Des familles qui devraient être réunies se voient séparées par une politique de détention des migrants. Le JRS Belgium (service jésuite pour les réfugiés) a mené une étude qui pointe les conséquences de ces séparations.
Notre pays compte six centres de détention (Holsbeek, Vottem, Bruges, 127 bis, Caricole et Merksplas) pour une capacité totale de 650 places. Les personnes détenues, rappelle le JRS, le sont "non pas en raison d'un crime ou d'un délit qu'elles auraient commis, mais à cause de leur statut administratif." Officiellement, cette détention ne doit pas dépasser huit mois mais dans les faits, les délais peuvent être plus longs. Il y dix ans, les ONG qui visitent les centres de détention administrative (CDA) constataient un phénomène nouveau: de nombreuses personnes migrantes détenues avaient à l’extérieur de la famille proche. 20% des mères, pères et conjoints se retrouvaient ainsi enfermés et séparés de leurs proches sans perspective prochaine de réunification. Le rapport du JRS, publié en février de cette année, montre que ce phénomène s'est accru. Dans les centres de Merksplas, Bruges et Caricole, les visiteurs du JRS ont recensé 40% des personnes* qui avaient des conjoints ou des enfants à l'extérieur. Cette situation affecte leur santé mentale et celle de leur famille. Jean-Paul, enfermé à Merksplas témoigne: "Comment est-ce que je peux contribuer et aider ma famille en étant enfermé ici ? Ca fait sept mois. Les enfants grandissent sans voir leur père. Parfois je perds espoir et me dis que je ne peux rien faire. Que la loi est plus forte que la raison." Nicolas Wéry, chargé de plaidoyer au JRS et auteur du rapport, observe que les personnes en détention sont "de plus en plus vulnérables". Les conditions de détention entrainent aussi une rupture sociale et fragilisent l'équilibre financier familial puisqu'elles s'accompagnent souvent par la perte d'un salaire. Nicolas Wéry indique que les familles disposent d'un droit de visite à raison d'une heure par jour "mais, note-t-il, l'accès à de nombreux centres est très compliqué. Pour se rendre en transports en commun de Bruxelles à Merksplas, il faut compter deux heures par trajet. Quatre heures de déplacement pour une heure de visite, c'est impossible pour quelqu'un qui travaille ou qui doit récupérer ses enfants à l'école."
La situation familiale n'est pas un critère prioritaire
L'analyse du JRS porte également sur les critères de décision appliqués par l'Office des étrangers. "Lors d'une décision de retour et d'éloignement, un appel de la décision peut être introduit endéans les dix jours mais c'est un délai très court pour trouver un avocat et entamer les démarches donc les recours sont très rares. Dans la décision, la situation familiale est un critère parmi d'autres. Le fait d'avoir un conjoint ou un enfant à l'extérieur n'aide pas à être libéré. Le critère principal est la possibilité d'un retour". Des migrants se voient ainsi renvoyés vers leur pays d'origine alors que leurs proches vivent en Belgique. "L'Office des étrangers estime qu'une vie familiale est possible à l'étranger à travers les moyens de communication modernes donc via des appels vidéos, ce qui est tout à fait aberrant évidemment" déplore Nicolas Wéry. Face à ce constat, le JRS plaide en faveur d'un renforcement de la protection juridique qui "actuellement est calamiteuse dans notre pays". Le Service jésuite pour les réfugiés liste des recommandations pour mieux protéger la vie familiale. Il demande notamment l’inscription dans la loi de l’interdiction de la séparation des familles, invite à privilégier l'intérêt supérieur de l'enfant avant chaque prise de décision et à faciliter les démarches de regroupement familial.
Manu VAN LIER
*L'étude du JRS a été menée sur 317 personnes en détention
Le rapport complet du JRS est à retrouver sur jrsbelgium.org. Nicolas Wéry était l'invité de l'émission Pleins feux du 11 mars, disponible en podcast sur cathobel.be
Emission Pleins feux du 11 mars 2024.
Présentation: Angélique Tasiaux et Manu Van Lier - Production: CathoBel - Diffusion: 1RCF Belgique