“Un changement de culture ecclésiastique”: des hauts responsables de l’Eglise devant la commission d’enquête parlementaire


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“Un changement de culture ecclésiastique”: des hauts responsables de l’Eglise devant la commission d’enquête parlementaire
Bruno Spriet, Sofi Van Ussel et Joël Spronck auditionnés par la commission d'enquête parlementaire.
Par Clément Laloyaux
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
9 min

Ce 19 février, c'était au tour de trois nouveaux visages de l'Eglise belge d'être auditionnés par les députés membres de la commission "abus", dans le cadre du volet "Approche au sein de l'Eglise et des organisations religieuses". L'occasion pour eux de montrer les efforts déployés par l'Eglise en termes de sensibilisation et de prévention des abus.

Il est exactement 12h18 quand la présidente de la commission d'enquête parlementaire, la députée N-VA Sophie De Wit, déclare les auditions ouvertes. Le premier à prêter serment - un exercice qu'impose toute commission d'enquête - est l'abbé Joël Spronck, recteur du grand séminaire francophone de Belgique : "Je jure de dire toute la vérité, et rien que la vérité".

Vient ensuite le tour de Sofi Van Ussel, directrice de "IJD Jongerenpastoraal Vlaanderen", la coordination des pastorales de jeunes flamandes. Bruno Spriet, secrétaire général de la Conférence des évêques de Belgique, clôt la série des serments. C'est ce dernier qui, dans la foulée, prend la parole en premier. Devant les députés de tous bords, il rappelle ce que l'Eglise de Belgique a mis en place pour prévenir les abus sexuels en son sein.

👉 Tout comprendre sur la commission d'enquête parlementaire "abus"

Une politique préventive forte pour "éviter que de nouveaux cas se produisent"

"Le screening et la prévention sont de vraies priorités pour nous", entame le secrétaire de la conférence épiscopale. "Il est capital pour l'Eglise d'éviter que de nouveaux cas se produisent." Pour mener à bien cette mission, l'Eglise belge opère depuis plus de dix ans un véritable "changement de culture ecclésiastique", permettant ainsi un dépistage préventif de comportements déviants. Une politique de prévention qui se retrouve dans trois documents importants : les brochures de la Commission Interdiocésaine "Une souffrance cachée" et "Du Tabou à la Prévention" ainsi que le Code de conduite pour collaborateurs dans l'Église, pour ne citer qu'eux.

Pour Bruno Spriet, la politique préventive de l'Eglise, guidée par ces codes de conduite, poursuit un double but : "signaler tout soupçon d'abus" et "conscientiser le plus grand nombre au sujet des abus, et ce, en vue d'une nouvelle culture au sein de l'Eglise". Ces efforts de prévention s'accompagnent très concrètement d'un screening des candidats diacres et prêtres.

Outre les efforts déployés en termes de formation, sensibilisation et prévention, Bruno Spriet tient à rappeler aux commissaires que l'Eglise a également procédé à son examen interne, en questionnant sa "culture ecclésiastique de l'époque" (abus de pouvoir, abus spirituels...) et en ouvrant le débat sur des thèmes tels que le célibat des prêtres, la santé mentale et psychique...

"Exclure à jamais toute violence est impossible", reconnaît avec réalisme Bruno Spriet, "mais ces dernières années, beaucoup a été fait pour échanger, conscientiser, former et, in fine, prévenir cette violence". "L'Eglise doit continuer à investir tous ses efforts dans la prévention des abus" conclut-il, "notamment en tirant les bonnes pratiques de t'étranger".

La directrice d'IJD s'efforce à "assurer aux jeunes un foyer sécurisé"

Place ensuite à la prise de parole de Sofi Van Ussel, directrice d'IJD Vlaanderen, le service jeunesse de l'Église catholique en Flandre, qui accueille des jeunes de 12 à 30 ans. Dans un premier temps, elle rend hommage à l'émission Godvergeten pour avoir pu "donner une voix, un visage à cette violence sexuelle et spirituelle au sein de l'Eglise" : "Nous avons admiré le courage de ces victimes qui cherchaient une quête de justice", ajoute-t-elle.

