Cette semaine aura été marquée par l’inscription de l’IVG dans la Constitution française. Un moment qualifié d’historique par des députés et observateurs politiques de touts bords. Du côté des instances ecclésiales de France et du Saint-Siège, c'est un tout autre son de cloche qui a retenti à l'issue de ce vote. Pour Mgr Ulrich, archevêque de Paris, "le refus d’accueillir la vie est désormais érigé comme un principe fondamental de la République”
Il aura fallu un an et demi pour que le projet aboutisse. Mais c'est désormais chose faite. Ce lundi 4 mars, les députés et sénateurs français, réunis en Congrès à Versailles, ont approuvé la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), par 780 voix pour et 72 contre. Une majorité des trois cinquièmes était requise pour valider cette révision constitutionnelle, soit au moins 512 voix.
Ce vote intervient près de cinquante ans après l’adoption de la loi « Veil » de 1975, qui a légalisé le recours à l’IVG en France, et alors que la montée des populismes menace l’accès à l’avortement dans de nombreux pays à travers le monde.
Par ce vote "historique", la France devient le premier pays du monde à faire figurer l’IVG dans sa Constitution. L’annonce des résultats par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a été saluée par une très longue ovation debout des députés et sénateurs.
A l'issue du Congrès, nombreux furent ceux qui tenaient à exprimer leur joie, leur émotion ou leur fierté : "Un moment historique arraché par une victoire parlementaire" pour Mathilde Panot, présidente du groupe La France Insoumise à l'Assemblée ; "Une grande page de l’Histoire" dixit Mélanie Vogel, l’élue écologiste qui a porté le combat au Sénat ou encore "Une belle journée" pour Aurore Bergé, ministre de l'Égalité entre les femmes et les hommes.
Dans la même veine, Jordan Bardella, président du Rassemblement National, s'est lui aussi "réjoui" de l'inscription de l'IVG dans la Constitution, tout en admettant qu'aujourd'hui, de toute façon, "pas un mouvement politique d'ampleur dans notre pays ne remet en cause le droit à l'avortement".
Quelques minutes plus tard, dans un tweet, Emmanuel Macron s'est à son tour félicité de ce « message universel » envoyé par le Parlement. Et donne rendez-vous ce vendredi 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, pour la cérémonie de scellement de ce droit dans la Constitution.
Fierté française, message universel.
Célébrons ensemble l’entrée d’une nouvelle liberté garantie dans la Constitution par la première cérémonie de scellement de notre histoire ouverte au public.
Rendez-vous ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes. pic.twitter.com/dcwniEPei4
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) March 4, 2024
Tout autre son de cloche du côté de l'Eglise...
La constitutionnalisation de l'IVG n'a pas reçu le même accueil au sein du monde catholique. Bien au contraire.
Déjà le 29 février dernier, soit 4 jours avant le vote au Congrès, les évêques de France s’étaient déclarés «attristés» du vote des sénateurs français d’inscrire l’IVG dans la Constitution de la Ve République et avaient rappelé que «l’avortement, qui demeure une atteinte à la vie en son commencement, ne peut être vu sous le seul angle du droit des femmes».
Le lundi 4 mars, jour du vote à Versailles, la Conférence des évêques de France a tenté une ultime action de sensibilisation en relayant un appel au jeûne et à la prière lancé par plusieurs mouvements catholiques. "Prions surtout pour que nos concitoyens retrouvent le goût de la vie, de la donner, de la recevoir, de l'accompagner, d'avoir et d'élever des enfants", pouvait-on lire en conclusion de la déclaration.
Sur le terrain, plusieurs centaines de personnes ont passé la journée du 4 mars aux abords du château de Versailles pour faire pression jusqu’au bout sur les parlementaires. Sans succès... «C’est une honte. Mais nous avons perdu une bataille, pas la guerre» a confié en fin de journée Nicolas Tardy Joubert, le président de la Marche pour la vie, à l’origine de la manifestation qui se tenait à Versailles.
"En deuil", les anti-avortement sonnent le glas et déposent des bougies à côté du château de Versailles. La "liberté garantie à la femme d'avoir recours à l'avortement" vient d'être inscrit dans la Constitution. @libe pic.twitter.com/VoV51NuWnz
— Julien Lecot (@JulienLecot) March 4, 2024
À l'annonce des résultats du scrutin, l’Académie pontificale pour la vie, institution indépendante fondée par le pape Jean-Paul II et siégeant au Vatican, a publié une déclaration soutenant la position de la conférence des évêques de France (CEF) : «La défense de la vie n’est pas une idéologie, c’est une réalité, une réalité humaine qui touche tous les chrétiens, précisément parce que chrétiens et parce qu’humains». Plus loin, elle ajoute qu'«à l'ère des droits humains universels, il ne peut y avoir de "droit" à supprimer une vie humaine».
