concernant la politique d’asile, Amnesty estime que la Belgique n’a pas assez enquêté sur les risques de torture auxquels ont été ou pourraient être de nouveau exposées les personnes renvoyées au Soudan. L’ONG point également le commerce des armes avec l’Arabie Saoudite à la tête d’une coalition jugée responsable de crimes de guerre au Yémen. Or, pour Philippe Hensmans, le rôle de la Belgique est de traduire son ambition d’entrer au conseil de sécurité de l’ONU en contrant le déclin mondial de droits humains et en les promouvant aussi en interne.
Sophie Delhalle