Quel type de pratiquant suis-je? Les sociologues s'intéressent depuis longtemps à la pratique religieuse; les journalistes les suivent. Depuis les années 60, la déchristianisation est évidente. Les statisticiens peuvent estimer le nombre de "messalisants" (ceux qui vont à la messe chaque dimanche), de "pascalisants" (ceux qui "font leurs Pâques" une fois l'an) et de catholiques non-pratiquants. Selon cette approche, la pratique religieuse se juge au nombre d'actes liturgiques et sacramentels posés ou non par des pourcentages de citoyens…
Cette définition par la liturgie marque toujours notre inconscient. Dire "je ne suis pas très pratiquant" signifie pour beaucoup "je ne vais pas souvent à la messe". A l'Ecole Normale Supérieure de Paris, les étudiants catholiques sont appelés les "talas", parce que ce sont ceux, et ils sont rares, qui "vont-à-la messe"…
Les lectures du jour semblent critiquer fortement cette approche réductrice; la liturgie serait-elle le marqueur de la pratique religieuse? Saint Jacques est catégorique: "Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c'est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde" (Jc 1,17-27). La pratique religieuse a du sens si les comportements quotidiens en sont profondément nourris et transformés.
Dans l'évangile, Jésus souligne avec force l'importance de la priorité de l'éthique sur les rites, ou, si l'on veut, de la morale sur la liturgie: lavage de coupes, de carafes et de plats sont des pratiques forgées par les hommes; il n'y a rien de tout cela au paradis, et les anges ne passent pas leur temps à la vaisselle. La vraie pureté ne vient pas de la façon de cuisiner ou de manger: elle vient de l'intérieur du cœur de l'homme. Et voilà sûrement la pointe de l'enseignement de Jésus: non pas dénigrer les rites liturgiques, mais replacer toute leur signification dans le cœur de chaque être humain, en ce lieu qui est son trésor, comme il l'exprime aussi selon Matthieu (Mt 6,21).
La longue liste des comportements contraires à la pratique religieuse peut surprendre, dans la bouche de Jésus. Il ne nous a pas habitués à des mots si forts. Ces mots rares en sont donc d'autant plus interpellants: "inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure". N'allons pas y reconnaître les défauts des autres, ni scruter anxieusement nos comportements des derniers jours. Mais reconnaissons-y, en chaque mot, une blessure à la fraternité, à la relation à l'autre, et donc à l'Autre. Jésus invite à une éthique fraternelle comme signe essentiel de l'identité croyante.
Que les "talas" le soient vraiment: tala… rencontre des autres, tala… disposition et au service des pauvres et des petits, tala… recherche d'une vie de prière plus intense. Et que ceux qui ne le sont guère découvrent peut-être, par ce témoignage rayonnant, la joie d'être de ceux qui vont-à-la messe plus souvent.
Abbé Joël ROCHETTE