Enfin, pour l’Académie pontificale, «la protection de la vie humaine est le premier objectif de l'humanité», un but qui ne pourra être atteint «que si la science, la technologie et l’industrie sont au service de la personne humaine et de la fraternité».
🇫🇷«À l'ère des droits humains universels, il ne peut y avoir de "droit" à supprimer une vie humaine»
L'Académie Pontificale pour la Vie encourage tous les gouvernements à protéger la vie, alors que la France inscrit le recours à l'IVG dans sa Constitution.https://t.co/Bj6ZPP0EzU— Vatican News (@vaticannews_fr) March 4, 2024
Au lendemain du Congrès à Versailles, l’archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, a exprimé sa tristesse et son amertume : “Le refus d’accueillir la vie est désormais érigé comme un principe fondamental de la République”, a-t-il déploré dans un message diffusé ce 5 mars. Les souffrances et les angoisses qui traversent la vie des femmes “ne nous sont ni inconnues, ni indifférentes”, souligne l’archevêque de Paris qui rappelle les déclarations de Simone Veil qui soulignait, il y a cinquante ans, au moment de la dépénalisation de l’avortement en France «qu’aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement».
Le prélat s’inquiète pour les soignants. Le vote du Parlement fait peser une nouvelle menace sur leur liberté de ne pas pratiquer, pour des raisons qui leur appartiennent, une interruption volontaire de grossesse. “Nous ne pouvons en effet pas concevoir que demain, un médecin ou une sage-femme puisse être condamné par la justice pour avoir refusé de mettre fin à une vie.”
Dans son éditorial du 7 mars, le rédacteur en chef de La Croix, Arnaud Alibert, reconnaît un moment "historique, républicain et éthique" mais pointe néanmoins une question "que le devoir nous impose de laisser ouverte" : "Quelles sont ces 300 000 situations qui appellent chaque année une IVG en France, pratiquée huit fois sur dix par voie médicamenteuse, alors que l’Italie n’en pratique que 60 000 ? Dans quelles conditions, grâce à quelles politiques éducatives et sociales pourrait-on les éviter puisque, comme le disait naguère Mme Veil, aucune femme ne recourt à l’IVG de « gaieté de cœur » ?"
Quid de la Belgique ?
Graver le droit à l’avortement dans la Constitution belge? Certains partis politiques avaient émis l’idée en juin 2022, suite à l’onde de choc suscitée par la révocation du droit à l’IVG par la Cour suprême américaine.
Rik Torfs, professeur de droit canon à la KU Leuven et ex-sénateur CD&V, n’y voit pas l’intérêt : "Si on met ce droit dans la constitution, qu'est-ce qu'on va y écrire alors ? Est-ce qu'il faudra aussi mentionner le nombre de semaines de grossesse que l'on accepte ? Est-ce qu'il faudra figer comme principe que, jusqu'au moment où l'enfant n'est pas né, c'est la femme qui décide, même si l'enfant peut déjà vivre de façon autonome ?"
"Personnellement, je ne suis pas un grand amateur de l'avortement, mais je laisse ça de côté dans cette discussion" assure Rik Torfs. "Je parle surtout du côté technique et constitutionnel. Je crois qu'il faut éviter de remplir la constitution de dispositions qui finalement peuvent être réglées par une loi et d'une façon d'ailleurs plus souple, plus efficace et moins stérile".
Surtout que, d'après lui, il n'y a aucun danger qui menace réellement l'accès des femmes à l'IVG en Belgique, à court ou moyen terme. La proposition serait d'ordre purement symbolique, voire électoraliste: "Il est assez logique pour des politiques de se jeter sur des dossiers symboliques qui, concrètement, ne demandent pas trop d'implications au niveau financier, de l'agenda politique... Bref, c'est là une réaction typique de la classe politique : pour noyer le poisson de l'insuccès, on se lance sur le terrain des symboles."
👉 Retrouvez ici les autres raisons avancées par Rik Torfs.
Clément Laloyaux (avec Public Sénat, cath.ch et La Croix)