"Au sein d' IJD, nous avons organisé des soirées de conversation sur Godvergeten", relate-t-elle aux députés de la commission. L'historique des abus dans l'Eglise les incite, au sein d'IJD, à déployer des efforts massifs dans le screening et la formation des animateurs, bénévoles et intervenants extérieurs, ainsi qu'investir quotidiennement dans la prévention. "La norme chez nous, c'est la tolérance zéro !" assure-t-elle. Pour Sofi Van Ussel, "protéger les jeunes, c'est leur assurer, au sein d'IJD, un foyer sécurisé".

Cela s'accompagne, concrètement, d'une sélection minutieuse des collaborateurs : un extrait de casier judiciaire est systématiquement demandé. De plus, lors de la formation des animateurs, le focus est mis sur l'intégrité des jeunes : garantir leur sécurité physique, affective et émotionnelle, résoudre les problèmes en toute situation...

Sofi Van Ussel souligne le travail mené par la commission d'enquête parlementaire : "Accepter votre invitation était pour nous un devoir moral : nous voulons jeter des ponts ! C'est là un travail d'avenir que nous faisons, pour les jeunes et la société toute entière." Dans le même temps, la directrice d'IJD souhaite saluer le travail de tous les curés et travailleurs pastoraux qui sont de bonne volonté, "enthousiastes malgré leur réelle indignation" : "Depuis des années, ils donnent leur meilleur au sein de notre service jeunes ; ils aident à orienter beaucoup de vies".

Qu'a fait l'Église des recommandations de 2010 ? C'est ce que veulent savoir les 13 députés qui composent la commission d'enquête parlementaire. © La Chambre

Pour Joël Spronck : "Au bout de sept-huit années de formation, on a une connaissance assez fine du séminariste"

Cela fait cinq ans que Joël Spronck est recteur du grand séminaire francophone de Belgique. Dix-sept séminaristes y étudient et résident actuellement - outre la quinzaine de séminaristes issus de congrégations religieuses et communautés nouvelles qui y sont accueillis temporairement. Ils sont âgés de 18 à 57 ans.

La politique de prévention et de sensibilisation déployée depuis dix ans par l'Eglise belge fait aujourd'hui partie intégrante de la formation des séminaristes. "Dans un premier temps, et avant toute chose, on regarde que le candidat à l'admission au séminaire ne soit pas impliqué dans des délits dans ce domaine", souligne Joël Spronck. "On demande nous aussi un extrait de son casier judiciaire. Et même si le casier est vierge, on poursuit nos recherches auprès de l'entourage du candidat pour jauger ses aptitudes, inaptitudes...". Il confie aux députés de la commission qu'au cours de ce premier filtrage, 30 à 40 % des candidatures ne sont pas acceptées.

Une fois entrés au séminaire, les séminaristes reçoivent, outre les traditionnels cours de psychologie, des formations sur les questions de violence, d'abus, d'exploitation des mineurs à travers le monde... "Par exemple, l'année passée, nous avons organisé une formation de deux journées consacrées à la prévention avec Karlijn Demasure, directrice du centre de protection des mineurs et des personnes vulnérables à Ottawa", avance le recteur du séminaire de Namur.

Joël Spronck garantit aux commissaires qu' "au bout de sept-huit années de formation sacerdotale et de vie commune avec le séminariste, on a une connaissance assez fine de la personne qu'on a devant nous et de ses capacités humaines, pastorales, spirituelles et intellectuelles." En outre, en cas de renvoi d'un séminariste - par exemple dans le cas où l'évêque d'un diocèse estimerait que tel aspirant au sacerdoce ne peut continuer - la décision serait archivée et aucun autre évêque ne pourrait l'accueillir.

👉 Lire aussi : Les points de contact de l'Eglise auditionnés à la Chambre

"Quand j'ai entendu ça, j'ai voulu jeter ma TV par la fenêtre" : les députés prennent la parole

Après cette première série de déclarations, place aux interrogations des commissaires. C'est d'abord Valerie Van Peel, députée N-VA, qui ouvre le bal des questions : "Dans quelle mesure la conférence épiscopale décide de la politique à mener et des procédures à appliquer au sein de l'Eglise en matière d'abus sexuels ? Par exemple, si on prend les ordres et les congrégations, chacun fait-il ce qu'il veut ?"

