Les récents conflits armés (en Ukraine, au Moyen-Orient, etc.) et les multiples crises que nous traversons ces dernières années, qu’elles soient d’ordre climatique, politique, financière, migratoire, sanitaire, etc., suscitent anxiété, découragement et désespérance chez bon nombre de nos concitoyens. Par leur complexité et le fait qu’elles s’imbriquent les unes aux autres, ces crises provoquent une polycrise (E. Morin) dont les effets sont ressentis plus fortement que si chaque problème était traité de manière isolée.
A la fin de la Première Guerre mondiale et depuis les années 1930, Paul Tillich a lui-même été confronté à de nombreuses crises (notamment l’essor du nazisme et ses conséquences démoniques comme les mesures anti-juives) dont la fréquence atteint à présent un rythme inédit. Alors que les spécialistes parlaient encore d’un désenchantement du monde (J. Ellul, M. Gauchet, C. Delsol) il y a peu, et que D. Hervieu Léger évoquait l’exculturation du catholicisme, un ensemble de crises plus profondes et liées entre elles semblent s’abattre sur nous. Ainsi, le système légal international fait face à de nombreux dysfonctionnements, notre mode de gouvernance est remis en question (notamment par le retour du populisme et du fascisme), notre modèle de société occidentale est interrogé par les processus de détraditionalisation, de pluralisation et d’individualisation (L. Boeve), les "grands récits" ne convainquent plus (J.-F. Lyotard) et, plus largement, des questionnements identitaires ont ressurgi et cristallisent parfois des oppositions fortes, notamment dans le domaine religieux. Nous assistons à la fin d’un monde et à la naissance d’un nouveau.
Face à ce constat, de nombreux défis se posent: comment accepter ce changement d’époque? Comment créer du neuf en tenant compte de nos traditions philosophiques et religieuses, alors que les certitudes de l’ancien monde disparaissent? Comment prendre à bras-le-corps les multiples défis auxquels nous sommes confrontés, tout en répondant à ces nombreux bouleversements? Comment redonner du courage et entretenir la quête de sens chez nos contemporains? Plus spécifiquement, comment repenser la manière d’annoncer l’espérance chrétienne dans ce monde à bout de souffle? Ce contexte changeant d’une société liquide en perte de repères, où tout s’accélère (H. Rosa), repose des questions sur les fins dernières, sur le Royaume (déjà là et à venir) et appelle une réflexion de type sotériologique et eschatologique. Par ailleurs, ces crises - et en particulier celle du COVID - nous ont démontré que tout était lié (pape François): nous ne nous sauvons pas tout seuls et il n’est pas possible de résoudre individuellement ces différents problèmes qui surgissent autour de nous.
Aussi, une réflexion de fond est nécessaire sur notre appartenance commune, sur ce qui nous tient ensemble et sur le sens de notre avenir collectif. Dès lors, quels seraient les éléments philosophiques et théologiques dans la pensée de Paul Tillich qui nous permettraient de déployer des stratégies de réponse face à ces nouveaux enjeux contemporains? Quels éléments stimulants retrouvons-nous dans ses écrits afin d’enrichir notre réflexion pour penser le contexte post-moderne? Que disent les autres penseurs (philosophes, sociologues, anthropologues, psychologues, écrivains, etc.) à propos de ces questions de "l’être ensemble" et quels seraient les fruits d’un regard croisé entre la pensée de Tillich et celle de nos contemporains? Cette dimension d’échanges constituera l’un des axes majeurs de notre colloque. Enrichis par ces différents apports, nous réfléchirons à la manière dont nous pouvons réapprendre à "faire communauté" non seulement dans nos assemblées ecclésiales, mais aussi dans notre société. Nous imaginerons ainsi les contours d’un "être nouveau" et d’une "communauté spirituelle du vivant" afin de répondre aux défis toujours plus préoccupants qui nous sont adressés.
