A l’initiative d’Anne-Laure Losseau, une jeune maman juriste, des citoyens de tous horizons ont permis à deux familles déplacées, vivant dans des camps de fortune, de venir en Belgique faire soigner leur enfant gravement malade ou blessé. Sans autre critère que celui de la précarité. Avec une prise en charge et un accueil chaleureux, à la clé.
Aéroport de Zaventem, 29 juillet, 22h30, de jeunes mères de famille, des couples, des personnes de tous horizons du réseau de solidarité «un visa, une vie» s’agglutinent autour d’une banderole «Welcome, bienvenue», guettant les arrivées. Leila, amie d’Anne-Laure et Ghazi, un pharmacien d’origine syrienne, attendent, un bouquet de fleurs à la main.
Anne-Laure apparaît, tout sourire malgré la fatigue, serrant dans les bras, Haïfa, une fillette de 5 ans, atteinte d’une grave malformation cardiaque, entourée de ses parents et de ses deux frères. Une autre famille avec cinq enfants marche à leurs côtés. Parmi eux, Marwa, six ans, grièvement blessée à la hanche, le pied gauche paralysé suite à un accident de voiture en fuyant un bombardement. Les spots se braquent, les micros se tendent, l’émotion se lit sur les visages, voire l’inquiétude: «en Syrie, on racontait que la police d’ici viendrait prendre nos enfants s’ils n’étaient pas suffisamment soumis», confiera plus tard le papa de Haïfa.
Des pas d’audace
«J’ai eu un électrochoc, raconte Anne-Laure Losseau, en voyant l’hiver dernier les images d’enfants syriens mourant de froid dans des campements de toile ou encore celles de cadavres échouant sur les côtes de notre continent après avoir tenté de fuir l’enfer. Au même moment, ici, nous consacrions beaucoup d’argent et d’énergie aux commémorations de la première guerre mondiale. C’en était trop! Pourtant, les défis ne manquaient pas pour moi, maman de deux enfants en bas âge, face à un nouveau job d’indépendante après avoir été avocate et juriste.
Anne-Laure lance alors un appel à la mobilisation sur les réseaux sociaux. Très rapidement, un petit groupe se forme. Chacun y va de sa poche et s’engage concrètement par écrit: les uns à héberger provisoirement les familles, les entourer et les accompagner dans leur intégration. Une autre les aidera à trouver du travail, d’autres encore à se meubler ou à leur fournir du matériel scolaire, etc. Ensemble, ils sollicitent alors un visa humanitaire pour deux familles parmi les plus vulnérables, dont un enfant a un besoin impérieux de soins médicaux. Sans considération politique ni religieuse, souligne l’initiatrice, qui lance aussitôt un appel aux amis et connaissances pour financer l’aventure.
Tout un quartier à leurs côtés
Dimanche 2 août, dans le parc de Forest, le soleil darde ses rayons, presque comme en Syrie.
Les membres du réseau de solidarité sont accueillis par les deux familles fraîchement arrivées, pour un déjeuner sur l’herbe. Ghazi, l’un des piliers du réseau de solidarité, a emmené les deux mamans au marché du midi pour faire les provisions et préparer des aubergines farcies à l’orientale tandis que les enfants belges et syriens jouent ensemble.
Marwa et Haïfa, les deux fillettes en souffrance, apprécient un peu de repos dans les poussettes qu’elles viennent de recevoir.
Leila Bensalem, une habitante de Forest, dont le dynamisme n’a d’égal que la générosité, leur a décroché un logement temporaire auprès du CPAS local et a sensibilisé le voisinage et au delà. Sans doute la mixité de ses origines - un père marocain musulman, une mère belge catholique - contribue-t-elle à son ouverture.
Une voisine serbe arrive tout sourire, les bras chargés d’un carton d’œufs. Elle tente d’expliquer l’invitation à venir pour l’anniversaire de son fils afin de faire connaissance avec les douze Syriens. Avec pour seul langage commun, celui du cœur.
Leila a aussi contacté les membres actifs de Wielswijk, reconnu comme «quartier durable citoyen» pour ses projets encourageant la marche, et chemin faisant, la convivialité, les échanges et l’embellissement des lieux.
Emboîtant aussitôt le pas, les voisins solidaires ont constitué des équipes pour jouer les interprètes, rechercher écoles et logements, servir de traducteurs, apprendre le français, aider dans la vie quotidienne pour apprendre à utiliser le tram, se rendre à la commune ou chez le médecin...