Une question adressée directement au secrétaire de la conférence épiscopale, Bruno Spriet, qui répond que "si la conférence des évêques dispose bel et bien d'une autorité morale" dans l'Eglise, "un supérieur provincial sera toujours responsable de sa congrégation". "L'Eglise est un vrai écosystème", rappelle-t-il. "Cela dit, il y a beaucoup de concertation et de coordination entre nous afin de définir des règles claires qui s'appliquent à tout le monde".

La députée N-VA Valérie Van Peel lors de la séance de questions-réponses. © La Chambre

Prolongeant la question, Maria Vindevoghel, députée PTB, demande comment il est possible de concrètement parvenir à implémenter des politiques de prévention et de contrôle parmi autant d'acteurs divers et variés ? Dans sa réponse, Bruno Spriet rappelle, entre autres, la création de la Commission Interdiocésaine pour la protection des enfants et des jeunes en juillet 2012, qui adopte une approche globale dans l'Eglise en matière de prévention des abus sexuels et des comportements transgressifs (voir ses missions en point III).

Après un rapide tour de table, où les députés de tous bords et horizons politiques ont pu poser des questions sur

  • des nouveaux signalements de cas d'abus impliquant des auteurs en vie - Ben Segers (Vooruit)
  • la place donnée au groupe de travail "Mensenrechten in de kerk" dans les journaux et magazines catholiques - Stefaan Van Hecke (Groen)
  • les formations données aux séminaristes et plus spécifiquement le recrutement de ces formateurs - Sophie Rohonyi (Défi)
  • la position de l'Eglise à l'égard des lanceurs d'alerte - Daniel Senesael (PS)
  • etc

🎬 Toutes les auditions sont à revoir sur le site de la Chambre (QR à partir de 1:30:06)

... la parole est revenue à la nationaliste Valérie Van Peel pour une seconde (longue) intervention plutôt remarquée :

"Aujourd'hui, l'Eglise ne peut plus nier les faits car il y a tellement d'histoires qui sont remontées à la surface. Certes, il y a encore le pape qui parle de "diable qui est entré dans certaines personnes". Quand j'ai entendu cela, j'ai voulu jeter ma télé par la fenêtre par colère. Car ce qui revient dans les témoignages c'est plutôt une certaine culture dans l'Eglise, une position de pouvoir du curé, qui lui donnait l'impression d'être intangible. Avec une institution ecclésiastique qui voulait protéger cette culture. Dans quelle mesure tenez-vous compte de cette culture dans le cadre de la prévention que vous souhaitez mettre en place ?"

Bruno Spriet répond qu'aujourd'hui, la culture ecclésiastique est tout autre : "On donne une formation aux responsables de paroisses et autres croyants impliqués dans l'Eglise sur comment détecter les signaux d'abus et les comportements suspects. Des signaux dont on demande d'en faire état au point de contact de l'Eglise sitôt qu'il est constaté." Cependant, cela donne lieu à une autre problématique, que déplore le secrétaire de la conférence des évêques : "Souvent, l'entourage ou les personnes proches d'un auteur des faits, lorsqu'ils sont au courant de suspicions ou rumeurs, n'entreprennent pas d'action. C'est un vrai défi à relever. Il faut réfléchir à comment inciter ceux qui détectent des signaux ou des actes problématiques à aller les signaler au point de contact."

Bruno Spriet assure même "avoir été au courant de cas où le parquet ne nous informait de rien et où on a dû se constituer en partie civile pour être au courant de ce qu’il se tramait".

Ce lundi après-midi, les auditions se poursuivaient avec d'autres profils. Notamment sœur Mieke Kerckhof, présidente de l'Unie van de Religieuzen van Vlaanderen (URV), frère Robert Thunus, président de la Conférence des Religieuses et Religieux en Belgique (COREB) et frère Frédéric Testaert, abbé de l'abbaye de Postel.

Clément Laloyaux


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