Faut-il vraiment se réarmer pour éviter la guerre? Le dialogue se poursuit…


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Faut-il vraiment se réarmer pour éviter la guerre? Le dialogue se poursuit…
Les armes peuvent-elles servir à préparer la paix ? ©Adobe Stock
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
7 min

La semaine dernière, dans un entretien accordé à CathoBel, Benoît Thiran interrogeait le réarmement actuel de l’Europe. Et plaidait en faveur d’une culture de la non-violence. Ses propos ont suscité la réaction. Cette semaine, l’échange se poursuit et s’élargit.

Qu'en pensent les Ukrainiens?

Armand Beauduin, directeur général honoraire du SEGEC, admire l'engagement de Benoît Thiran en faveur de la non-violence. Mais en redoute certains des effets...

Comment ne pas admirer l’œuvre de Benoit Thiran, son engagement mesuré par la résistance au temps qui court trop vite (…), son parti pris de la non-violence comme on admire la sagesse de Gandhi, celle de Jésus, de Sant’Egidio, du pape François et de tant d’autres artisans de paix ? Faut-il pour autant renverser l’adage "si vis pacem, para bellum" pour un autre adage – celui qui prépare la guerre conduit à la guerre ? La question résonne dans les actualités du conflit israélo-palestinien et du conflit ukraino- russe.

Que faire lorsque se manifeste, dans la société, des violences injustes ? Que faire sinon compter sur le droit et la violence légitime de la police ? (…) Faut-il laisser faire, pousser l’agressé à sortir le drapeau blanc ? Ou, au contraire, contraindre l’agresseur à la paix et au respect du droit international en lui opposant une force de dissuasion du genre de celle qui protège la paix, les faibles contre les forts ?

Scepticisme sur le réarmement en Europe ? Soit. Mais faut-il, avec la vertu de la non-violence, venir encourager un pacifisme prévalant dans les opinions publiques de nos démocraties ? Un pacifisme qui tient davantage à la protection du confort acquis avec les dividendes de la paix ? Qu’en pensent les Ukrainiens ? Qu’en pensons-nous ? L’enfer peut être pavé de bonnes intentions.

Armand BEAUDUIN, directeur général honoraire du SEGEC

"Faisons front à l'envahisseur"

Francis Delooz a été très choqué par la position de Benoît Thiran. Il estime que le non-réarmement de l'Europe ne peut conduire qu'à un conflit armé.

Ce sujet m'est très sensible car mon oncle et parrain a milité avant la Deuxième Guerre mondiale dans le mouvement des "fusils brisés". Ils arboraient fièrement à la boutonnière un fusil brisé et militaient pour le désarmement, affirmant que c'était la seule possibilité pour éviter la guerre.

Ils disaient : "Nous sommes pacifistes et respectez-nous car nous refusons la guerre". Bel enthousiasme en effet mais la réalité leur a donné tort. Mais aussi cette image de Daladier, descendant de l’avion venant de Munich et brandissant un papier, en affirmant haut et fort : "Nous n’aurons pas la guerre, Hitler a signé ce document" ! Quelle honte ! Ce papier n’a pas été retrouvé à la fin de la guerre. 

Des inepties

Quand j'entends revenir de telles inepties, je me sens révolté car l'histoire semble ignorée par des personnes quand même instruites. 

La volonté du dictateur Poutine est claire : envahir les territoires qu'il considère sien ! Sans action de la part des européens, lâchés par Trump, Poutine grignotera inexorablement les territoires d’Europe Centrale qui faisait partie de l’« Empire Soviétique » avant que le rideau de fer disparaisse.

Il y a deux options : accepter les exigences d’un dictateur à nos frontières et redevenir esclaves comme en 1940 ou s'armer pour qu'il hésite à continuer à grignoter régulièrement les territoires qu'il veut envahir.

Rappelons-nous cette sentence de Churchill : "Vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre, vous avez choisi le déshonneur et maintenant vous aurez les deux : le déshonneur et la guerre".

"Nous sommes dépositaires de ce rêve"

Poutine a augmenté son budget militaire en arrivant au pouvoir. Il l’a multiplié par dix et pendant presque quinze ans. Aujourd’hui son budget militaire est de 40% du PIB, l’Europe peine à atteindre les 2%. La Belgique dépasse difficilement 1,5% pour ses dépenses de défense ! Un dictateur sans scrupule qui investit des sommes aussi astronomiques dans son armée ne va pas le faire pour la cantonner dans des silos nucléaires et des casernes. Il est honteux d’affirmer le contraire surtout que la réalité actuelle nous apporte la preuve de sa volonté d’envahir des territoires et de bombarder des civils sans défense.

