Dans l'Evangile de Jean [10, 11-18], Jésus nous demande-t-il de donner notre vie ? Réponse avec le chanoine Joël Rochette, vicaire général du diocèse de Namur.
"Une vie offerte ne peut pas être perdue." Cette phrase fut prononcée par l’évêque de Carcassonne lors des funérailles du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, ce gendarme qui, en 2018, avait pris la place d'une caissière retenue en otage par des terroristes. Elle résonne à nos oreilles en ce dimanche pascal.
Nous demande-t-on de donner notre vie? Lorsque j’étais président de Séminaire, je me sentais mal à l'aise quand des séminaristes employaient cette expression: "Nous avons donné notre vie..."! Mais qui peut dire cela en vérité? Quand on sait combien l'on garde pour soi-même, de sa liberté, de son indépendance, de son confort, de sa volonté...! D’ailleurs, autour de nous, la société ne semble pas avoir grand besoin de vies données dans la foi. Une boutade de l’humoriste Raymond Devos, dans un sketch, sonne juste: "Je suis même allé voir un prêtre; c’est vous dire à quel point j’étais désespéré!"
Si nous restons dans le registre des "besoins", nous faisons fausse route. Quand Jésus appelle certains de ses disciples à le suivre, quand il les fait apôtres, il n’a pas d’abord l’intention de combler des besoins. Non, il veut se donner encore, faire don de lui-même. Et c’est le cœur de l’évangile: "Je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis… Mes brebis écoutent ma voix et elles me suivent." C’est évidemment un service que le pasteur rend au troupeau: il est celui qui ouvre le chemin et qui, parfois, s’expose aux dangers. Il marche devant les brebis, en les appelant; il marche aussi parfois au milieu d'elles, pour mieux partager ce qu'elles vivent; il marche parfois derrière elles, pour encourager celles qui se fatiguent, les aider à se relever, les porter sur ses épaules et dans sa prière. Il appelle et il espère que sa Bonne Nouvelle fascinera les hommes qui se mettront à sa suite.
Car il s’agit de fascination, fascination tendre et forte, comme les deux adjectifs employés pour qualifier le Berger: il se présente comme le "bon" pasteur, le "vrai" berger. La traduction française est insatisfaisante; on aurait dû traduire: le "beau" berger, comme le texte grec y invite: ho poimèn ho kalos. Car il est beau, non d'une beauté physique, mais d'une beauté du regard, rempli d'amour. Il a de beaux yeux, le Seigneur, car ce sont les yeux d'un Dieu qui ne cesse jamais d'aimer. Des yeux qui jamais ne se fâchent, ne froncent les sourcils, ne se moquent ou n'assassinent.
Si l'on choisit, comme père ou mère de famille, de vivre dans la fidélité à Jésus, c'est pour ses beaux yeux. Si l'on choisit, comme jeune chrétien, de se nourrir de la foi en Jésus, c'est pour ses beaux yeux. Si l'on choisit, comme prêtre ou religieux, religieuse, de répondre à un appel de Jésus, c'est pour ses beaux yeux... Et non pour des "besoins".
Nous prions aujourd’hui pour les vocations, non pour combler des besoins, mais pour que la fascination d'amour du Seigneur se propage dans ce monde bouleversé.

Abbé Joël ROCHETTE