«Grâce à des rencontres - pique-niques au vert - et à une page facebook permettant d’échanger ou de donner dans le quartier et une «give box» (boîte à dons), nous avons pu fournir frigos, cuisinières, vêtements. aux deux familles, explique Leila. La mère de cette dernière a aussi mis ses talents dans la boîte en allant décliner les contes de 1001 nuits dans l’école St-Augustin au profit de leurs protégés. "Et tous les jours, souligne Anne-Laure Losseau, nous avons la joie de voir des non-Syriens venir visiter les nouveaux arrivants, les soutenir, créer du lien".
"En attendant la prise en charge du CPAS, c’est nous, poursuit-elle, qui prenons en charge les loyers et l’alimentation de douze personnes. Sans parler des frais d’avion et des visa, qui nous ont finalement coûté très cher, grevés de façon inattendue, à la fois par une nouvelle redevance imposée par la Belgique pour un visa long séjour (215€/ adulte) et par une taxe «handling fee» (180€/personne) pour frais administratifs, qui font double emploi avec les frais du visa, et sans accorder l’exemption prévue pour indigence avérée à laquelle nous aurions eu droit. Nous lançons donc un appel…"
Des enfants à opérer rapidement
La gracieuse petite Haïfa, âgée de cinq ans, fait parfois frissonner autour d’elle quand on la voit affaiblie, bleuir, essoufflée. En cause, une malformation congénitale, un cœur univentriculaire où se mélangent le sang oxygéné et le sang vicié. Un cas rare et délicat, qui nécessite sans tarder une intervention à cœur ouvert. La prise en charge ne peut attendre.
Mignonne à croquer avec sa petite queue de cheveux dressés, Marwa a besoin elle aussi d’une opération à court terme quoique le pronostic vital ne soit pas engagé. Les tendons sectionnés dans le haut de la jambe gauche paralysent son pied. La fillette de six ans grandit ou devrait grandir, il faut donc intervenir rapidement.
Pour elle, on attend cependant la gratuité de soins médicaux grâce au réquisitoire du CPAS – «qui s’est montré d’une formidable efficacité et d’une grande gentillesse», souligne Leila.
Les enfants, surtout les plus jeunes, semblent rebondir plus facilement. Les mamans se font un point d’honneur à rendre leur intérieur propret et à soigner leur sens de l’hospitalité, à offrir thé, café, cherchant à cuisiner pour partager le peu dont elles disposent. L’hôte passe toujours en premier. Tant pis s’il ne reste rien pour elles.
Les deux pères de famille ont une priorité commune: la santé de leurs enfants en souffrance. Farouk, le père de Marwa, nous demande de lui apprendre déjà certains mots en français. Carreleur de formation, il souhaite valoriser rapidement son savoir faire. Tout comme Jamal, le papa de Marwa, tailleur de pierre et travailleur agricole en Syrie, qui aimerait pouvoir se rendre utile et subvenir aux besoins de sa famille.
Des appels
L’initiative citoyenne a attiré les medias. Elle a ouvert des portes, fait naître l’espoir chez certains Syriens. Aussi n’est-il pas étonnant de voir aujourd’hui ce noyau de solidarité très sollicité. Néanmoins, «notre priorité reste de continuer à veiller sur ces deux familles. Ce que nous avons fait, nous ne désirons pas le faire à grande échelle. Nous avons simplement ouvert une voie. J’ai voulu agir à mon niveau, avec mes moyens, comme citoyenne belge et européenne. Ces Syriens ne rêvaient pas de venir en Europe, loin de là, mais leur priorité était de pouvoir soigner au plus vite et au mieux leurs enfants, car il y a urgence», conclut Anne-Laure Losseau.
Béatrice Petit
© Photo: B. Petit
* Vous pouvez soutenir l’accueil des familles syriennes en faisant un versement sur le compte BE30 7320 2896 9911 (SWIF: CREGBEBB) au nom de UOSA ASBL, avec la communication VISA. Et puis n'hésitez pas à venir leur rendre une petite visite! Pour toute info, vous pouvez envoyer un message ou contacter Anne-Laure Losseau par téléphone: 0486 30 82 26 https://www.facebook.com/Syrieunvisaunevie?fref=ts