Clarisse Petel est une jeune professionnelle âgée de 25 ans. Un beau jour, il y a plus de quatre ans, elle rencontre Mariane. Celle-ci pourrait être sa grand-mère; les deux femmes vont devenir amies. Clarisse Petel en est convaincue: l’amitié n’a pas d’âge. Et les personnes âgées ne peuvent être "abandonnées".
Il a suffi de toquer à une porte choisie "au hasard" pour provoquer cette rencontre, aussi inattendue qu’inoubliable. Alors étudiante en Master à Louvain-la-Neuve, j’habitais au Bioéthikot, une colocation de la paroisse étudiante. Avec mes colocataires, nous avions décidé ce jour-là d’aller visiter "les vieux" de la résidence la plus proche. Motivée par cette initiative, je suis montée au premier étage et me suis arrêtée devant la porte n°111. Une dame souriante, aux yeux bleus pétillants, m’a invitée à entrer dans sa petite chambre, encombrée de beaux tableaux et de vieilles photos. Nous avons entamé la discussion sans aucune gêne, comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Dès nos premiers échanges, j’ai senti que Mariane était une personne unique et exceptionnelle. Ma première visite fut très brève, mais si marquante que je lui promis de revenir.
"Un modèle pour moi"
Depuis cette rencontre, il y a plus de quatre ans, nous sommes devenues amies. Je considère Mariane ni comme une grand-mère, ni comme une patiente à laquelle je me serais attachée. "Voici ma chère amie Clarisse": telle fut la façon dont elle m’a présentée la première fois aux autres résidents, et cela me parut juste et évident. Aujourd’hui, alors que je travaille à Bruxelles, nos liens n’ont fait que se renforcer. Nous avons développé une amitié profonde et unique: notre curiosité et notre simplicité nous rassemblent, et nos différences générationnelles nous enrichissent. Mariane est un modèle pour moi, un modèle de bonté, de force et de joie. Nos discussions m’apaisent, me bousculent, et me font grandir.
Mariane m’écoute toujours attentivement, puis formule, telle une magicienne, des phrases souvent identiques qui ont le don de révéler une vérité profonde, et qu’elle semble toujours redécouvrir en les prononçant. Les citations de Mariane, comme je les appelle, sont loin de m’ennuyer! Leur aspect répétitif m’aide au contraire à les méditer. A travers ses paroles, elle m’offre la chance d’accéder à sa philosophie, qui consiste à accepter les moments de fête et de souffrance, pour toujours tendre vers la joie, quelles que soient les circonstances de nos vies.
Le long chemin vers la sagesse
Quand je lui fais part de mes questionnements et mes craintes, elle me répète souvent cette histoire: "Un pédiatre m’a dit un jour que nous sommes loin d’être adulte à 18 ans. Ce n’est qu’à 28, ou 30 ans que l’on peut vraiment considérer avoir quitté l’enfance. Tu es donc encore un peu une adolescente!". Face à mon désir de toujours bien faire, elle me rappelle par-là que le chemin vers la sagesse est long, et dure en réalité toute une vie. Quel soulagement de savoir que j’ai le temps d’apprendre et que j’ai le droit à l’erreur.
"L’amour peut franchir des montagnes!", dit-elle encore avec conviction. Cette phrase, qui me paraissait si banale, ne l’est plus du tout quand elle est énoncée par Mariane, qui aime la répéter alors que de nombreuses difficultés ont jalonné sa longue vie. Toutes les souffrances qu’elle a pu vivre ne l’ont pas empêchée de garder l’amour, un amour qui lui a permis d’être entourée d’amis, et qui nous attire encore toujours vers elle.
La solitude, le ciel et la vie
Sa positivité est toutefois confrontée et mise à mal par les conditions qui l’entourent. Depuis quelques temps, elle est de plus en plus fragile, physiquement et psychologiquement. Je tente de lui apporter une présence, un moment de qualité. Entourée de personnes qui "ne rient pas et qui ne parlent de rien d’intéressant", elle devient de plus en plus sensible et exprime ses souffrances. Je ne peux que poursuivre mes visites, et j’en ressors à la fois heureuse, mais de plus en plus impuissante et démunie face à ses difficultés et face à la solitude que vivent de nombreuses personnes âgées.
Quand je toque à sa porte, elle aime dire que c’est le ciel qui m’a envoyée. Le ciel, l’espérance et la foi, sont des mots qui sortaient beaucoup de sa bouche, mais qui semblent aujourd’hui plus loin de sa réalité. Elle me disait récemment se sentir plus éloignée de Dieu qu’auparavant. N’est-ce pas toutefois essentiel, et ce d’autant plus à l’approche de la mort, de se sentir aimée et accompagnée par l’amour fraternel et divin? Pourtant située à trois pas de l’université, ce lieu est dépourvu de jeunes. Malgré l’injustice que je ressens face à cet abandon, je quitte sa chambre avec sa dernière formule: "Vive la vie! Chantons la vie!". "Notre rencontre n’est pas un hasard", dit-elle encore, et j’en suis persuadée moi aussi. Je considère que mon rôle est de témoigner de sa force de vie et de cet appel à la rencontre. La joie se trouve parfois dans un visage mûr, à trois pas de chez nous.
Clarisse PETEL
(titre, chapeau et intertitre sont de la rédaction)