Mgr Sviatoslav Chevtchouk observe que le nombre de personnes tuées, mutilées ou traumatisées par la guerre en Ukraine continue d’augmenter et que les effets à long terme sur la société deviennent également évidents. Le chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne était l'invité de l'Aide à l’Église en Détresse.
Dix ans après le début de la guerre en Ukraine (dans le Donbass) et deux ans après le début de l'offensive russe dans le pays, Aide à l’Église en Détresse (AED) consacre sa campagne de Carême 2024 à soutenir l’Église souffrante en Ukraine et à l’aider à apporter l’amour bienfaisant de Dieu. Lors d'une conférence organisée le 14 février par l'AED, le chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne, Mgr Chevtchouk a déclaré que "l’avenir de l’Ukraine et de l’Église dépend de notre capacité à répondre à ce besoin de surmonter le traumatisme de la guerre, qui a déjà touché le cœur de la société ukrainienne: la famille. (...) Aujourd’hui, nous devons nous occuper de nouveaux groupes de familles : les familles de ceux qui ont été tués, les familles de ceux qui ont été grièvement blessés, mais aussi les familles de ceux qui sont portés disparus. Selon l’Ukraine, 20.000 enfants ont été enlevés par la Russie, alors que la Russie parle de 800.000 déportés, mais nous avons également 35.000 personnes disparues au combat. La vie de leurs familles est une torture constante. Une femme, âgée de 23 ans et mère de deux enfants, m’a demandé : ‘Suis-je veuve? Dois-je prier pour mon mari comme s’il était vivant ou comme s’il était mort?’ Chaque fois que nous avons des échanges de prisonniers et que leurs maris ne reviennent pas, leur chagrin est ravivé. C’est donc une torture physique et psychologique constante pour chaque famille".
Selon Mgr Visvaldas Kulbokas, archevêque et nonce apostolique en Ukraine, la libération de la captivité russe n’est pas sans poser de problèmes à ceux qui reviennent. "Lorsque nous parlons à des personnes qui rentrent en Ukraine et qu’elles nous décrivent les conditions dans lesquelles elles ont été détenues, ces conditions sont horribles, surtout pour les militaires. Certains d’entre eux sont incapables de parler, tant ils sont traumatisés."
Mais d’autres familles souffrent également, selon Mgr Chevtchouk. "Aujourd’hui, la majorité des familles vivent séparées, parce que les hommes sont dans l’armée et que les femmes avec enfants ont quitté leur ville, voire le pays." Les statistiques résultant de cette situation sont accablantes. "En 2023, nous avons eu 170.000 nouvelles familles, mais il y a eu 120.000 divorces. Il s’agit du nombre de divorces le plus élevé de l’histoire de l’Ukraine indépendante. Aider ces personnes est un grand défi pour notre Église. Très souvent, vous ne pouvez rien faire d’autre que d’être présent, de pleurer avec elles, de tenir la main de cette femme ou de ce soldat qui souffre. C’est le plus grand défi pastoral pour moi et pour l’Église aujourd’hui", a déclaré le chef de la plus grande Église de rite oriental en communion avec Rome.
Un conflit oublié ?
S’exprimant au début de la conférence, Regina Lynch, présidente exécutive d’Aide à l’Église en Détresse, a averti qu’avec "tant de conflits et de troubles dans le monde à l’heure actuelle, nous courons un réel danger que l’Ukraine soit oubliée, alors que l’attention mondiale se déplace vers la prochaine crise. À l’AED, nous sommes déterminés à ce que cela ne se produise pas, et c’est en partie la raison pour laquelle nous utilisons la campagne de Carême de cette année pour attirer l’attention sur la situation en Ukraine."
