C’est un hémicycle européen plus marqué à droite qui émerge des élections du 6-9 juin. Les deux groupes réunissant les partis les plus à droite et à l’extrême-droite sortent renforcés, les écologistes amoindries, mais la coalition ayant soutenu la Commission von der Leyen conserve la majorité. Quels enseignements en tirer pour la Comece, la Commission des conférences épiscopales de l’Union européenne? Réponse avec Mgr Antoine Hérouard, vice-président de la Comece.
La Comece s’était prononcée clairement en faveur des partis pro-européens au début de la campagne pour les élections européennes du 6-9 juin. Au lendemain de la proclamation des résultats qui voient le Parti populaire demeurer le premier groupe au sein du Parlement, les groupes Identité et Démocratie et des Conservateurs et Réformistes européens renforcés, les Verts amoindris, l’équilibre des forces semble se maintenir en faveur toutefois de la droite. Mais la coalition rassemblant notamment démocrates-chrétiens et sociaux-démocrates qui avait soutenu la Commission d’Ursula von der Leyen a tenu et devrait logiquement soutenir le prochain exécutif communautaire.
Mgr Antoine Hérouard, archevêque de Dijon et vice-président de la Comece, revient sur ce scrutin.
Comment expliquer cette poussée des partis d’extrême-droite dans plusieurs pays européens, et le fait qu’ils soient même arrivés en tête dans quatre pays, la France, l’Italie, la Belgique et l’Autriche?
Cela traduit un certain sentiment de peur que partagent les opinions publiques européennes: peur devant la question de la guerre avec la situation en Ukraine, peur devant les incertitudes économiques, peur du déclassement du fait que l’Europe semble un peu en perte de vitesse. Il y a aussi la recherche d’une identité.
C’est peut-être aussi une critique du fonctionnement actuel de l’Europe qui parait trop technocratique, trop lointaine, trop tatillonne sur certains sujets. Il y a aussi des éléments de politique nationale dans les différents pays qui sont concernés. On peut d’ailleurs remarquer que cette poussée de l’extrême-droite n’est pas forcément vraie partout. Par exemple, dans certains pays nordiques, on a au contraire une poussée des Verts et de la gauche parce que justement, l’extrême-droite est déjà au pouvoir au sein de coalitions.
Au final, c’est aussi un vote de mécontentement dans beaucoup de pays contre les gouvernements en place.
La coalition sortante qui soutenait la Commission von der Leyen conserve sa majorité. Doit-elle cependant prendre en compte cette droitisation du Parlement?
Il faut tenir compte de l’appel des électeurs parce qu’ils ont voulu signifier en émettant un certain nombre de votes critiques. Pour autant, cela ne veut pas dire forcément qu’il faille rentrer dans la logique d’un certain nombre de partis définis comme d’extrême-droite ou populistes.
Il faut aussi dire que les insatisfactions qui se sont manifestées à travers le scrutin doivent être prises en compte dans l’exercice de la majorité qui ressortira à travers le choix des principaux responsables.
L’un des principaux faits de ces élections, c’est le recul des écologistes. Est-ce le signal qu’il faut changer d’approche pour affronter les problèmes environnementaux?
C’est l’expression d’un certain nombre de craintes. On voit que la transition écologique, que les changements qu’elle va impliquer se traduisent pour beaucoup de gens par des choses qu’ils ne pourront plus faire ou qui vont coûter cher ou qui seront plus difficiles. Il y a une sorte de réaction contre une écologie qui paraît trop restrictive ou punitive comme disent certains.
On l’a vu aussi cet hiver à travers le mouvement des agriculteurs qui a traversé un peu toute l’Europe, au sujet de normes environnementales qui ont paru mettre en danger la situation des agriculteurs et surtout fausser des éléments de concurrence au niveau international.
Or, l’urgence écologique demeure. Il ne s’agit pas de dire «on arrête» avec ce sujet-là parce que le changement climatique et ses conséquences sont très présentes et parfois de manière très catastrophique dans le monde mais aussi en Europe.
Pensez-vous que ce nouveau Parlement respectera les valeurs que défend l’Église catholique?
Les valeurs européennes encouragées par l’Église ont trait à une certaine compréhension de la personne humaine, de la vie en société. C’est aussi la question de la démocratie et de l’État de droit. Ce sont donc des valeurs qui sont très diverses et très larges. Et le Pape François y a fait souvent référence dans ses nombreux discours autour de la construction européenne.
On voit aussi que l’Europe est un continent qui est marqué par une assez forte déchristianisation, ce qui n’est pas nouveau mais cela se traduit par la recherche, dans le Parlement sortant, de ce que certains appellent des droits nouveaux mais qui se veulent plutôt comme la multiplication des droits individuels sans prise en compte des éléments de solidarité nécessaires au sein de la société.
L’Église doit donc toujours rappeler que les libertés individuelles ne sont pas sans limites, et que nous avons aussi des devoirs les uns vis-à-vis des autres pour construire une société et une Europe qui soient solidaires et dans lesquelles il y ait une vraie place pour les plus petits, les plus fragiles, ceux qui sont en difficulté de toutes sortes.
Cela touche à la fois aux questions de la vie du commencement jusqu’à la fin, les questions des conditions de travail, les questions de précarité et les questions d’entraide internationale et de développement des pays les plus pauvres.
Entretien réalisé par Xavier SARTRE pour Vatican News