Les déclarations fortes du pape François sur l’avortement continuent de résonner en Belgique. Dans une carte blanche, Astrid Sergent, jeune maman catholique, soutient son appel à sortir d’une "anesthésie des consciences", questionnant notre rapport à la dignité humaine. De son côté, Ann Goris , ancienne conseillère communale à Molenbeek, invite à une réflexion intime sur les blessures et la culpabilité qu'une interruption volontaire de grossesse peut laisser dans les cœurs.
Pourquoi le pape a-t-il employé des termes si forts?
Cette opinion d'Astrid Sergent, jeune maman catholique, a été rédigée suite à la chronique "Une sacrée paire de tueurs à gages" publiée dans Le Vif du 3 octobre et sur levif.be. Elle a été proposée à la rédaction en chef du Vif, qui a décidé de ne pas y donner suite.
Il y a une semaine le Pape François décollait de Belgique, après avoir célébré une messe finale devant 38.000 personnes sans compter les diffusions en direct. Le moment était à la joie, et pour beaucoup de chrétiens belges ce fut un grand moment à vivre. Il faut admettre que l’ambiance était toute autre dans les médias, surtout après sa déclaration dans l’avion retour : “Un avortement est un homicide, les médecins qui font cela sont, si vous me permettez l’expression, des tueurs à gage” . Des mots très forts qui n’ont pas manqué de faire réagir.
Pourquoi une telle surprise?
L’onde de choc médiatique qui a suivi cette prise de parole fut surprenante par son intensité et sa férocité. On a pu lire ici et là que le Pape remettait en cause la démocratie, que la neutralité des institutions était en danger, et même, dans Le Vif, qu’il était un “égoïste enfoiré”. L’ambassadeur du Vatican a même été convoqué par le premier ministre. Qu’est-ce que cela dit de notre rapport à la parole du Pape en Belgique? Je voulais, en tant que jeune catholique, essayer d’apporter ma contribution en espérant que cela permette de comprendre ce que le Pape a voulu faire avec cette déclaration.
Tout d’abord, je suis étonnée que la position du Pape François sur l’avortement soit une telle surprise en Belgique. L’Eglise a toujours souligné son désaccord avec la pratique de l’avortement et a toujours parlé de personne humaine dès la conception, et donc de meurtre dans le cadre de l’avortement. Elle a toujours demandé de faire attention à ne pas juger les femmes qui y ont recours, car en tant que chrétien, on peut juger un acte mais jamais la personne. On peut bien entendu ne pas être d’accord avec cette position, mais l’Eglise a toujours été cohérente sur le sujet et ne s’en est jamais cachée. Le Pape François avait d’ailleurs déjà utilisé les termes “tueurs à gage”, des mots durs à entendre pour beaucoup de gens en Belgique. Pourquoi a-t-il dit ça?
Un pape attristé
Le Pape François, en visitant la Belgique, capitale de l’Europe, a voulu envoyer un message fort au monde occidental pour lutter contre ce qu’il considère être une anesthésie des consciences. Il s’attriste de voir notre société de plus en plus insensible à la souffrance des plus faibles, que ce soient les enfants à naître, les personnes migrantes ou les personnes âgées. Et pour nous sortir de notre stupeur, il a osé une expression “choc” qui ne manquerait pas de faire réagir. Et ça n’a pas manqué. On peut se demander s’il était opportun d’utiliser de tels propos (qui pourraient plus braquer que réveiller d’ailleurs), mais il est difficile de lui reprocher de dire ce qu’il a toujours dit et qu’il n’a jamais caché.
Au-delà de la formule choc, la question essentielle du Pape François me semble être celle-ci : quelle est la dignité de chaque personne humaine? Ne sommes-nous pas dignes d’être respectés si nous sommes étranger, handicapé, enfant à naître ou personne précaire? ”On peut faire des erreurs, mais personne n’est une erreur!” insistait-il à Koekelberg samedi passé. Le Pape est d’ailleurs sorti plusieurs fois du planning officiel pour visiter un home de personnes âgées et un centre d’aide aux personnes précaires : il a toujours eu une attention particulière dans ses écrits et dans ses actions aux personnes fragiles.