"L’Ukraine vit son propre chemin de croix. L’objectif de la campagne est de fournir un soutien indispensable pendant le conflit, notamment en aidant les séminaristes, les prêtres et les religieuses qui aident à prendre en charge des personnes déplacées et démunies, ainsi qu’à la guérison des traumatismes subis par les soldats et leurs familles. Nous nous concentrons également sur la pastorale des jeunes et des familles. Nous exhortons tous nos amis et bienfaiteurs à ne pas oublier nos frères et sœurs d’Ukraine et à prier pour eux pendant la période du Carême", a déclaré Regina Lynch.
Mgr Visvaldas Kulbokas confirme ce danger. "Pour les gens à l’étranger, il est difficile d’imaginer ce qui se passe ici. Certains sont tentés de penser que tout est fini, mais nous perdons des centaines de vies chaque jour, des militaires comme des civils."
Pour ceux qui vivent près des lignes de front ou en Ukraine occupée, la guerre est impossible à oublier. "La situation sur les lignes de front est pire que le purgatoire, il y a beaucoup de gens que nous n’avons pas la possibilité d’atteindre, nous ne pouvons même pas leur donner de la nourriture ou de l’eau", déplore le nonce.
Dans les territoires occupés, l’Église gréco-catholique ukrainienne a été contrainte à la clandestinité, a expliqué Mgr Chevtchouk. "Il n’y a plus de prêtres catholiques dans cette partie de l’Ukraine. Nous avons été informés qu’à Donetsk, nos fidèles se rendaient à l’église pour prier chaque dimanche, même sans prêtre, mais l’église a été confisquée et ses portes fermées. Dans les parties occupées de la région de Zaporijjia, les autorités russes ont publié un décret spécial interdisant l’existence de l’Église gréco-catholique ukrainienne et ont confisqué nos biens, de sorte que les gens prient chez eux, et s’ils le peuvent, ils suivent nos services liturgiques en ligne."
Le maintien en détention des pères Ivan Levitskyi et Bohdan Heleta, arrêtés en novembre 2022, est un rappel brutal du danger auquel sont confrontés les catholiques dans l’Ukraine occupée. "Sont-ils vivants ou sont-ils morts ? Depuis leur arrestation, nous n’avons aucune information", note Mgr Chevtchouk.
"Merci à l’Aide à l’Église en Détresse d’être avec nous"
Face à ces énormes défis, l’Église catholique en Ukraine continue de faire ce qu’elle peut. L’Église gréco-catholique ukrainienne s’est particulièrement investie dans des programmes de soutien psychologique aux personnes traumatisées et souligne la nécessité de fournir une assistance aux quelque sept millions d’Ukrainiens qui souffrent de pénuries alimentaires, en particulier ceux qui se trouvent à moins de 50 km de la ligne de front.
Jusqu’à présent, a expliqué Mgr Chevtchouk, la réponse internationale coordonnée a permis un miracle. "Au cours de l’année écoulée, nous avons pu résister à la plus grande crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale". Mais aujourd’hui, "l’euphorie initiale de l’aide humanitaire à l’Ukraine s’estompe, nous devons donc développer notre propre logistique pour aider ceux qui en ont besoin."
L’AED a joué un rôle majeur dans cet effort et, au cours des deux dernières années, l’Ukraine a été le plus grand bénéficiaire du soutien de l’organisation. L’œuvre internationale catholique de bienfaisance a soutenu plus de 600 projets depuis le 24 février 2022, notamment en finançant la construction de 11 centres de soutien psychologique et spirituel, ainsi qu’en finançant des camps d’été pour les enfants les plus touchés par les combats, l’achat de véhicules pour les prêtres et les religieux afin qu’ils puissent exercer leur ministère pastoral, et même en fournissant des systèmes de chauffage aux institutions gérées par l’Église, pour les aider à traverser les hivers rigoureux.
"Merci à l’AED pour son courage, pour ses visites au cours de ces dernières années, pour avoir traversé avec nous ces circonstances douloureuses. Merci d’être avec nous dans ces moments difficiles", a conclu l’archevêque majeur Mgr Sviatoslav Chevtchouk.
Communiqué de l'AED
Pour plus d’informations : egliseendetresse.be