Le Parlement français examine actuellement une réforme de la fin de vie, incluant une aide active à mourir souhaitée par Emmanuel Macron. "Avec ce projet de loi, on regarde la mort en face" confiait en mars dernier le président de la République au journal La Croix. Cependant, la dissolution de l'Assemblée nationale, ordonnée hier par le chef de l'Etat, vient repousser sine die le projet de loi.
Jusqu'à présent, en France, une personne malade ne pouvait pas demander l'euthanasie. La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 autorise certes, sous certaines conditions, la sédation profonde et continue jusqu'au décès. Cependant, cette pratique est réservée aux patients souffrant de maladies graves et incurables, lorsque la mort est imminente (quelques jours au maximum), afin de les soulager. Bien que cette forme d'euthanasie dite "passive" soit légale, l'euthanasie active est bel et bien interdite en France.
Le 7 juin 2024 marque néanmoins un tournant décisif en la matière. En effet, vendredi dernier, l’Assemblée nationale a approuvé les critères d’accès à l'euthanasie et au suicide assisté, par 51 voix pour et 24 contre (sur les 577 élus (!) que compte normalement l’hémicycle), non sans contestation et marques de réprobation de la part de députés de tous bords.
Soins palliatifs
Dans une prise de parole remarquée, l’élu communiste Pierre Dharréville a dénoncé devant l’Assemblée "une loi brutale, une loi sans rivages et un terrible message de renoncement et d’abandon". Ému et affecté par l’évolution des débats, il a annoncé suspendre sa participation à la discussion.
« Nous sommes dans la pente, et en ce qui me concerne j'arrête la glisse. Je ne peux plus aider à faire moins pire »
Pierre Dharréville, député PCF, Assemblée nationale
Aide à mourir : "Nous sommes dans la pente, et en ce qui me concerne j'arrête la glisse", confie @pdharreville, "profondément affecté" et décidé à "reprendre des forces". "C'est pour moi une loi brutale, sans rivages et un terrible message de renoncement et d'abandon."#FinDeVie pic.twitter.com/lknfkfVFEX
— LCP (@LCP) June 7, 2024
Même son de cloches du côté de son collègue socialiste Dominique Potier. Pour le député de Meurthe-et-Moselle "la dignité, ça aurait été d'abord d'accomplir le déploiement des soins palliatifs, et ensuite de poser éventuellement la question d'un changement [législatif]".
Enfin, une voix d'opposition, provenant cette fois de la société civile : Jean-Marie Gomas, l'un des fondateurs du mouvement des soins palliatifs en France, se dit inquiet de l'adoption de l'article 6 du projet de loi (conditions d’accès à “l’aide à mourir”) par les parlementaires :
« On est vraiment très inquiets, nous les soignants, nous les médecins, sur le flou de ces critères »
Jean-Marie Gomas, est ancien gériatre et médecin de la douleur et de soin palliatif.
Opposition de l’Eglise
Depuis le début du débat parlementaire, les évêques de France multiplient les interventions pour s’opposer à ce projet de loi sur la fin de vie.
Vendredi dernier, jour de l'adoption de l'article 6 par l'Assemblée nationale, Mgr Laurent Percerou, évêque de Nantes, a célébré en la basilique Saint-Nicolas une messe "pour le respect de la vie humaine jusqu’à son terme naturel". Auparavant, il avait invité toutes les paroisses de son diocèse à faire de même. "Dans ce projet de loi, il y a un basculement anthropologique. Il y a aussi la culpabilisation des gens en fragilité" pointe-t-il.
Sur le réseau social X, Mgr Michel Aupetit, archevêque émérite de Paris, s'est également fendu d'un commentaire "mordant" dont il est coutumier :
« Un homme sur le quai du métro se lance sous la rame qui arrive. Que faire ? Je le pousse ou je le retiens? Il me paraît tellement évident qu'il faille le retenir. Le pousser reviendrait à accomplir ce fameux ''suicide assisté'' cher aux soi-disant progressistes. »
Mgr Michel Aupetit, X (ex-Twitter)
Mgr Vincent Jordy, Vice-président de la Conférence épiscopale, propose lui l'idée d'un référendum. Car, contrairement aux lois de bioéthique ou au mariage pour tous qui touchent un nombre limité de personnes, "ici tout le monde est concerné, tout le monde un jour va passer par la mort", explique-t-il sur un plateau de télévision.
#Findevie : Mgr Vincent Jordy, Vice-président de la Conférence des évêques de France, réagit à l'idée d'un #référendum dans #punchline sur @CNEWS. pic.twitter.com/IVVZrBmgbD
— Église catholique en France (@Eglisecatho) June 5, 2024
A noter que le culte musulman s’est également opposé fermement à l’euthanasie et au suicide assisté par la voix de la Grande Mosquée de Paris.
Une opposition partagée par Haïm Korsia, grand-rabbin de France. Le représentant de la communauté juive en France émet plusieurs craintes quant à ce projet de loi sur la fin de vie. Notamment : "Si on rentre dans un système où le soignant peut être celui qui me tue alors je n’ai plus confiance en personne (…) Il faut entendre la souffrance mais ce n’est pas en tuant les gens que l’on élimine la souffrance" avance-t-il sur France Télévisions.
[Mise à jour] La dissolution de l'Assemblée nationale vient perturber le processus
Affaire à suivre... Mais pas tout de suite ! Dans la foulée des résultats aux élections européennes, Emmanuel Macron a décidé ce dimanche 9 juin au soir de dissoudre l’Assemblée nationale, mettant ainsi le projet de loi fin de vie en suspens… "Alors que la loi allait aboutir, hélas cette dissolution de l'Assemblée bloque le processus" dénonce Denis Labayle, médecin et co-président de l'association Le Choix, invité ce matin sur France Inter.
Un 'deus ex machina' totalement inattendu qui ravira certainement les autorités ecclésiastiques d'outre-Quiévrain.
De quoi susciter également quelques traits d'humour sur X :
Je parie que quand les députés discutaient de la loi sur la fin de vie, ils ne réalisaient pas qu’ils parlaient de celle de leur législature.
— Maitre Eolas (@Maitre_Eolas) June 9, 2024
Clément Laloyaux