L’Europe avait créé de nouvelles règles de relation entre les pays : respect des frontières actuelles et résolution des conflits par la négociation. Merci au Grand Charles ! Cela fonctionne en Europe depuis 80 ans. C’est formidable d’avoir bénéficié de cette paix pendant si longtemps. Nous sommes dépositaires de ce rêve qui s’est concrétisé ces dernières décennies. Dans le journal Dimanche du 16 février 2025, Herman Van Rompuy décrivait clairement les raisons impérieuses pour l’Europe de renforcer sa sécurité. A nous, Européens, de continuer à rendre active notre décision de vivre dans le respect mutuel entre les peuples. Nous semblons isolés dans ce monde. Quelques pays veulent continuer à faire vivre cet espoir avec l’Europe : le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Japon. Et puis… ?

Vivre dans le luxe tout en opprimant le peuple

Aujourd’hui un dictateur fascisant s’est installé aux frontières de l’Europe et affirme haut et clair : si vous n’acceptez pas ce que je veux vous imposer, je déclenche une guerre nucléaire !

En France, Mélenchon et Le Pen lui sont favorables. Créer un pourvoir non-démocratique est dans leur ADN. Ceux qui refusent de défendre l’Europe militairement désirent l’établissement d’un pouvoir « fort » afin évidemment de se retrouver du bon côté de ce pouvoir à instaurer. Bénéficier des "nouveaux privilèges" est leur objectif, afin de vivre dans le luxe tout en opprimant le peuple.

Quand des Russes transféraient, il y a peu, des milliards d’euros dans des fonds d’investissement européen, c’était le maintien de leurs privilèges qu’ils cherchaient et non le bien de leur peuple. La naïveté apparente d’une partie de la gauche, notamment le PTB, qui admire ce pouvoir russe, est insupportable.

Espérons un réveil démocratique européen et une unité pour faire front à l’envahisseur présent à nos frontières. Mais j'en doute car l’Histoire est un éternel recommencement. 

Le problème grave est que les personnes qui s'opposent au réarmement disparaîtront des radars quand la guerre, qu'ils auront provoquée, se déclenchera. Ce seront alors les naïfs qui les auront suivis qui se feront tués !

Francis DELOOZ

Benoît Thiran: "Le contraire de la non-violence active n'est pas la violence"

Nous avons montré les réactions reprises ci-dessus à Benoît Thiran. A la suite de leur lecture, il a souhaité apporter ces précisions.

Je tiens à remercier messieurs Beauduin et Delooz pour leurs réactions. Ils me permettent de préciser un aspect essentiel, un des verrous qui, selon moi, empêche notre évolution face à la violence : la confusion entre pacifisme et non-violence active (nova). En effet, comme l’a affirmé et montré Gandhi, le contraire de la non-violence active n’est pas la violence, mais la passivité. La nova est incompatible avec le fait de ne pas se défendre. Gandhi a affirmé qu'il se sentait plus proche de celui qui choisit la violence que de celui qui reste passif. La différence avec la défense violente réside dans les moyens utilisés.  

À cet égard, il existe une excellente étude d’Erica Chenoweth, professeure de Harvard. Son opinion, au départ, rejoignait la vôtre : elle estimait que la nova était bien intentionnée, mais dangereusement naïve ! Avec une équipe de chercheurs internationaux, elle a étudié les principales campagnes, violentes et non-violentes, pour des changements gouvernementaux dans le monde au XXe siècle. Ils ont découvert que la non-violence active est beaucoup plus efficace, sur tous les aspects qu'elle a pris en compte. Si vous voulez en savoir plus, son livre, écrit avec Maria Stephan du département d’Etat des Etats-Unis, a été traduit en français sous le titre de Pouvoir de la non-violence (éd. Calmann Lévy, 2021). Elle a aussi fait un TEDx qui donne un premier aperçu.

Quand nos démocraties prendront-elles enfin au sérieux ces alternatives à la violence qui sont tellement plus en cohérence avec leurs valeurs, notre foi chrétienne et qui sèment vraiment la paix ?

Pour ma part, je réaffirme ce que j’ai dit et qui a été publié dans Dimanche et sur cathobel.be : « Je ne dis pas qu’on pourrait passer, du jour au lendemain, d’un modèle violent à un modèle non-violent. En outre, il y a en face de nous des dirigeants surarmés. Moi, ça me pose plein de questions. Et je trouve que les réponses apportées aujourd’hui sont très simplistes et univoques. Je regrette qu’on n’investisse pas davantage dans d’autres logiques que celle de la violence. Si on le faisait, peut-être y croirait-on bien davantage. »

Benoît THIRAN

Catégorie : Opinions

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