Le livre "Allah n'a rien à faire dans ma classe" a fait beaucoup parler de lui, y compris sur CathoBel. Sans chercher à minimiser les faits, certains aimeraient adopter un autre point de vue. C'est le cas de Pascale Otten, inspectrice honoraire de l'enseignement, et de Marie Hubermont, enseignante à Molenbeek et animatrice de la pastorale scolaire à Bruxelles.
Chaque époque amène ses questions, ses problématiques auxquelles les enseignants doivent faire face : dernièrement un livre s’est fait le relais d’enseignants interrompus par des élèves parlant de l’islam. Ces faits interrogent beaucoup de citoyens. Ne minimisons pas : des radicalismes existent, c’est une réalité, mais pas toute la réalité.
Une posture pour s'opposer à l'autorité?
Quelques réflexions d’acteurs de l’enseignement pourraient éclairer le sujet.
Tout d’abord, gardons en tête que les élèves du secondaire traversent l’adolescence et manient la provocation de tout poil: l’adolescent se pose en s’opposant disait-on. Certains ont-ils trouvé dans le radicalisme religieux une posture pour s’opposer à l’autorité ? Il y a sûrement certaines réactions qui s’expliquent de la sorte.
C’est aussi le moment où pointe une soif d’absolu : elle pourrait être étanchée par certains discours religieux. Il s’agit parfois d’une désir de spiritualité : on le constate dans plusieurs initiatives en école: les temps de spiritualité inter convictionnelle organisés en concertation avec les élèves sont souvent bien vécus, appréciés .
Pensons à Socrate
L’adolescent est aussi en quête d’identité : il est peut-être confortable pour certains de rentrer dans une identité codifiée. Les cours sont une occasion de remise en question , un temps de questionnement face aux codes et idées reçues, cela peut créer un conflit surtout en cas de discours ex-cathedra.
Par exemple, il existe des ateliers philo qui peuvent aider cette démarche avec un cadre sécurisant. C’est en "accouchant" une réflexion (pensons à Socrate) que l’élève pourrait commencer à douter, parfois en son for intérieur. En effet, il me semble que l’enseignant aura du mal à infléchir des convictions ancrées avec un discours frontal : l’élève dira "oui oui", mais n’en pensera pas moins.
Un des projets de l’enseignement est de former des citoyens éclairés. Récemment les cours de citoyenneté (CPC) ou d’éducation à la citoyenneté (EPC) ont été mis au programme dans l’enseignement libre et officiel en Belgique. Des référentiels sont publiés : il y a de nouvelles propositions et un travail pédagogique, toujours à réinventer, à adapter à ses élèves évidemment. Les pédagogues actuels mettent en évidence les activités dans lesquelles l’élève est amené à s’approprier savoir et réflexion : cela permet une adhésion.
L'heure de l'auto-analyse
Le mode de vie d’aujourd’hui, la multiculturalité de nos sociétés invite également toutes les institutions les plus anciennes à se remettre en question. C’est le cas des hôpitaux, de la justice, mais aussi de l’école. Les familles, les vécus d’élèves ont beaucoup changé. Les écoles sont invitées à pratiquer une auto-analyse sur leur fonctionnement : est-il suffisamment clair pour tous ? En phase avec les nouveaux modes de communication ? Prend-on suffisamment en compte une possible différence de vécu, de culture, de valeurs entre la famille et l’école ? Il peut en effet exister un fossé d’incompréhension entre les deux et l’élève, au milieu du gué, peut vivre un conflit de loyauté qui entraine une souffrance psychique.
Pratiquer un certain "décentrement", cette attitude qui essaye de comprendre ce que les élèves et leurs familles vivent, pourrait éclairer ce qui se dit en classe. Cela amène à voir un autre point de vue, voir d’autres facettes des élèves, quelles sont leurs valeurs, leurs ressentis, leurs passions.
Et si on repartait de là pour construire avec eux ce qui pourrait être des balises nouvelles ?
On le sait, aucune solution n’est "magique" et de nombreuses écoles ont mis en place de formidables initiatives qui favorisent un vivre ensemble et un vécu inter convictionnel riche : cela aussi doit être su et mis en lumière car c’est cela aussi qui fait avancer toute la société.
Pascale OTTEN et Marie HUBERMONT