Le Pape a-t-il vraiment voulu s'immiscer dans la politique Belge, comme on a pu le lire ? Ou a-t-il seulement voulu nous questionner sur des situations auxquelles nous nous sommes tellement habitués qu’on ne s’autorise plus le droit d’y réfléchir. Est-il normal qu’il y ait 20.000 avortements par an environ en Belgique ? Est-il normal qu’on ne puisse évoquer que l’allongement du délai d’avortement, plutôt que réfléchir à en diminuer le nombre ? Quand la commission d’évaluation de l’IVG nous informait qu’en Belgique 15% des femmes avortaient pour des raisons financières et 25% sous la pression de la famille ou du conjoint, peut-on encore accepter que 40% des avortements ne sont pas souhaités par les femmes ?[1]
Une richesse, pas un danger
Alors encore une fois, je comprends que ces propos puissent choquer. Il y a des médecins qui pratiquent l’avortement et qui veulent sincèrement aider les femmes. Mais le Pape veut nous inviter à réfléchir aussi à la place de l’enfant à naître dans notre société. Il est tout à fait possible de ne pas partager cette position, mais il me paraît délicat en démocratie de vouloir faire interdire cette opinion, comme on a pu l’entendre sur la RTBF qui proposait de poursuivre le Pape pour ses propos. La liberté d’opinion est une liberté constitutionnelle en Belgique, et c’est une richesse pour un pays d’entendre des avis divergents, pas un danger.
Notre premier ministre s’est bien exprimé sur ce propos, l’époque où les dogmes pouvaient dicter les lois est révolue, faisons en sorte de ne pas devenir dogmatique dès que le sujet de l’avortement est abordé.
Astrid SERGENT
[1] https://www.lalibre.be/belgique/2015/04/02/chaque-jour-55-femmes-interrompent-leur-grossesse-ONEJYE3JLFCP5IMJFJPRLCLJVI/
A nos corps et nos cœurs errants
Une opinion d'Ann Goris, ancienne conseillère communale à Molenbeek
Beaucoup d'encre a coulé en réponse aux paroles du Pape François concernant l'interruption volontaire de grossesse.
Beaucoup d'encre noire, d’encre rouge, d’encre touchante parfois, d’encre délétère, aussi.
Certain.e.s se sont exprimé.e.s avec grande dignité, mettant en avant le choix cornélien et la souffrance inconsolable de la décision prise et de l'acte posé. D'autres ont réagi avec mépris et violence.
Nous avons ouvert la boite de pandore le jour où nous nous sommes octroyé le droit de mettre fin à la vie naissante. Emus de bonne foi par des situations douloureuses, nous y avons répondu à notre manière humaine.
Les techniques médicales le permettaient et nous nous y sommes risqués. Nous avons décidé, pour ne pas condamner ou culpabiliser, de légiférer.
Cette loi se voulait au départ voler au secours de la détresse humaine, et petit à petit, devint aussi tout bonnement une réponse à ce que certains appellent " liberté ".
Mais une loi ne répare pas un cœur blessé.
Au contraire, ce choix de "liberté" semble épouser souvent la trajectoire d'un boomerang : si il libère au lancer, il revient inlassablement muté en blessure et culpabilité.
La force et l'importance des réactions qui ont vu le jour suite aux paroles du Pape François, ne sont-elles pas surtout le signe de cette douleur sournoise et lancinante tapie au fond de tant de cœurs ? Ne résonnent-elles pas comme un écho au cri de l'homme tourmenté de l'Evangile (Mc1, 24) : " Que nous veux-tu, ..es-tu venu pour nous perdre ? "
Peut-être que la symbolique du "paradis perdu" de la Genèse prend ici tout son sens. Nous avons décidé, en toute bonne foi, de toucher à l’arbre de la vie et de la mort, et par la même nous avons perdu notre naïveté et nous nous sommes condamné à errer.
Comme il est difficile d'accepter que les choses rudes soient nommées.
Comme il est difficile de ne pas y coller notre propre culpabilité.
Il faut avoir le cœur bien pur pour nommer sans juger.
Et nommer avec humilité, n’est-ce pas la seule voie (voix...) possible pour inviter à regarder sa blessure, se laisser guérir et consoler ?
Ann GORIS